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20 bonnes raisons de devenir écrivain-3 -de la lecture

Troisième leçon de la lecture

La lecture est souvent l’un des grands secrets des écrivains : elle suscite des vocations, ouvre les esprits, assouplit les certitudes pour ouvrir la voie de la réflexion et de la création. Seule condition : savoir lire un livre comme un écrivain. C’est précisément ce que nous explique Antoine Albalat dans cette troisième leçon, revisitée par Frédéric Barbas, ex-correcteur d’édition pour L’esprit livre. Il s’attache autant à la manière de lire qu’au choix des lectures.

 

   Leçon 3    

                         Vampiriser les livres

« Tous les grands écrivains proclament la nécessité de lire, et de bien lire. La lecture est la base de l’art d’écrire. ». Albalat souligne une évidence qui vaut que l’on s’y attarde. Sans lecture, point de grands écrivains, même pas de bons écrivains, comme il le formule : « Profitable à tous les grands talents, dont elle a forgé la personnalité vigoureuse, à plus forte raison la lecture est-elle nécessaire à nous, les derniers venus et les médiocres, nous qui avons tant besoin de fortifier notre inspiration, d’aider notre culture, et d’étendre, d’alimenter, de transformer nos idées. ».

Lire un bon roman, c’est un peu comme « brancher » son cerveau sur celui de l’auteur et opérer une sorte de transfert de fichiers. Si toutes les données ne nous seront pas immédiatement accessibles pour diverses raisons (capacités de compréhension encore en jachère, romancier à l’écriture ardue, découverte d’un style inhabituel, inaptitude à démêler la trame de l’auteur, etc.), on en retirera, à condition d’être un minimum concentré, des bénéfices rapides et d’autres qui s’étaleront dans le temps à mesure que la maturation aura produit son effet.

Ce procédé vampirique, s’il ne nous conférera pas l’immortalité littéraire, permettra au moins de se voir injecter du sang neuf dans notre façon d’aborder l’écrit, de disséquer des structures, de voir là où une phrase empreinte de justesse permet de cadenasser un paragraphe, bref, de s’aguerrir dans le rude combat que l’on mène contre soi pour se débarrasser des ébarbures qui polluent notre prose.

La stratégie du perroquet

Passé le phénomène d’émerveillement qui succède à l’achèvement d’un livre dont le contenu semble nous avoir dessillé les yeux, un autre se produit, si l’on a le goût pour cela, c’est celui de l’imitation, et Albalat ne dit pas autre chose : « C’est presque toujours après une lecture que se déclarent les vocations littéraires, parce que c’est par elle que notre esprit s’ouvre aux multiples ressources de l’art d’écrire. ».

Bien sûr, on aura tendance dans les premiers temps à se conduire comme un perroquet et à reproduire quasiment mot pour mot les tournures qui nous enchantent, sans véritable souhait de se forger son propre style ; au contraire, on trouvera très bien de s’approprier (ou plutôt de s’imaginer qu’on se l’est approprié) celui de l’écrivain dont la plume laisse un scintillant sillage d’étoiles dans ses phrases les plus élaborées, mais ce n’est qu’une étape, l’indispensable digestion du talent de l’auteur admiré.

Mais la mécanique est en marche, et si tout va bien, peu à peu, on commencera à s’affranchir de ces écrivains-guides sans jamais les renier, en continuant à les lire, en appliquant leurs méthodes : « La lecture dissipe la sécheresse, active les facultés, déchrysalide l’intelligence et met en liberté l’imagination. Je sais des littérateurs de mérite qui ne se mettent jamais au travail sans avoir lu quelques pages d’un grand écrivain, moyen excellent pour retrouver l’inspiration. ».

Que lire ?

« Faut-il lire beaucoup de livres ou faut-il lire peu de livres ? Question importante et délicate. Des lectures éparpillées sont sans profit, de même que la lecture d’un seul auteur, par une assimilation trop étroite, fait tomber dans le pastiche et nous transfuse les défauts d’un écrivain. ».

On peut ne pas être d’accord avec Albalat quand il dit que les « lectures éparpillées sont sans profit », car il est somme toute logique de penser qu’il est possible de retirer bien des bénéfices de la diversité. Abondance de biens ne nuit pas, dit-on. Peut-être est-ce une des contradictions de l’auteur de conseiller par ailleurs la lecture de textes médiocres comme celle des plus brillantes plumes et de se vouloir d’un coup restrictif.

