Apprendre & Pratiquer le métier d'écrivain

Écrire renforce-t-il notre égocentrisme ?

Se voit-on meilleur que nous le sommes réellement ? À quel point notre égo en écriture est-il un peu gonflé par notre désir de briller ? Ce « nous » excluant celui qui écrit ici, on peut se demander combien tomberaient de haut pour peu qu’ils ouvrent les yeux.

Il ne faut pas être sorti du sarcophage de Thot pour avoir conscience de la propension des scribes modernes que nous sommes à projeter dans l’écriture leur propre image avec une tendance plus ou moins prononcée à l’enjoliver. Se valoriser par l’intermédiaire de nos écrits a ceci de naturel qu’on opère un travail destiné à séduire intellectuellement le lecteur, ce qui sous-entend une mise en avant de notre intelligence. Il arrive que la suffisance prenne le pas sur l’humilité lors de cette démarche, mais la figure de l’écrivain égotique jusqu’à devenir imbuvable est-elle représentative de celles et ceux exerçant ce métier, ou bien n’est-ce qu’à la marge que ce constat s’effectue ? Cette question formulée avec un brio insultant ma modestie fera l’objet de cogitations diverses dans l’article qui suit…

Tromperies

Se tromper ou tromper les autres ?

S’interroger sur ce que la part consciente de nous-même s’apprête à transposer du hangar à mots qu’est notre boîte crânienne à la page vierge où s’y entreposeront des palettes de phrases – oui, j’ai mon permis cariste – précède un choix. Celui de la dose fictionnelle que l’on va injecter dans notre histoire, si jamais elle s’inspire d’événements ayant un quelconque rapport avec notre vécu. Autrement dit : à quel point juge-t-on nécessaire d’embobiner son lecteur, et partant de là, à mentir sciemment à nous-même. Hormis relater un parcours de vie hors du commun, si l’on ne romançait pas un tant soit peu la réalité, la fadeur qui s’en dégagerait imprègnerait notre récit au point de le rendre très vite ennuyeux. Et nos personnages bien pâlichons. Et nous ne voulons pas de ça, oh que non !

Une mauvaise foi de qualité

Notre mauvaise foi ou notre honnêteté intellectuelle, nos défauts comme nos qualités, peuvent rejaillir sur nos protagonistes sans trop nous mettre en danger : il suffit, à condition de mettre la distance nécessaire pour que le manichéisme ne s’en mêle pas, de se livrer à un savant saupoudrage de nos valeurs – de ce qui nous empêche de les atteindre autant que ce qui nous permet de les mettre en pratique –, pour étoffer nos personnages. Ainsi transparaissons-nous  plus ou moins à travers les décisions, les actes, les prises de position etc de nos héros ou antagonistes. Question de dosage, je l’ai dit.

Dans les profondeurs de l’ego

Rien que de très classique dans le processus créatif relié à qui nous sommes, me ferez-vous remarquer. Si, je vous connais, vous ne pourriez pas vous en empêcher. De fait, si l’ego n’entrait pas en ligne de compte, nous nous serrerions la main et en resterions là pour cet article, mais en demeurant à la surface des choses. Ce qui n’est pas vraiment le genre de la maison. Merci donc de bien vouloir vous munir de palmes, d’un détendeur et d’une combinaison avant de plonger dans la deuxième partie. On n’est pas là pour buller. Allez plouf ! la palanquée !

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L’ego en question

Démesuré ou pas ?

Pour préciser les choses d’emblée, il serait bon de rappeler que l’ego n’est pas systématiquement, loin s’en faut, associé à l’orgueil ou à l’arrogance. C’est, avant de le mettre sous la loupe déformante d’un automatisme intellectuel lui adjoignant volontiers l’adjectif « démesuré », ce que l’on perçoit de notre personnalité. Cette perception qu’on a de soi repose en partie sur des pensées illusoires faussant l’image que nous possédons de nous-même. Ces illusions intègrent nos peurs comme nos croyances, et toutes choses sur lesquelles il est difficultueux d’avoir le contrôle. Au point que si l’ego prend le dessus, en devenant pour le coup démesuré, il empêche l’émergence de notre « être authentique ».

