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20 bonnes raisons de devenir écrivain – 4 – le style

Le style ! Beaucoup d’auteurs débutants se lancent dans l’écriture pensant avoir un « style ». Ces aptitudes, ces facilités ne remplacent pas le travail si spécifique que nous décrit Antoine Albalat, Frédéric Barbas, ex-correcteur d’édition pour L’esprit livre,  auteur blogueur, s’attache à décrypter les meilleurs conseils de cet auteur.

 

   Leçon 4    

                 Quatrième Leçon : le style

 

Qu’est-ce que le style au juste ?

Le néant fécondé

« Le style […] ce n’est pas seulement le don d’exprimer ses pensées, c’est l’art de les tirer du néant, de les faire naître, de voir leurs rapports, l’art de les féconder et de les rendre saillantes. Le style comprend le fond et la forme. »

L’art de tirer ses pensées du néant, de les féconder et de les rendre saillantes : tout un programme ! Rien qu’en développant ces trois « actions », on pourrait sûrement remplir plusieurs cahiers d’écolier tant les ramifications intellectuelles semblent substantielles. Ce néant d’où proviendraient les pensées est en soi quelque chose de suffisamment nébuleux, afin qu’on s’arrête un instant pour y réfléchir ; on préférera peut-être parler d’inspiration, ce phénomène moins impalpable, car auquel on est en mesure de trouver différente sources : nos lectures, les sujets de société, les faits divers, les films, la musique, les choses qui surviennent dans notre existence comme les voyages, les rencontres… il y a de quoi longuement dévider cette pelote.

On est donc en droit de songer qu’Albalat nous livre ici quelque chose de trop abstrait (tirer ses pensées du néant) pour que l’on en retire un quelconque bénéfice, mais on peut en tout cas comprendre l’idée sous-jacente, ce sentiment qu’il est possible de saisir une pensée semblant jaillir de nulle part, et, effectivement, la féconder et la rendre saillante, ce qui est bien plus parlant. Féconder une pensée, c’est, à partir de cette dernière, créer une arborescence de son imaginaire, la déployer ; la rendre saillante, c’est, après en avoir essoré les possibilités jusqu’à la dernière goutte, la racler jusqu’à l’os pour qu’elle devienne une arête vive du texte capable de crever la page pour sauter à la conscience du lecteur.

 

S’extraire de la gangue

« Il faut bien se persuader que les choses qu’on dit ne frappent que par la manière dont on les dit. […] Il (le style) relève ce qui est commun ; il trouve de nouveaux aspects à ce qui est banal ; il grandit ce qui est simple, il fortifie ce qui est faible. »

Ce qu’Albalat nous dit là pourrait paraître évident, mais on peut lui accorder que ça l’est car c’est parfaitement énoncé et, de constat, prendrait valeur de conseils sur le mode impératif (relevez ce qui est commun, trouvez de nouveaux aspects à ce qui est banal, etc.). Transcender la banalité n’est certes pas aisé, mais c’est une façon de se forcer à proposer à son lecteur un éclairage nouveau sur ce qui est d’ordinaire convenu, et pour ce faire, d’élaborer une vision qui transformera ce convenu en originalité.

Dès lors qu’il est question de porter un regard autre sur un sujet rebattu, on doit quitter ses petites habitudes littéraires, s’arracher de son style courant comme d’une gangue. L’acte peut être intellectuellement douloureux pour certains, voire la majorité, ou s’accomplir avec une relative fluidité pour d’autres, mais quoi qu’il en soit, il est nécessaire. Il faut parfois — souvent ? — sortir de sa zone de confort pour progresser.

Créez créez, il en restera toujours quelque chose

« […] le talent ne consiste pas à se servir sèchement des mots, mais à découvrir les nuances, les images, les sensations qui résultent de leurs combinaisons. Le style est donc une création de forme par les idées et une création d’idées par la forme ». Créer est bien entendu le maître mot du style. Ce n’est pas en régurgitant des procédés éculés que l’on parvient à surprendre son lecteur, néanmoins, il serait utopique de penser que l’on peut en faire totalement l’économie.