Il faut toutefois tempérer ce hiatus quand il écrit que « Sénèque […] croit que vouloir tout lire n’est souvent que s’exposer à tout parcourir. ». Il convient de trouver un juste milieu, soit opérer une sélection des auteurs qui traitent des sujets et des genres qui nous intéressent, tout en faisant preuve de curiosité pour une littérature qui ne nous est pas coutumière. Le champ est large, et les écrivains de talent fort nombreux, sans parler de ceux, plus rares, qui jouissent d’une aura hors du commun de par leur hauteur d’esprit sans égal.

Albalat fait référence à ces derniers pour nous dire, en quelque sorte, de nous en méfier, dans l’optique où l’on désire perfectionner la formation de son style. Non pas qu’il ne faille pas les lire, au contraire, mais dans le sens où ils sont « inimitables », on ne pourrait rien en retirer de pratique pour notre écriture. C’est sans doute discutable, mais argumenté : en parlant de La Fontaine, Albalat estime qu’il a « emporté avec lui le secret de son métier ; il est impossible de savoir comment il construit ses phrases, par quel génie ou par quel travail il obtient cette concision et ce relief. Il y a, en outre, chez lui, une drôlerie, une tournure d’esprit originale, tranchons le mot, une cocasserie que personne ne pourra jamais décomposer ni s’approprier ».

 

Comment tirer des profits de la lecture ?

Par opposition, « au point de vue du métier, pour l’assimilation technique et le profil urgent, il faut surtout lire les auteurs qui nous laissent voir leurs procédés ». Il faut donc dans un premier temps, si l’on souhaite se faire les dents, viser l’accessible, le recyclable, si l’on peut dire. Il existe des écritures basiques, efficaces, dont il est assez facile de s’inspirer pour débuter. On ne recherchera pas là le trait saillant qui fera qu’on vous distinguera de la production courante, mais au moins cela constituera-t-il un bon moyen d’effectuer ses premières armes, le style viendra plus tard, au fil des lectures justement, quand on côtoiera des écrivains plus ambitieux, possédant un vocabulaire riche sans être verbeux.

« Savoir voir est le grand mot de l’écriture littéraire ; et savoir comment il faut voir, c’est presque savoir comment il faut exprimer. En tête des auteurs qui peuvent offrir ce genre d’enseignement, il faut placer Homère, qui reste le plus grand écrivain de tous les temps. ».

Pourquoi Albalat place-t-il ainsi Homère sur un tel piédestal ? Parce que selon lui, « il contient l’émotion, l’éloquence, l’humanité, l’observation, la peinture, la couleur à un degré tel, qu’il demeure l’éternel modèle de l’art d’écrire. ». Difficile en effet de rivaliser, si de telles qualités sont avérées ! Mais il a d’autres maîtres, comme Montaigne, qui « montre à chaque page le parti qu’on peut tirer d’une pensée ». Ça donne envie de le lire ou de le relire. De même, Albalat cite Bossuet, « le plus grand créateur de mots et d’expressions, le plus étonnant styliste que nous ayons dans notre langue […] (qui) donnera à votre faculté d’écrire une ébullition permanente. ». Rousseau est abordé avec quelques réserves, mais « Un bon recueil de ses morceaux choisis est un livre indispensable, dont l’étude vous formera le style mieux que les meilleurs traités théoriques ». Enfin, Chateaubriand a sa place dans son panthéon, qui a écrit Mémoires d’outre-tombe, « le plus beau livre du siècle. ».

L’art de lire…

À présent qu’Antoine Albalat  nous a fourni de la matière, vient une question cruciale : « Comment faut-il lire ? ». C’est peut-être — sans doute — un sujet sur lequel on ne s’interroge pas suffisamment, diminuant notre imprégnation d’un texte. On se laisse la plupart du temps porter par l’histoire, sans véritablement chercher à en débusquer les mécanismes. On pourrait croire que c’est un travail d’érudit ou de théoricien de repérer les figures de style ou de décortiquer une intrigue, et cela est sûrement vrai pour qui n’a pas la prétention d’écrire, même s’il ne faut pas déconsidérer ce que l’on pourrait appeler le lecteur moyen, capable de relever la pertinence d’un propos, la force d’une idée ou, bien sûr, la joliesse d’une tournure.

