Apprendre & Pratiquer le métier d'écrivain

Ecrire assez, mais pas trop

Écrire suffisamment pour exprimer sa pensée, ni trop, ni trop peu. Un savant dosage qui requiert un examen critique afin d’éviter la sécheresse tout en favorisant la clarté et le style.

Raturez, raturez, il en restera toujours quelque chose !

La chasse aux intrus

On gâche parfois notre talent en surchargeant nos phrases ou en se perdant dans des développements sans fin. Mais que supprimer ? Convaincus de devoir employer tous les mots à notre disposition afin de traduire au mieux notre pensée, nous avons de temps à autre une fâcheuse tendance à en rajouter. Tenez, ce « de temps à autre », vous n’avez pas l’impression qu’il ne se justifie pas tant que ça ? Si j’avais écrit « nous avons une fâcheuse tendance à en rajouter », ma phrase aurait conservé son sens, n’est-ce pas ? À la réflexion, « nous avons tendance à en rajouter » aurait même fait l’affaire… Eh bien, je vous propose de me rejoindre dans ma chasse aux intrus investissant nos textes !

Prendre le plus court chemin

La surabondance est un travers fréquent chez les écrivains. On se laisse volontiers séduire par un adverbe dont le retrait serait bénéfique à notre prose, ou tenter par l’étalement de notre pensée quand elle gagnerait à être concise. Écrire sur un sujet à la façon dont on réfléchit à voix haute, délayant notre propos, n’est pas rare chez certains auteurs. Il en résulte une écriture bavarde et peu passionnante tant le chemin paraît long avant que l’on sache à quoi l’écrivain veut en venir. Quand en plus il trouve judicieux d’enjoliver – croit-il – son écriture, le rythme et l’intérêt s’en ressentent. En matière d’insistance, si la pédagogie est l’art de la répétition, la littérature est plus celui du retour sur les choses. Dans le premier cas, une fois examiné un sujet et ayant pensé en avoir fait le tour, on recycle à l’infini nos conclusions, devenues des connaissances, le discours ne variant guère puisque contenu dans les limites du domaine abordé.

Revenir à ses obsessions

Dans le second cas, on cherche de nouvelles pistes, des bifurcations, des ramifications se nourrissant de la matière première qui nous a inspiré et dont on espère qu’elle devienne autre chose. Comme si les mêmes racines produisaient des plantes différentes. Beaucoup d’écrivains ont ainsi des thèmes obsessionnels qui les font sans cesse revenir sur leurs pas en essayant le plus possible d’éviter le ressassement. Que ce soit sur le fond ou sur la forme, il faut fuir le risque de devenir la copie de soi-même – à ne pas confondre avec demeurer fidèle à qui on est en tant qu’auteur. Le danger existe d’amasser des couches de vocabulaire neuf sur de vieilles idées comme de la peinture fraîche sur des poutres vermoulues. Jusqu’à ce que l’édifice de nos connaissances jamais renouvelées s’écroule. Jusqu’à ce que les racines ne nourrissent plus nos idées.

Je n’en ai pas besoin, alors je le garde

Un adjectif, ça va, trois, bonjour les dégâts !

Ah, ces fichus adjectifs, qu’est-ce qu’on les aime ! À raison, parfois. À tort, souvent. Qu’ils servent à renforcer une image ou un sentiment, ils s’avèrent d’une efficacité redoutable. Pourquoi s’en passerait-on ? Après tout, rien de mieux pour enrichir son style, pas vrai ? Oui… sauf que lorsque ça vire à la surenchère, on obtient l’effet inverse de celui qu’on recherchait : au lieu de clarifier notre propos, de l’appuyer, il s’en trouve encombré. Comment savoir quand un adjectif s’avère indispensable ? La même question se pose pour les adverbes sournoisement dénoncés plus avant.

