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20 bonnes raisons de devenir écrivain – 19 – Le dialogue

Le dialogue : l’art de reconstruire une conversation plus vraie et intéressante que nature. Cet article vous explique comment bâtir votre dialogue en évitant les fautes les plus grossières. La 19e leçon d’Antoine Albalat, extraite de L’art d’écrire en 20 leçons, est commentée par Frédéric Barbas, correcteur d’édition

 

Le dialogue :  l’art de reconstruire une conversation plus vraie et intéressante que nature

 

La définition d’Antoine Albalat

« Il exige des qualités de mouvement, de rapidité, d’élégance concise et entraînante, qui constituent précisément la vocation dramatique.

C’est qu’il y a deux sortes de dialogues : l’un, littéraire, phrasé, construit, livresque ; l’autre, qui est la reproduction photographique de la parole parlée, dans son raccourci imprévu, sautillant, fiévreux, primesautier, elliptique. Or, rien n’est plus difficile que l’art d’équilibrer ces deux extrêmes […]

En général, le dialogue ne peut avoir la vivacité, la vie, l’illusion du vrai, s’il est écrit dans le style même de la narration ou du récit. Il y faut d’autres phrases que les phrases d’un livre ou d’un morceau littéraire ; des phrases conçues autrement, plus courtes, plus haletantes, plus coupées. » précise Antoine Albalat

 

Évitez de trop « écrire les dialogues »

Commençons par ce qu’il est préférable d’éviter de nos jours. Fénelon est à l’œuvre, ici :

« Bourbon — Et moi, je suis victorieux d’un ennemi qui m’a outragé ; je me venge de lui ; je le chasse du Milanais ; je fais sentir à toute la France combien elle est malheureuse de m’avoir perdu en me poussant à bout : appelles-tu cela être à plaindre ?

Bayard — Oui : on est toujours à plaindre quand on agit contre son devoir ; il vaut mieux périr en combattant pour la patrie que la vaincre et triompher d’elle. Ah ! quelle horrible gloire que celle de détruire son pays !

Bourbon — Mais ma patrie a été ingrate après tant de services que je lui avais rendus. Madame m’a fait traiter indignement par un dépit d’amour. Le roi, par faiblesse pour elle, m’a fait une injustice énorme en me dépouillant de mon bien. On a détaché de moi jusqu’à mes domestiques, Matignon et d’Argouges. J’ai été contraint, pour sauver ma vie, de m’enfuir presque seul. Que voulais-tu que je fisse ?

Bayard — Que vous souffrissiez toutes sortes de maux, plutôt que de manquer à la France et à la grandeur de votre maison. »

Etc.

Ce que pense Albalat des lourds rouages du dialogue fénelonien ? Ceci :  « C’est là le contraire du vrai dialogue dramatique. Ce qu’il y faut, c’est le mouvement. Débarrassez la phrase de sa structure écrite et rendez-là avec l’aspect qu’elle a dans la conversation. »  Difficile de dénicher dans cet échange empesé « l’élégance concise et entraînante » ou un caractère « sautillant », quant à la notion d’ellipse, elle s’est fait porter pâle…

 

Mentionnez uniquement les détails indispensables

Fénelon n’oublie rien qu’on puisse mentionner, c’est probablement son « tort ». Le discours s’en trouve chargé de ces précisions freinant le moindre élan. Cela tient moins au style en usage à l’époque qu’au fait de penser qu’il soit indispensable de tout argumenter quand on pourrait s’en tenir à l’essentiel, et à dire vrai, quand il le faudrait ; de nos jours, le dialogue n’est pas, ou plus, l’inventaire d’une situation, mais bien le moteur mettant en branle la personnalité des protagonistes. Il doit y avoir comme une urgence à en venir au fait, ce qui n’entre pas en contradiction avec le désir bien naturel de ménager ses effets, même si idéalement, l’effet en question sera contenu dans la réplique.