Seulement, cela ne suffit pas à l’écrivain en herbe pour engranger de l’expérience, pour se forger les outils qui lui serviront à construire sa propre machine littéraire. Cela nécessite une méthode qui permettra qu’on retienne durablement ce qu’on a lu, qu’un suivi de la lecture prenne forme. L’angle d’attaque d’Albalat est simple et complexe à la fois : « Lire sans prendre de notes, c’est comme si on n’avait rien lu. ». Et d’ajouter : « La vraie mémoire consiste, non pas à se rappeler, mais à avoir sous la main les moyens de retrouver ». Dit comme ça, cela sonne comme une évidence, mais prendre des notes ne se fait pas au petit bonheur la chance si l’on veut qu’elles soient efficaces. Ce qu’il ne faut pas faire, c’est « tomber dans la manie, de finir par tout copier, le bon et le mauvais, et de collectionner des agendas ».

En revanche, « Copier un bon morceau d’un auteur est un exercice utile pour la science des constructions et des tournures ». Il est nécessaire, pour échapper à une indigestion de notes, de sélectionner rigoureusement celles qui auront une influence sur notre écriture, qui logeront en nous comme des locataires de notre esprit. Albalat conseillait à l’époque l’emploi de fiches cartonnées, mais nous sommes désormais à l’ère de l’informatique ; toutefois, on doit retenir la teneur de ces fiches : « 1 : Des notes d’érudition ; 2 : Des citations saillantes ; 3 : La transcription de ses propres jugements ».

…est celui de lire le stylo à la main en devenant soi-même auteur

Résumé ainsi, cela peut paraître facile d’application, mais réclame en fait un travail assidu. Il faut avoir l’esprit aiguisé pour créer des notes efficientes. C’est comme chasser une proie, et être sûr qu’elle nous nourrisse. On pourrait croire que cela amoindrit le plaisir de lire, mais en fait, cela l’amplifie, car en procédant ainsi on creuse au plus profond de la pensée de l’auteur, on en extrait toutes les richesses. La lecture s’en trouve certes un brin ralentie, mais beaucoup plus fructueuse, un choix que ne doivent pas hésiter à faire celles et ceux qui souhaitent exploiter tout leur potentiel et se donner les meilleures chances pour percer dans le monde littéraire.

« La lecture bien faite comprend non seulement des fiches, des notes, des analyses, mais une foule d’autres exercices profitables comme les comparaisons, le pastiche et la transposition ».  La comparaison, c’est se faire s’affronter divers styles traitant d’une même scène afin de passer au microscope les différences qui font qu’un écrivain excelle plus qu’un autre dans sa manière de la retranscrire (chez Albalat, une tempête vue par Jacques-Henri Bernardin de Saint-Pierre, Chateaubriand et Pierre Loti) ; il faut alors pointer ce qui fait qu’on préférera tel auteur à l’autre dans sa manière de narrer, et pourquoi, et s’en inspirer. L’étude comparative est un élément enrichissant de la lecture, car il permet de voir qu’on peut rendre plus puissants des effets littéraires traitant d’un thème commun.

Le pastiche, c’est, par l’imitation, l’étude d’un style. On se confronte à la virtuosité d’un brillant écrivain pour en retirer tous les secrets comme on fouillerait dans ses tiroirs. Cet exercice particulier, en plus qu’il permet de s’évaluer, possède aussi la vertu de s’enrichir intellectuellement en tentant de reproduire des manies d’auteur qui ne sont pas les nôtres, et de s’en détacher ensuite pour affirmer avec plus de force sa propre écriture.

La transposition a peut-être un caractère plus vaste que la comparaison ou le pastiche. Albalat écrit notamment à ce sujet : « Mettre en prose ce qui est en vers, mettre en vers ce qui est en prose. ». C’est un exemple parlant, assurément, mais qui ne définit pas tous les contours de la chose. On peut passer d’un univers à un autre grâce à la transposition, voire d’une époque à une autre, etc.

En définitive, la lecture est le marchepied de l’écriture…

 

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