Le moteur à écraser le lecteur

Pour un écrivain, l’ego est entre autres choses un moteur nécessaire pour s’affirmer dans son écriture, moteur dont il doit s’assurer qu’il ne s’emballe pas en se mettant à trop ronfler des soupapes (rejoignez le mouvement des Dépoussiéreurs d’Expressions, comme par exemple le bien connu « rouler des mécaniques »). Le danger est donc celui-ci : ce besoin peut se muer en un désir constant et inassouvissable d’être reconnu comme supérieurement intelligent dans presque tous les domaines, à commencer par celui qui nous concerne ici. Mais il y a une raison tout ce qu’il y a de logique à ce que l’on peut à juste titre considérer comme une attitude détestable, lorsque la satisfaction d’écrire devient un moyen « d’écraser » l’autre. Pff, faut toujours que ça finisse comme ça quand il y a le terme « moteur » dans une analogie…

Quand on pense donner de la confiture aux cochons

L’écrivain égotiste, son truc à lui est d’être persuadé de valoir mieux qu’autrui. Pardon ? Qui vivra verrat ? Sachez, madame qui pouffez derrière vos gants en peau de pécari, que je ne vous remercie pas pour cette blague éculée. Plus sérieusement, cet auteur-là estime primer sur les autres par le simple fait d’exister. Bien que l’acte d’écrire s’inscrive pour une part dans une recherche identitaire, elle est faussée par le fait d’amplifier son statut d’écrivain par rapport au rôle qu’il tient réellement dans la société. Si l’on est en droit de trouver une telle façon de penser plus que discutable, on peut aussi voir une faille dans cette quête incessante d’une perfection chimérique, pour ne pas dire une fragilité narcissique. L’explication à venir quant à ça va sans nul doute vous ébaubir comme seul moi en suis capable. Oui, je reste dans mon thème.

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L’orgueil : les faits, rien que l’effet

L’avis

Écrire comporte deux risques majeurs pour notre orgueil : les avis et la comparaison. L’un comme l’autre peuvent percuter notre ego de plein fouet, et dès lors le faire vaciller. Le problème étant qu’au lieu de le faire s’écrouler, c’est le genre de collision avec la réalité apte à le renforcer. L’ego n’est pas mal intentionné par nature, pas plus chez un écrivain que chez une personne pratiquant un autre métier. Le principe est cependant le même quand l’estime de soi est remise en cause par rapport au domaine dans lequel on pense exceller. S’ensuit une sur-réaction émotionnelle le temps que l’ébranlement de l’ego cède la place à une stratégie de défense intellectuelle bien rodée lui permettant de se remettre en toute quiétude sur son axe. Afin que l’orgueil réagisse par un effet supposé séduire celui ayant énoncé un fait lui étant opposé.

Les fondements de la forteresse

Mais comment donc un ego surdimensionné a-t-il appris à construire un tel système visant à l’épargner ? Il est tout simplement né de nos propres expériences, en particulier celles nous permettant par des réactions instinctives d’obtenir ce que l’on souhaite, et ce dès le plus jeune âge. Un enfant sait par exemple que s’il se montre agréable, s’il répond favorablement à une demande de l’adulte, son bon comportement lui vaudra une récompense allant d’un compliment à l’achat d’une friandise, voire d’un jouet qui lui fait envie. Si ses envies dépassent ce qu’on peut lui offrir, il retiendra plus le refus d’accéder à sa demande que la cause légitime l’en privant.

Cet enfant capricieux qui est en nous

C’est ainsi que l’ego, si on le personnifiait, pourrait ressembler à un enfant capricieux rendu furieux lorsqu’une situation le place dans un déni par rapport à la non satisfaction de ses exigences. Un écrivain auquel on fera une remarque mettant en doute l’objectif qu’il croyait atteint se fermera à une suggestion pourtant susceptible de le faire progresser. Il préférera l’ignorer pour mieux se convaincre d’avoir raison, pour se trouver du matériau supplémentaire à la consolidation de colères et de croyances prenant leur source dans des frustrations remontant à des années et avec lesquelles il n’aura jamais pris le moindre recul même une fois adulte tant elles sont ancrées en lui.