S’il y a de la place dans un dialogue pour le récit des choses passées ou l’anticipation de celles à venir, c’est dans l’instant présent qu’il se révèle souvent le plus percutant ; les événements s’étant déjà produits peuvent perdre un peu de forces, quand ceux dont on attend le déroulement n’ont pas encore regroupé les leurs.

Le lecteur se laisse volontiers prendre par l’intensité d’un flash-back et l’éclairage qu’il apporte aux agissements en cours des personnages ; de même, l’élaboration d’un plan, les interrogations du héros sur des décisions qu’il sera amené à prendre, susciteront son intérêt. Par contre, cela ne doit entraver l’action qu’à la marge ; le dialogue y contribuant, on évitera qu’il piétine ou subisse les saccades d’une narration à la temporalité dispersée.

 

Faites transparaître la personnalité des personnages

Découvrons maintenant, avec Alphonse Daudet, un style autrement enjoué ; plus d’un siècle et demi s’est écoulé depuis la mort de Fénelon (en 1715, quand ce qui suit fut publié en 1883), et cela se sent : indépendamment des qualités respectives de chacun, la plume s’est allégée, courant donc plus vivement, et l’on voit dans cet extrait de « L’évangéliste » les contours déjà bien dessinés et plus identifiables du dialogue tel que nous le connaissons actuellement :

« L’orgueil, il n’y a que l’orgueil de vivant chez cette femme… Ni cœur ni entrailles… La peste anglicane a tout dévoré… Aussi dure et gelée… Tiens ! ce marbre… »

Le vieux doyen, assis devant la cheminée, frappa violemment le manteau du foyer avec les pincettes, que Bonne sans rien dire lui retira des mains. Il ne s’en aperçut pas, tant il était animé, et continua le récit de sa visite à l’hôtel Autheman :

« Je l’ai raisonnée, priée, menacée… Je n’ai rien obtenu que des phrases de sermon, la tiédeur de la foi, l’utilité des grands exemples… […].
— Le mari était là ?… demanda la petite vieille épouvantée… Et il ne disait rien ?…
— Pas un mot… Seulement son sourire de travers et cet œil qui vous brûle comme une lentille au soleil…
— Mais assieds-toi donc… Es-tu dans un état !… »

Debout derrière la chaise où se reposait enfin son grand homme, Mme Aussandon lui essuyait le front, un front de pensée, large et plein, lui ôtait son foulard de cou, qu’il avait gardé en rentrant.

« Tu t’excites trop, voyons…
— Comment veux-tu ?… Un si grand malheur, une telle injustice… Il me fait pitié, ce pauvre Lorie.
— Oh ! celui-là… » dit-elle avec le geste de sa rancune contre l’homme qu’on avait un moment préféré à son fils.
« Mais la mère !… Cette mère qui ne peut pas même savoir où est son enfant… Te vois-tu, toi, en face de cette femme et de son silence que la lâcheté des hommes autorise ?… Que ferais-tu ?
— Moi ? Je lui mangerais la tête… »

 

Préférez le langage parlé et l’expression spontanée

Ce passage redonne le sourire à Albalat :

« Voilà du vrai dialogue parlé et non du dialogue écrit. […] En un mot, pas de constructions phrasées, pas de tournure guindée, pas de moule littéraire ; dégagez la phrase pour lui laisser la spontanéité, l’allure vive, l’aisance du moment, le fouettant et l’imprévu de la réplique ; mais que le dialogue soit cependant tenu, manié avec tact, sentant encore le style, non le style narré, expositif et appliqué, mais un style discret, une intention d’éloquence qui porte ; et qu’on sente les rênes sans voir la main. »

J’ai pour ma part effectué une coupure après « l’utilité des grands exemples… », car le début de ce dialogue… tournait au monologue ! Sa seule véritable petite « imperfection » au regard de ce que de manière générale nos auteurs nous proposent désormais, qui ne « gaspillent » guère de mots avant d’entrer dans le vif du sujet, une réplique en appelant presque instantanément une autre.

