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D’où vient notre inspiration pour écrire ?

Cette question « d’où vient notre inspiration pour écrire » est de Michel Butor, écrivain renommé,. La réponse qu’il apporte rompt radicalement avec le don et aborde la création littéraire de manière concrète, en éclairant le lecteur de sa longue expérience.

Michel Butor, ou l’analyse de la création littéraire

Première partie

Aujourd’hui, nous allons méditer. Ah ? Oui, sur ce qui (ou quoi) nous sommes d’un point de vue littéraire. Plus précisément, pour reprendre une des antiennes hantant confusément auteur comme lecteur, « D’où ça vous vient ? ». Cette interrogation initiale de Répertoire V, qu’on doit à l’excellent Michel Butor, m’a inspiré cet article. Je ne vais pas vous mentir, bien qu’il revienne à un auteur de le faire de la façon la plus éhontée possible : je n’ai pas lu ce livre entièrement, pour l’instant. Seulement une trentaine de pages sur les plus de trois cents qu’il propose. Mais cet ouvrage est si riche d’idées quasiment à chaque paragraphe qu’il m’apparaît bénéfique à toutes et tous, moi le premier, d’en partager quelques-unes. Eh oui, quand je vous parle, je réfléchis dans cet échange silencieux qui nous met tant de mots en tête…

Lier les mots

Les mots renversés

L’écriture donne du sens quand une logique lie les mots entre eux. Lorsqu’ils ne sont pas exclus l’un de l’autre par un manque de cohérence. Ça vous paraît évident, je suppose. Mais comment en parler autrement qu’en disant : « J’assemble les mots de telle manière ou de telle autre, car ça me semble aller de soi » ? Ce sur quoi réfléchit Butor de façon pertinente, et qui forcément ne peut qu’intéresser les personnes qui écrivent (je le vends bien mon article ?). Je vais le citer illico presto pour emballer la machine à cogiter : « Il ne suffit pas que des choses neuves vous apparaissent, que la grâce de l’originalité vous touche, il faut aussi se battre pour fixer tout cela, le manifester, et il y faut une énorme quantité d’énergie parce que, si vous renversez un mot important, donc une pièce importante du fonctionnement social, vous provoquez généralement une réaction violente. ». Eh bien, si nous ne trouvons pas matière à discussion après ça…

Du boucan dans le récit

Deux verbes m’ont interpellé dans leur proximité au cours de ce passage : « fixer », et « manifester ». Le premier fige notre pensée, la rend aussi stable et massive qu’un monument inaltérable ; le second exulte, pour ne pas dire qu’il gueule. Bon, si vous y voyez une métaphore des Gilets jaunes et de l’Arc de triomphe, je ne vous en voudrai pas, mais là n’est pas mon propos. Fixer sa parole, c’est l’ancrer dans un discours quel qu’il soit. C’est un socle comme en nécessite toute histoire. Manifester, c’est faire du boucan dans notre récit pour lui donner de la vie, que les choses branlent, que l’intrigue s’affole, que des mécanismes textuels menacent d’éclater en un cassage de boulons que sont les mots quand ils sont mal serrés.

Ces différences qui font du neuf avec du vieux

Il n’y a rien de plus neuf en littérature que ce que les autres ont oublié d’écrire, semble nous dire Butor. Et en cela, je lui donne mille fois raison. Certes, tout a été écrit, et de bien des façons. Sauf la nôtre. Eh oui, on peut être inventif de par notre point de vue si, partant d’une hypothèse commune, on en tire des conclusions différentes, ou bien on les exprime d’une façon qui les rend différentes. Ce n’est pas que l’on souhaite forcément afficher sa singularité par rapport à ce qui a déjà été écrit, ou pour s’opposer à une tendance que ladite hypothèse a suscitée, non. C’est juste que, chemin faisant, ce phénomène mystérieux qu’est l’écriture à bien des égards nous mène vers une autre destination que celle à laquelle, intellectuellement parlant, nous avions prévu de nous rendre.

Là où le texte va

Là où j’irai, mes potes iront (c’était mon moment « Halloween »)

À ce sujet, Butor dit ceci : « […] deuxièmement, que le texte vient de ce qu’il sera ; troisièmement, que le texte vient de ce qu’il devient, de ce qu’il commence à être. ». Le côté figé, stable, que j’évoquais précédemment peut être considéré comme notre idée de départ. Mais « si vous renversez un mot important », si par une de ces inspirations permanentes parsemant un texte vous déviez de ce que vous aviez en tête au début, notre pensée s’enroule sur elle-même pour nous amener là où nous ignorions aller. D’où le « le texte vient de ce qu’il sera ».

De l’escrime au plan

Je trouve cette théorie séduisante, car elle contient en elle la part d’incertitude de l’écriture aussi bien borné soit le plan de notre histoire. Ça met par ailleurs sérieusement à mal la thèse de certain(e)s affirmant que leur imaginaire serait bridé s’il était encadré par une structure. Ce que je dois l’avouer me réjouit depuis le temps que je m’escrime, fine lame que je suis, à convaincre tout un chacun de l’importance de baliser soigneusement son texte avant de s’y jeter à plume perdue. Vous pensez que je viens de digresser ? Pas du tout. Ça faisait partie de mon plan. Non mais.

De l’importance du questionnement

Revenons à la question originelle de ce merveilleux article (vous pouvez remplacer « merveilleux » par « admirable », je n’en prendrai pas ombrage) : « D’où ça vous vient ? ». Et cette question, histoire d’enclencher le mode interactif de cet admirable billet (vous pouvez remplacer « admirable » par… ah, vous n’aimez pas le comique de répétition ? Mince, c’est bien ma veine !), cette question, donc, j’aimerais que vous vous la posiez. N’attendez pas d’être célèbre pour que, passage obligé lorsqu’on interviewe un écrivain, on vous demande d’où vient votre inspiration. Car voyez-vous, il me semble important de s’interroger sur les mécanismes intellectuels déployés pour écrire. Nous allons voir pourquoi dans le magnifique paragraphe suivant (vous pouvez remplacer… ah mince, j’avais oublié)…

Avoir conscience de son art

Butor explique que « Les règles de tout genre littéraire sont les modes selon lesquels certains aspects de l’œuvre en cours apparaissent à la conscience de l’écrivain ; et c’est généralement de cela qu’il est capable de parler quand on l’interroge. ». Voilà pourquoi ce dont je causais à l’étage au-dessus revêt une certaine importance : se questionner sur son art est une indispensable prise de conscience pour qui souhaite aller au-delà d’une écriture basique. C’est en ayant la compréhension des techniques que l’on utilise, et donc d’être capable d’en commenter l’emploi, qu’on est certain de se les être accaparées tout à fait. Dans la seconde partie de cet article, nous verrons pourquoi il ne faut jamais partir en voyage sans une encyclopédie. Prévoyez une grosse valise à roulettes…

Vous pouvez lire la suite de l’article de Frédéric Barbas : L’art du renversement

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