En évoquant des procédés éculés, il ne faut pas y voir la métaphore d’une charpente vermoulue qui s’écroulerait sous le poids de l’innovation. Par exemple, le cliché sert et servira encore à planter un décor, à décrire un personnage, comme le détective privé s’allumant une cigarette sous un lampadaire tandis que la pluie dégouline sur son chapeau de feutre. Le style a besoin des vieilles recettes, mais il ne faut pas qu’elles le rendent poussiéreux : « Le style est une création perpétuelle : création d’arrangements, de tournures, de ton, d’expressions, de mots et d’images. Plus cette création est sensible à la lecture, meilleur est l’écrivain. ».

Par exemple, On peut voir ci-après quel emploi ingénieux des mots est susceptible de donner de l’ampleur à sa prose… « Le mot indéterminée,  est un mot quelconque, géométriquement employé, sans éloquence, sans éclat. Sous la plume de Chateaubriand, il va prendre un prestige qui peindra tout un paysage lointain : ‘‘La clarté de la lune, sa clarté gris perle, descendait sur la cime indéterminée des forêts.’’. Le mot reposait est quelconque. Se rapportant à quelque chose qui ne repose pas, il devient saisissant. ‘‘La lune reposait sur les collines lointaines.’’ (Chateaubriand). »

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Quelques techniques pour affirmer son style

Repenser l’usage des mots

 

Détourner les platitudes

On voit qu’il y a comme une forme de détournement des mots dans ces deux phrases, et c’est ce à quoi doit s’attacher, quand il a maîtrisé la structure d’une histoire, l’écrivain amateur au cours de ses relectures. Il faut rendre son écriture gourmande pour faire saliver son lecteur, savoir donner un autre emploi à un mot usuel, presque anonyme, ou en tout cas auquel on ne pense pas forcément pour créer (toujours) un effet de style ; voici un autre exemple, de Pierre Loti cette fois, avec le terme annonciateur, « d’une banalité technique, officielle » : « Les tristes courlis, annonciateurs de l’automne, avaient paru dans une bourrasque de pluie ».

Albalat opère le distinguo entre la quintessence de ce que Loti a réussi à tirer d’un vocable banal et ce que n’aurait pas su effectuer un écrivain moyen : « Un autre eût pu dire : ‘‘Les courlis, en tristes oiseaux qui annoncent l’automne, avaient paru dans une bourrasque de pluie…’’ C’eût été un autre style, qui n’eût pas valu le premier. » Bien sûr, ces exemples ont un peu vieilli, bien qu’ils conservent charme et majesté. Mais l’idée motrice demeure, celle de parer les mots d’un potentiel imprévu, de les étirer comme de la cire pour patiner les phrases, leur donner du cachet.

Resserrer et affiner l’expression

«(le style) est diffus, pâle, incolore, lâche chez les mauvais écrivains ; serré, nerveux, en relief, chez les bons écrivains. »

Cette phrase d’Albalat semble renvoyer l’image de deux adversaires : l’un mou, dépourvu de muscles, l’autre un véritable athlète au sommet de sa forme. C’est la différence qui existe entre un auteur qui n’a pas encore accouché d’un style et celui qui en possède un constitué de trouvailles éblouissantes. Ces trouvailles, pour qui débute ou n’a pas encore trouvé sa voie. Il faut se les fabriquer, quitte à tâtonner plus ou moins longtemps avant d’avoir une réelle emprise sur les mots.

Pour ça, nous l’avons vu, il faut lire, mais pas seulement. Il est aussi important, quand on façonne une phrase, de ne pas se contenter d’exprimer une idée ou de dépeindre un paysage, mais d’extirper du champ fertile des mots celui qui rendra le meilleur grain. Celui qui nourrira votre écriture. Sans tendre vers un style précieux, préférez parfois un mot plus huppé qu’un autre, et encore cela ne suffit-il pas, il est bon de varier, de mélanger dans une tournure le bon, la brute et le truand, autrement dit faire s’entrechoquer les caractères forts de votre prose. Créer un contraste, à certains endroits d’un paragraphe, le valorise à tous coups, si la chose est bien faite.