Cela dit, Daudet fait par ailleurs montre de verve et d’un sens du rythme irréprochable. On relèvera l’abondance des points de suspension, sans doute une manie d’alors qu’on retrouve chez un de ses contemporains, Octave Feuillet, dont les dialogues sont tenus par Albalat pour un modèle. Pour vous faire un avis, cet extrait du roman « Un mariage dans le monde » ; Albalat remet dans son contexte la scène à venir : « Mme de Rias reçoit la visite de sa cousine, Mme d’Estrény, qui a fait, vainement d’ailleurs, des coquetteries et des avances à M. de Rias. »

Voici leur discussion :

La conversation se traîna quelque temps dans les lieux communs, puis elle tomba tout à fait, et le silence ne fut plus interrompu que par le pétillement du feu et par les soupirs de la duchesse.

« Est-ce que tu es malade ? dit sèchement Mme de Rias sans lever les yeux de sa broderie.
— Pourquoi me demandes-tu cela ?
— Tu ne fais que soupirer.
— Oui…, je suis un peu souffrante… et puis, j’ai envie de pleurer…
— Pourquoi as-tu envie de pleurer ?
— Que veux-tu !… Toujours la même chose !
— Quelle chose ?
— Je suis si malheureuse avec mon mari !
— Et tu as espéré être plus heureuse avec le mien ? » dit Mme de Rias, dressant brusquement la tête et regardant la duchesse en face.

Mme d’Estrény, après quelques secondes de muette confusion, se laissa glisser aux pieds de sa cousine, et, pâmée dans l’ampleur de ses jupes, elle fondit en larmes :

« Que dois-tu penser de moi ? murmura-telle.
— Je pense que tu n’es pas une bonne amie… Voilà ce que je pense.
— Je t’assure que si, je t’assure… C’est un moment de folie !… J’ai été jalouse de toi, de ton bonheur, c’est vrai… ; mais j’ai été si punie, si humiliée… J’ai si bien vu qu’il ne m’aimait pas, ton mari !
— Ce n’est pas à moi de t’en consoler, je suppose ?
— Il n’aime que toi, va, sois tranquille.
— Ce n’est pas ta faute, franchement… Voyons, relève-toi, Sabine… Je t’ai dit ce que j’avais sur le cœur… N’en parlons plus.
— Je t’ai fait beaucoup de peine, Marie ? dit la duchesse, dont les larmes redoublèrent.
— Beaucoup, dit Marie, qui commença elle-même à s’attendrir.
— Ma pauvre chérie !
— J’avais tant de confiance en toi ! reprit Mme de Rias d’une voix suffoquée.
— Mon Dieu ! Mon Dieu ! » dit la duchesse.

Et la fin de cette scène se perdit dans un bruit confus de pleurs et de baisers.

Je suppose que tout le monde n’a pas été renversé par cet extrait, car pour chaque qualité relevée, une réserve peut aussitôt venir la tempérer : c’est d’une lecture facile, mais sans grand intérêt apparent, écrit correctement, mais sans l’ombre d’une audace, et quand la causticité s’invite dans deux répliques de Mme de Rias ( « Et tu as espéré être plus heureuse avec le mien ? », « Ce n’est pas à moi de t’en consoler, je suppose ? « ), l’indulgence de cette dernière a tôt fait de l’affadir quelques lignes après. Le sujet lui-même, bien que rebattu, a dû inspirer de meilleures pages sous des plumes plus vaillantes.

 

Les paroles échangées dévoilent des tensions entre les personnages

Voici les critiques a priori objectives qu’on pourrait émettre.

Seulement, en s’attardant sur la construction de ce dialogue et la vitesse avec laquelle une tension se met en place, on ne peut que reconnaître l’habileté de Feuillet : l’introduction, classique, plante la scène ; on semble s’ennuyer ferme entre les deux femmes, et la conversation paraît déjà avoir été éreintée.

