Odile Colomb – Stage questions de style (mai 2016)
Texte présenté au terme du stage
T’es pas claire, Clara !
J’ai toujours eu le chic pour me faire avoir. « Trop bonne, trop conne » me disent les copines. Je sais, je reconnais, mais je ne change pas. Et, y a pas longtemps, ça m’a joué un vilain tour.
Un soir, alors que je quittais mon cinquième client, je décidai de retourner au Bar du Beffroi pour tâcher de m’en faire un de plus avant de rentrer. J’aime bien cet endroit, il est idéal pour rencontrer des mâles solitaires : lumière tamisée, sièges profonds autour des tables basses, le bar éclairé par des spots et leur reflet sur les flacons alignés derrière le barman. En général, je m’installe sur un tabouret haut et laisse mes doigts tapoter au rythme langoureux du piano-jazz. Il arrive, certains soirs, que la fumée des cigarettes estompe les silhouettes. Et le mélange des parfums et du tabac nous enveloppe d’une langueur propice aux rencontres prometteuses de bonnes affaires pour moi.
Un soir, donc, en y entrant, je suis tombée sur Peter sirotant un whisky avec un jeune plutôt mignon. Ça faisait une plombe que je ne l’avais pas vu et ça m’a fait tout drôle de le revoir là. Tant de souvenirs… Fut un temps, quand même, il avait été mon mec !
– Peter, mais qu’est-ce que tu fais là ? Je te croyais à Londres.
– Oh, mais c’est ma Clara ! Salut ma belle ! Ben tu vois, je suis à Bruges avec mon pote Johny. Pour tout te dire, on est venu ici pour se mettre quelques temps au vert…
Comme je voulais en savoir plus, pauvre idiote que je suis, je les attirai dans un coin retiré de la salle et après avoir commandé trois scotches :
– Alors, raconte, tu t’es encore foutu dans un merdier ?
– Euh, c’est un peu ça. On devait liquider un type, un con de politique qui gênait les affaires ; et puis y a eu un cafouillage et le bonhomme n’a été que blessé. Le boss était furibond et nous ordonner de dégager. Voilà, on vient d’arriver.
– Et vous créchez où ?
– Ben justement ma Clara, tu pourrais pas nous dépanner ?
L’idée m’a traversée que c’était sans doute pas par hasard que je l’avais retrouvé au Beffroi. Mais j’étais tellement contente de le revoir que j’ai bien vite chassé cette pensée… Et je leur ai proposé de venir s’installer chez moi, dans mon petit appartement proche du turbin où aucun client ne vient jamais. Je l’ai décoré comme j’aime, c’est mon refuge pour oublier mes nuits.
Au début, on a passé de chouettes moments tous les trois ensemble. Le soir, je tapinais jusqu’à minuit, mais le reste du temps, on se la coulait douce. Peter et moi, on avait repris nos habitudes… C’est le genre d’homme auquel je ne résiste pas : grand, costaud, un peu animal ; une belle bête comme on dit. Et capable de délicatesses avec ça. Et puis, il baisait comme un dieu ! Enfin tout ce qui fait que je pouvais rien lui refuser. Et le bougre le savait bien !
Un soir, sur l’oreiller, il m’a confié qu’en fait le patron était surtout furieux après Johny.
– Parce que, tu comprends, cet abruti a été reconnu à Londres. Malingre comme il est, il devrait passer inaperçu. Mais non ! Il peut pas s’empêcher de jacter et avec sa voix de gonzesse, ils l’ont vite identifié… Quel con !
– Mais toi ?
– Ben, le Boss m’a demandé de le butter pour pas qu’il cause. Et moi, j’ai pas envie de payer avec lui s’il est pris.
Il n’a plus rien dit, mais je ne sais pas pourquoi, j’ai eu l’impression qu’il comptait se servir de moi pour ce mauvais coup.
Le samedi suivant, on est sorti faire le tour des bars. On a beaucoup bu. Surtout Peter qui est devenu lourd. Ça m’a énervée et, au bout d’un moment, je me suis cassée avec le petit Johny. Ça lui a pas plu au Peter… Et lorsqu’il nous a rejoints à l’appart, je sais pas s’il avait pris de la coke ou du hasch en plus, il était comme un fou !
J’ai senti qu’il était mûr pour exécuter son plan et j’ai eu peur. J’ai voulu me sauver, mais, avant que j’atteigne la porte, Peter m’a rattrapée et fait valser sur le canapé. Puis il s’est dirigé vers Johny son cran d’arrêt à la main. L’autre a sorti son flingue et a tiré. Deux fois. Mais Peter n’a pas bronché. C’est dingue ! Et il a réussi à balancer sa grosse paluche sur la gueule de Johny, et de l’autre main à plonger le couteau dans le flanc du poids-plume.
Médusée j’ai vu les deux hommes s’écrouler l’un sur l’autre. Un vrai cauchemar. « Putain, je me retrouve dans de beaux draps avec ces deux-là ! » ; et quand les flics ont débarqué et constaté qu’ils étaient bien morts, ils ont dû me prendre pour une débile en m’emmenant : hébétée, j’arrêtais pas de répéter,
« Mais qu’est-ce que je suis conne…. Mais qu’est-ce que je suis conne… »
Texte revu après stage
T’es pas claire, Clara !