 

Savoir ne remplace pas le travail à entreprendre sur ses textes

« Savoir beaucoup de choses n’apprend pas à être bon écrivain ; le style est indépendant de l’érudition […] Il y a des gens très savants, qui ne seront jamais écrivains, et il y a des écrivains brillants qui ne savent pas grand-chose. »

Ce passage peut évacuer bien des complexes. Certes, il est bon de posséder un solide bagage littéraire, de s’entourer des meilleurs auteurs, mais tout ne réside pas dans la consistance, dans le gavage. Il suffit de bien parler d’une pratique que l’on connaît, d’un métier, d’une région, d’une personne, d’une trajectoire de vie, etc., pour en tirer une bonne histoire avec des mots qui sonnent vrais, parce que c’est justement dans la réalité qu’on aura été les piocher.

Bien sûr, il sera profitable de peaufiner son écriture, d’injecter de la verve et du vocabulaire, de la technique aussi, mais l’authenticité demeure un socle inaltérable. Parler des choses que l’on côtoie est le meilleur moyen de ne pas être pris en défaut. Un calligraphe ne saura pas forcément restituer la journée d’un plombier, et inversement. Cela dit, de nos jours, la documentation est accessible à tous, mais elle ne remplace pas l’expérience. Parler de son quotidien avec le jargon qui s’y rattache peut être une piste intéressante pour de premiers écrits. Après, on affine, on introduit des personnages fictifs, on invente des destins, on utilise les échos de conversations pour ciseler des dialogues, bref, on farde juste ce qu’il faut le réel pour le rendre présentable, voire séduisant.

 

Percevoir l’unité et la structuration d’un texte

L’idée, trait-d’union entre la forme et le fond

« Les uns les séparent et les différencient ; le fond, ce sont les matériaux, les pensées, la substance, le sujet ; la forme, c’est l’expression, le revêtement, l’habillement. Cela fait deux choses à part. Les autres disent : le fond et la forme ne font qu’un ; on ne peut pas plus les séparer que le muscle de la chair. Il est impossible d’exprimer une idée qui n’ait pas une forme […] Quand on change la forme, on change l’idée, et de même la modification de l’idée entraîne celle de la forme. Travailler la forme, c’est travailler l’idée. »

Chacun se fera sa religion quant à savoir qui des « uns » ou des « autres » ont raison, mais on peut au moins établir une passerelle entre les deux avis : le fond appelle la forme, pas l’inverse, mais, comme le note Albalat, « c’est la forme qui fait valoir le fond. ». Pour caricaturer, sans le fond, la forme devient presque inutile, sauf, pour un auteur suffisant, à vouloir gonfler son ego en alignant de jolies phrases qui n’existeront que par elles-mêmes, sans se soucier qu’elles fassent sens. On pourrait, dans ce cas, appeler ça de la littérature décorative, ce qu’il est préférable de fuir.

Albalat pose en quelque sorte l’idée comme arbitre de cet éternel débat concernant qui de la forme ou du fond l’emporte sur l’autre, en suggérant qu’elle est à même de modifier la teneur du propos. Chez un auteur, une idée, c’est l’expression de soi. Tâcher de vouloir donner son opinion, c’est le fond ; l’écrire avec plus ou moins de talent, c’est la forme. Si l’on veut être attractif et convaincant, il est néfaste de faire l’impasse sur l’un ou sur l’autre. Quand on parle de fond, on fait appel à l’intelligence pure, à la pensée profonde ; quand on parle de la forme, on convoque la technique et les procédés, le métier, les ficelles.

Le style renforce le sens

« l’idée subit toujours les changements de la forme. », écrit Albalat, confrontant deux phrases : « Si, au lieu de dire : ‘‘Les martyrs étaient animés du désir de souffrir’’ ce qui me donne des consonances désagréables, je dis : ‘‘Les martyrs étaient animés de l’avidité de souffrir’’ (Bossuet), j’aurais trouvé une expression superbe qui aura changé l’idée, car le désir n’est pas l’avidité. ». On constate que l’impact d’une phrase peut tenir à un mot, le style ampoulé étant donc à proscrire. Albalat parle quelques lignes après, à travers un autre changement de forme que l’idée s’en trouve « modifiée ; elle a un autre aspect, un autre sens, d’autres nuances, un saisissement nouveau, une signification différente. ».

