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20 bonnes raisons de devenir écrivain – 13 – la narration, art de raconter

La narration est l’art de raconter. L’écrivain se doit de captiver rapidement son lecteur sous pleine de le perdre à tout jamais. Dans cet article Frédéric Barbas revisite L’art d’écrire en 20 leçons d’Antoine Albalat et nous rappelle cinq règles essentielles pour écrire une histoire.

 

De la narration

 

« Le talent de narrer est le plus séduisant, parce qu’il est la base de l’art littéraire. Bien que tout le monde s’en mêle, il est plus rare qu’on ne pense ; et, s’il est inné à quelques-uns, il exige pour le plus grand nombre beaucoup d’application et de culture. On n’écoute volontiers que ce qui est bien raconté. Il ne suffit donc pas d’avoir un sujet attrayant ; il faut encore le présenter avec charme et y mettre de l’intérêt. » Antoine Albalat

 

Que le début soit simple !

Un narrateur efficace valorisera chaque aspect de son histoire grâce à un ordonnancement rigoureux des événements de son histoire. Cette rigueur de construction ne doit pas faire oublier à l’auteur qu’il se doit d’accueillir son lecteur en facilitant son entrée dans l’histoire que vous racontez en se servant de la première clé fournie par Bossuet : « Que le début soit simple et n’ait rien d’affecté. »

Seulement, il ne faut pas occulter la notion de simplicité mise en avant dans la phrase de Bossuet, avec d’autant plus d’exigence qu’elle se rapporte au départ d’un texte, ce qui conditionne sa suite, comme le résume Albalat : « Mieux vaut un début dramatique, ex abrupto, que trop de précautions qui paralysent à force d’habileté. On s’égare d’abord, et, l’importance du commencement n’étant plus proportionnée avec les développements qui suivent, la narration n’a plus d’unité. Or, c’est l’unité qui produit l’effet total. »

Plus votre exposition (début de l’histoire qui met en scène le héros aux prises avec des difficultés) sera concise et structurée, plus vous ouvrirez à votre lecteur la voie qui le mènera au cœur de votre histoire. Vous l’invitez à un voyage, charge à vous de l’installer idéalement afin qu’il profite dans les meilleures conditions possibles de votre univers, ce qui passe par une narration d’où toute impression de fouillis doit être exclue. Attention, « l’installer idéalement » est un savant dosage : pas d’excès de confort, sans quoi il s’assoupirait, mais pas trop de turbulences non plus, au risque qu’il décroche.

L’unité (qu’on peut étendre à « l’équilibre ») de la narration a peut-être autant d’importance que le texte lui-même, en ce sens qu’elle peut le sublimer ; il se révélera en effet sous son meilleur jour si les éléments qui le composent, même présentés de façon faussement disparate, formeront finalement un tout homogène. Il ne faut pas confondre partir dans tous les sens et proposer différents chemins qui tous mèneront au Rome de l’écrivain, soit le dénouement : « Le dénouement est le point où l’intérêt est satisfait et où le nœud de l’action se résout. Il doit être préparé par tout ce qui précède et ne jamais se faire pressentir. Si le lecteur le devine, sa curiosité cesse et le charme est rompu. »

Voilà entre autres ce que l’on pourrait appeler un devoir narratif : bâtir l’édifice qui verra en son point culminant la dernière pierre donner corps à l’ensemble, si l’on considère que tout ce qui précède le dénouement possède le caractère abstrait de ce qui est inabouti. Bien sûr, on n’aura de cesse d’abreuver son lecteur de repères tangibles, que ce soit au travers de péripéties, d’indices, de réflexions, d’un matériau en somme dont il lui reviendra de retirer à chaque page un bénéfice parachevé par la qualité du style.

A cette notion de simplicité, ajoutez aussi cette nécessité d’aller à l’essentiel. Cette règle peut être considérée comme une règle universelle dans l’écriture, quel que soit le type d’ouvrage qu’on souhaite soumettre à l’appréciation d’un lecteur ; l’objectif n’est pas de le perdre en descriptions à rallonge ou en digressions qui le feront s’interroger sur la ligne directrice du récit, mais de lui indiquer vers quoi on désire aller, tout en faisant en sorte qu’avant le nœud et le dénouement (j’y reviendrai) de ne jamais rien dévoiler de nos intentions.

 

Quand séduire, c’est savoir mentir en toute sincérité…

Les lecteurs aiment à être surpris. A l’auteur de le passionner en dévoilant de manière opportune certains pans insoupçonnables de son histoire et d’attiser le désir chez le lecteurs de cumuler les indices.  Sauf à considérer que nous possédons tous des talents de déduction dignes de Sherlock Holmes, il faut admettre que la plupart du temps l’écrivain est fautif, pensant pouvoir cacher un éléphant derrière un mouchoir.