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La souffrance dans un champ de citrouilles

Les ravages de la flatterie qui ne vient pas

Un auteur dont l’ego ne dépareillerait pas un champ de citrouilles s’attend donc à ce qu’un avis qu’il sollicite sur un de ses textes soit au minimum élogieux. Si la flatterie qu’il espère n’est pas au rendez-vous, ce n’est pas lui qu’il remettra en cause, mais celle ou celui lui ayant fourni son opinion avec sincérité. En lui soumettant un fait n’allant pas dans son sens, on mettra son ego dans l’incapacité de gérer une situation frôlant une crise existentielle dont il est à l’origine. Cette incompréhension originelle nourrira un sentiment d’injustice mis sur le compte de la jalousie de ceux ne reconnaissant pas suffisamment, selon lui, ses mérites.

Une intrusion dans la tour d’ivoire

La personne dont l’ego est « fabriqué » de la sorte ne sortira de ce cercle vicieux qu’en acceptant qu’un ressenti extérieur allant à l’encontre de ce qu’il pensait être un accomplissement n’est pas là pour le dévaloriser ou minimiser la réalité de ses efforts, mais pour l’aider. Seulement, vous l’aurez compris, se poser en contradicteur d’un individu autocentré déclenche chez ce dernier une résistance à une tentative jugée hostile, car apparentée à un passage en force jusqu’à sa tour d’ivoire. Dur chemin, les copains. Avec « les copines », je n’ai pas trouvé de rime échappant à la censure, désolé.

La comparaison

La comparaison a le même effet chez un écrivain doté d’un ego excessif, à la différence notable que le sentiment de dévalorisation ne viendra pas directement d’une personne à qui on a demandé son avis, mais du jugement sur la réussite d’auteurs rencontrant un succès qui, s’il peut nous motiver dans un élan euphorique, peut aussi nous déstabiliser si l’on pense que ne pas avoir encore percé dans le milieu constitue une anomalie inacceptable. Combien de fois en effet s’est-on dit : « Bon sang, les textes écrits par ce mec ressemblent à ce qui sort de sous la queue d’un chien, et pourtant, lui s’est fait une place au soleil chez un éditeur. »

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L’échec libérateur

La souffrance gouvernant une image de soi falsifiée

Un auteur possédant une juste mesure de son estime de soi s’en servira comme d’un défi à relever. Un écrivain dont l’ego est gonflé à l’hélium n’y verra pas l’occasion de rectifier son mode de pensée, mais un prétexte supplémentaire à dénigrer les autres tout en exacerbant son désir d’avoir toujours raison contre vents et marées. Comme on le voit, l’introspection n’est pas vraiment de mise chez un écrivain égotique, l’image de sa « fausse personnalité » étant si présente en lui qu’elle s’oppose de toutes ses forces à une démarche réflexive. C’est pourtant le chemin qu’il lui faudra emprunter pour échapper à la véritable souffrance qui, au-delà du sentiment d’être au-dessus de la mêlée, gouverne qui il est.

La mise en échec de ce qui nous est nuisible

Pour ne plus être la première victime d’un ego ne le rendant que superficiellement heureux, un auteur doit – et c’est tout à fait de l’ordre du possible, heureusement – reconditionner son esprit de telle sorte qu’il comprenne que se consacrer à l’écriture est la préparation de la mise en échec de la part nuisible de son ego. Une pilule moins difficile à avaler qu’il n’y paraît en dépit de l’apparente solidité mentale armée pour résister à la voix de la raison. Ce n’est pas une faiblesse de s’aimer, mais penser que bien écrire passe par obliger notre lecteur à nous croire dépourvu de défauts est une erreur.

L’envol

Il faut dans un premier temps se faire à une évidence connue de chacun : on ne peut pas être aimé de tous. Et partant de là, tirer les « leçons » qui s’imposent, comme cesser de prendre en mauvaise part une réflexion anodine comme si notre vie en dépendait. Ce n’est pas accepter une main tendue qui est ridicule, mais bien l’inverse. Le refus d’être aidé n’est qu’un trompe-l’œil glorifiant nos certitudes erronées. Un ego trop pesant nous empêche de prendre notre essor. Pas pour survoler les autres, mais afin de profiter avec eux d’un point de vue que confère la volonté de prendre de la hauteur…