J’ai toujours eu le chic pour me faire avoir. « Trop bonne, trop conne » me disent les copines. Je sais, je reconnais mais je ne change pas. Et y a pas longtemps ça m’a joué un vilain tour.
Un soir, alors que je quittais mon cinquième client, je décidai de retourner au Bar du Beffroi pour tâcher de m’en faire un de plus avant de rentrer. J’aime bien cet endroit, il est idéal pour rencontrer des mâles solitaires : lumière tamisée, sièges profonds autour des tables basses, le bar éclairé par des spots et leur reflet sur les flacons alignés derrière le barman. En général je m’installe sur un tabouret haut et laisse mes doigts tapoter au rythme langoureux du piano-jazz. Il arrive, certains soirs, que la fumée des cigarettes estompe les silhouettes. Et le mélange des parfums et du tabac nous enveloppe d’une langueur propice aux rencontres et prometteuse de bonnes affaires pour moi.
Un soir donc, en y entrant, je suis tombée sur Peter sirotant un whisky avec un jeune plutôt mignon. Ca faisait une plombe que je ne l’avais pas vu et ça m’a fait tout drôle de le revoir là. Tant de souvenirs… Fut un temps, quand même, il avait été mon mec !
– Peter, mais qu’est-ce-que tu fais là ? Je te croyais à Londres.
– Oh, mais c’est ma Clara ! Salut ma belle ! Ben tu vois, je suis à Bruges avec mon pote Johny. Pour tout te dire on est venu ici pour se mettre quelques temps au vert…
J’aurais mieux fait d’en rester là et de rentrer chez moi. Mais je voulais en savoir plus, pauvre idiote que je suis ! Je les attirai donc dans un coin retiré de la salle et après avoir commandé trois scotches :
– Alors, raconte, tu t’es encore foutu dans un merdier ?
– Euh, c’est un peu ça. On devait liquider un type, un con de politique qui gênait les affaires ; et puis y a eu un cafouillage et le bonhomme n’a été que blessé. Le boss était furibond et nous a ordonné de dégager. Voilà, on vient d’arriver.
– Et vous créchez où ?
– Ben justement ma Clara, tu pourrais pas nous dépanner ?
L’idée m’a traversée que c’était sans doute pas par hasard que je l’avais retrouvé au Beffroi. Mais j’étais tellement contente de le revoir que j’ai bien vite chassé cette pensée… Et je leur ai proposé de venir s’installer chez moi, dans mon petit appartement proche du turbin où aucun client ne vient jamais. Je l’ai décoré comme j’aime, c’est mon refuge pour oublier mes nuits.
Au début on a passé de chouettes moments tous les trois ensemble. Le soir je tapinais jusqu’à minuit, mais le reste du temps on se la coulait douce. Peter et moi, on avait repris nos habitudes… C’est le genre d’homme auquel je ne résiste pas : grand, costaud, un peu animal ; une belle bête comme on dit. Et capable de délicatesses avec ça. Et puis, il baisait comme un dieu ! Enfin tout ce qui fait que je pouvais rien lui refuser. Et le bougre le savait bien !
Un soir, sur l’oreiller, il m’a confié qu’en fait le patron était surtout furieux après Johny.
– Parce que, tu comprends, cet abruti a été reconnu à Londres. Malingre comme il est, il devrait passer inaperçu. Mais non ! Il peut pas s’empêcher de jacter et avec sa voix de gonzesse, ils l’ont vite identifié… Quel con !
– Mais toi ?
– Ben le Boss m’a demandé de le butter pour pas qu’il cause. Et moi j’ai pas envie de payer avec lui s’il est pris. D’un autre côté j’ai jamais descendu un collègue…
Il n’a plus rien dit, mais je ne sais pas pourquoi, j’ai eu l’impression qu’il comptait se servir de moi pour ce mauvais coup.
Le samedi suivant on est sorti faire le tour des bars. On a beaucoup bu. Surtout Peter qui est devenu lourd. Ça m’a énervée et, au bout d’un moment, je me suis cassée avec le petit Johny. Ça lui a pas plu au Peter… Et lorsqu’il nous a rejoints à l’appart, je sais pas s’il avait pris de la coke ou du hasch en plus, il était comme un fou !
J’ai senti qu’il était mûr pour exécuter son plan et j’ai eu peur. J’ai voulu me sauver mais, avant que j’atteigne la porte, Peter m’a rattrapée et fait valser sur le canapé. Puis il s’est dirigé vers Johny son cran d’arrêt à la main. L’autre a sorti son flingue et a tiré. Deux fois. Mais Peter n’a pas bronché. C’est dingue ! Et il a réussi à balancer sa grosse paluche sur la gueule de Johny, et de l’autre main à plonger le couteau dans le flanc du poids-plume.
Médusée j’ai vu les deux hommes s’écrouler l’un sur l’autre. Un vrai cauchemar. « Putain, je me retrouve dans de beaux draps avec ces deux-là ! Mais jusqu’à quand je vais me laisser encore avoir ?» ; et lorsque les flics ont débarqué et constaté qu’ils étaient bien morts, ils ont dû me prendre pour une débile en m’emmenant : hébétée, j’arrêtais pas de répéter,
« Mais ce que je suis conne…. Mais ce que je suis conne… »