Les soupirs de Mme d’Estrény, associés aux pétillements du feu, donnent de prime abord l’impression de faire partie du décor. Or, ils sont tout sauf anodins : c’est le moyen choisi par l’auteur pour que dès la première phrase, l’hostilité de Mme de Rias se manifeste sans ambiguïté : la sollicitude à laquelle la question « Est-ce que tu es malade ? » prépare le lecteur est démentie dans la seconde par l’adverbe « sèchement » et l’attitude de Mme de Rias, qui ne quitte pas son ouvrage des yeux, soit la conduite inverse, fermée, d’une personne s’enquérant de la santé de quelqu’un.

Ensuite, pour mieux surprendre son interlocutrice, elle lui répond avec neutralité en reprenant ses termes (« Pourquoi as-tu envie de pleurer ? », « Quelle chose ? »), puis le piège se referme : « Et tu as espéré être plus heureuse avec le mien ? » ; le coup est assené. Et là, Mme de Rias plante son regard dans celui de Mme d’Estrény. Ça n’a l’air de rien, mais sous des dehors presque courtois, c’est assez violent.

Ce qui se passe après vaut qu’on s’y arrête : il n’y a pas eu de passe d’armes, car « l’adversaire » est à terre au propre comme au figuré dès la première attaque, une victoire aussi fulgurante que facile entraînant chez Mme de Rias une commisération cette fois non feinte. Feuillet, qui nous la rendait jusqu’alors capable d’une cruauté manœuvrière, dévoile sa part de vulnérabilité.

Après l’expulsion de ce qui se terrait dans un non-dit, les deux femmes s’étant fait souffrir l’une l’autre se réconfortent mutuellement. En quelques lignes sont traitées l’amorce d’un conflit, son éclosion puis sa résolution. En dépit d’une littérature n’élevant pas la voix et d’une écriture si épurée qu’on en viendrait à la juger atone, ce dialogue est peut-être plus décoiffant que son ton faussement convenu ne le laisserait supposer.

 

Vos personnages prennent la parole : faites entendre le ton de la conversation !

Albalat louant régulièrement les vertus de la simplicité, il n’est guère surprenant que le style à la fois dépouillé et direct de Feuillet l’ait séduit. Sans le reproduire dans ce qu’il a d’un peu trop académique, on peut s’en inspirer pour la fluidité avec laquelle les répliques s’enchaînent et la façon d’aller méthodiquement d’un point A à un point B.

Le dialogue n’est pas uniquement destiné à « parler » ou à camper ses protagonistes, mais aussi à informer, que ce soit de façon divertissante, brutale, réflexive, poétique, etc. C’est un moyen supplémentaire donné à l’écrivain pour raconter son histoire, sans pour autant appartenir en propre à la narration. Il faut appréhender le contenu délimité par les guillemets ouvrant et fermant comme un « bloc dynamique » du texte, pas une zone de babillage. Un dialogue abouti permet de dire beaucoup sans être bavard. C’est un micro qu’on tend à ses personnages et qu’il nous appartient de couper net quand ce qui devait être dit l’a été : rien de plus, rien de moins.

N’oublions pas enfin que si le langage parlé et le langage écrit sont voisins de palier, l’un est rarement invité chez l’autre : en ce domaine, rien ne sonne mieux que le réel trafiqué.

« En résumé, pour réussir le dialogue, il faut le châtier le plus possible, retrancher le plus de mots qu’on peut, viser la concision, varier les tournures, se demander comment on dirait cela à haute voix, couler ses phrases dans le moule parlé. […] En général, le désir de briller nuit au vrai dialogue : on ne peut se résoudre à interrompre un personnage, à le maintenir dans ses répliques et le goût est victime de l’esprit. »

Bref, parlons peu, mais parlons bien.

 

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