Non pas que l’écrivain en question soit dénué de talent, que son histoire ne tienne pas la route ou que son style laisse à désirer : seulement, s’il n’a pas su organiser sa pensée de manière à falsifier les apparences avec une permanence qui jusqu’à la fin sèmerait le doute dans l’esprit de son lecteur, il aura échoué à susciter l’admiration de ce dernier qui ne demande pas mieux que d’avoir été berné avec la dernière habileté. L’auteur se retrouvent comment un éléphant tentant de se dissimuler derrière un mouchoir. Ce qui rompt le charme

La notion de « charme rompu » doit retenir notre attention : chacun d’entre nous a certainement dû, au moins une fois, avoir eu entre les mains un livre dont l’intrigue était cousue de fil blanc (on peut même établir que le cas doit être assez fréquent si une telle locution existe pour le désigner).

 

Organisez la chasse aux incohérences

Bien sûr, les procédés mis en œuvre afin de tromper la vigilance de notre lecteur, et plus encore l’induire en erreur, devront systématiquement trouver leur légitimité dans une logique d’ensemble, ce qui exclut d’emblée le recours à un deus ex machina : un écrivain doit savoir mentir, mais en toute honnêteté.

Quand je parle d’une logique d’ensemble, cela regroupe plusieurs facteurs constitutifs de la narration : par exemple, tel comportement d’un personnage à la page 35 ne viendra pas en contradiction avec ses agissements de la page 216 sans qu’une évolution dans son  traitement puisse le justifier.

Les solutions ne manquent pas pour qu’un personnage opère une volte-face à même de déstabiliser le lecteur sans pour autant amener celui-ci à penser que l’auteur se moque de lui ; cela peut résulter d’un enchaînement d’événements obligeant quelqu’un à aller à l’encontre de ce qui l’avait défini en tant que personne jusqu’à son revirement inattendu : qu’il s’agisse de perdre la foi, de tuer l’être qu’il aime, de trahir une cause à laquelle il était dévoué corps et âme ou à l’inverse de se réfugier dans la religion après avoir affiché un athéisme absolu, de sauver d’une mort certaine son ennemi juré, d’adhérer pleinement à un courant de pensée pour lequel il n’avait pas eu de mots assez durs, le personnage est pour ainsi sommé — et avant tout, à travers lui, son créateur — de rendre des comptes au lecteur.

 

Trouver le bon rythme pour raconter votre histoire

Selon Antoine Albalat « La rapidité et le mouvement sont, du reste, deux qualités qui doivent dominer la narration. » Si je partage l’idée générale de cette phrase, l’exemple pris par Albalat pour l’illustrer révèle chez Fénelon, décrivant la mort de Bocchoris, roi d’Égypte, l’emploi d’un style uniquement factuel confinant naturellement à une forme de sécheresse de ton qui chagrinera peut-être les amoureux du style  :

« Je le vis périr ; le dard d’un Phénicien perça sa poitrine ; les rênes lui échappèrent des mains ; il tomba de son char sous les pieds des chevaux. Un soldat lui coupa la tête, et, la prenant par les cheveux, il la montra comme en triomphe à toute l’armée. »

Ici, dans la première partie de l’extrait, la narration ponctuée de points-virgules possède un côté plus abrupt que vif ; l’effet produit pourrait être comparé à la différence existant entre la course effectuée par un sprinteur et celle qu’accomplit un coureur de haies, le passage de Fénelon se rattachant à cette seconde catégorie : s’oppose à la vitesse du dévoreur de mètres (la vélocité fluide du sprinter, le style délié) la puissance de qui franchit les obstacles (« sauter » par-dessus les points-virgules pour rebondir avec vigueur jusqu’à la fin de la phrase, l’écriture accrocheuse) en donnant à chaque fois une nouvelle accélération : se dégage de ce style saccadé l’impression de quelque chose que rien n’arrête, en dépit de la brièveté de la séquence (quatre segments courts). On peut donc insuffler de la motricité à sa narration de bien des manières, pourvu que rythme et pensée bénéficient d’une synchronisation créant un élan qui leur soit propre.

 

Mettez des mots sur l’inénarrable et l’indicible pour combler de lecteur

Pour finir, j’aimerais que l’on s’arrête un instant, afin de sourire un peu, sur un mot de la langue française qui concerne directement cette leçon : inénarrable. Cet adjectif recèle en lui un mensonge si l’on se réfère à sa définition basique : « Qu’on ne peut raconter ni décrire ».

Que ne peut-on raconter ni décrire ? Notre vocabulaire serait-il si pauvre et notre imagination si peu fertile qu’on devrait prendre l’expression « Les mots me manquent » au pied de la lettre ? Non, bien sûr.

« Inénarrable » est un terme n’existant que dans l’attente des mots que nous ne nous sommes pas encore appropriés, un vocable-intervalle en quelque sorte, que travail, temps et lecture combleront… Car ce que votre lecteur attend c’est précisément ce qui défi l’imagination, les situations prévisibles et convenues.

 

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