L’attachement au superflu

On doit s’interroger sur la pertinence de chaque mot destiné à en nuancer un autre. Si on constate que cet ajout ne modifie pas son sens, à quoi sert-il ? Je ne pense pas qu’un long développement s’impose afin de répondre à cette question. Une fois l’inutilité d’un mot établie, il ne reste plus qu’à se jeter à pieds joints sur la touche suppr de votre clavier et le tour est joué ! Se jeter à pieds joints n’étant qu’une expression pour souligner la détermination que vous devez mettre dans votre geste, un simple doigt suffisant pour obtenir le même résultat. J’insiste sur le côté résolu du geste afin de se séparer du superflu. Il arrive que même persuadé qu’un terme soit sans effet sur notre propos, on le conserve de façon presque inconsciente en une sorte de réflexe conditionné par un « attachement littéraire ».

Au pain sec et à l’eau

Vous avez déjà constaté ce phénomène : bien que l’on comprenne que quelque chose cloche dans une phrase, notre esprit ou/et nos yeux se livrent à une sorte de saut d’obstacle. Comme si le mot « inopérant » avait fusionné avec celui dont il a échoué à altérer ou à sublimer la signification. Notre pensée absorbe alors cet attelage dans sa globalité comme un tout acceptable. On restreindra la masse superflue de notre écriture en se débarrassant de ces trompe-l’œil textuels par un nettoyage consciencieux. Votre lecteur vous saura gré d’avoir rendu votre prose moins verbeuse ! Il ne s’agit cependant pas de mettre ledit lecteur au pain sec et à l’eau en lui réservant des centaines de pages où s’aligneraient des phrases ascétiques. Racler son écriture jusqu’à l’os ne signifie pas qu’elle manque de chair, mais bien qu’on en a évacué la mauvaise graisse.

Perdre son souffle en donnant de la voix

Gueulons !

Vous devez comme moi connaître la technique flaubertienne du gueuloir : l’exercice de la lecture à haute voix se révèle impitoyable pour les débordements adjectivaux ou autres. Faites l’essai. Vous serez surpris de voir que ces mots qui coulaient de vos doigts se coincent dans votre bouche. Si ça vous racle la gorge, votre lecteur étouffera. Après avoir gueulé un bon coup, on reprend sa respiration pour dénicher tout ce qui parasite nos écrits. Vous avez dû le remarquer, écrire simplement est compliqué. On veut aller à l’essentiel, mais il se trouve que notre vocabulaire est si riche que nous voudrions faire de chaque phrase une fortune. On tournicote autour d’un volcan de mots en attendant son éruption, et quand le jaillissement survient, ils nous brûlent les mains au point qu’on les jette précipitamment sur la feuille, sans ordre… et s’y figent ainsi. Nous sommes gourmands de ce que les dictionnaires abritent, mais à trop piller ce garde-manger de notre intellect, on en oublie les bases : le style ne doit pas s’exercer au détriment de la clarté.

Un zest de banalité ne nuit pas

Il y a une chose pire que parler pour ne rien dire : écrire pour ne rien dire. À l’oral, ma foi, c’est « excusable » : une conversation sans banalités, ça n’existe pas, ou alors vous possédez un cercle d’amis se donnant un sacré temps de réflexion avant d’ouvrir la bouche pour qu’il n’en sorte que des considérations du plus haut intérêt. Je ne dis pas qu’un texte ne doive pas contenir quelques banalités si elles lui permettent de paraître réaliste. Un dialogue dans la « vraie vie », c’est beaucoup de bavardage. Transposez le tel quel à l’écrit, vous courrez à la catastrophe, car le sentiment qu’il regorge d’approximations, de redites, de ruptures de cohérence, etc., dominera. C’est donc en n’étant jamais parfaitement calqué sur celui qu’on noue au quotidien qu’il donnera l’illusion de la vraisemblance. N’oublions jamais que les accents de vérité ne peuvent pas tout emprunter au réel sans que celui-ci déborde en un flot de scories dans notre écriture…

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