On peut être pratiquement dépourvu de fond et être à la fois écrivain, l’intrigue prenant le pas sur la réflexion, si elle est bien construite. Le lecteur ne réclame pas systématiquement matière à cogiter, mais la possibilité de passer un moment agréable. On compte bon nombre d’auteurs qui se contentent de narrer des péripéties, sans jamais solliciter l’intelligence de leur lecteur. Ce sont des lectures vides, on n’en retirera quasiment rien, outre le fait non négligeable d’être satisfait, voire rassasié, mais certainement pas enrichi. Dans l’idéal, le fond devrait amener à un questionnement, une contestation, un ravissement, une indignation, une remise en cause, etc.

La forme, elle, se doit d’enchanter l’esprit. Une saillie, et l’on est aux anges. Une phrase bien tournée facilite la progression d’un lecteur dans un roman, c’est un rouage important, si ce n’est primordial. On se sentira happé par l’ingéniosité d’un auteur, par sa faculté à manier les mots pour faire aboutir une idée. Rien ne remplace l’inattendu, aussi la créativité sera-t-elle bienvenue.

 

Cet incessant travail de l’écriture

« Nous l’avons tous constaté : en travaillant, en refaisant les phrases, nous croyons ne rien changer, n’améliorer que la forme, et voilà que tout se repétrit, les idées se multiplient ; il arrive des incidentes, les proportions grandissent, l’alinéa augmente ; nous apercevons des images inattendues, des rapports nouveaux, tant il est vrai qu’on ne peut toucher à la forme sans bouleverser l’idée. »

Chez Albalat, le triptyque fond-forme-idée ne semble pas pouvoir échapper à une interaction, on dira peut-être mieux une alchimie, qui fait que l’on en vient à modifier sa propre pensée et finalement être surpris par son évolution. C’est un sentiment que l’on peut partager, parce qu’il est vrai que l’on est souvent amené, quand on retravaille son style, à emprunter des chemins de traverse qui nous détournent de notre but premier pour en atteindre un autre parfois plus fructueux en terme de sens ou d’inventivité. Il est même assez fréquent, chez des auteurs novices ou confirmés, que l’histoire que l’on voulait au départ raconter en soit altérée, ce qui ne signifie pas qu’elle soit meilleure que celle prévue à l’origine, mais en tout cas qu’elle traduise de nouvelles interprétations de notre imagination. Ce côté imprévisible des choses, ce qui nous échappe en fait au niveau de la création mais que nous parvenons quand même à verbaliser, pourrait être considéré comme le supplément d’âme d’un texte.

« Il y a dans ce travail du style (et c’est un travail considérable) un côté qui est l’ordre, l’arrangement, le resserrement, la correction, l’ordonnance, les proportions, l’équilibre, la mise à point de toutes les pièces de cet échiquier qu’on appelle une phrase, une page, un chapitre. »

La référence aux échecs semble bien choisie tant le style nécessite une véritable stratégie pour triompher des difficultés que propose l’élaboration d’une phrase si l’on veut qu’elle soit à la fois brillante et efficace. On doit agencer ses mots de manière à ce qu’ils constituent un piège pour attirer le lecteur dans ses filets et penser plusieurs coups à l’avance pour boucler un paragraphe en demeurant constant dans sa qualité littéraire. Cela demande une souplesse intellectuelle qui réclame plus de réflexion que de talent, et c’est là où se tient notamment l’art du style, dans la capacité que l’on a de situer le mot juste en le rendant inattaquable.

À ce titre, on se doit de faire de chaque phrase une forteresse, de la cadenasser de telle sorte que rien ne puisse s’y immiscer, que le lecteur ne ressente aucun vide. Si l’on analyse le vocabulaire d’Albalat, on se rend compte qu’il est utile de faire preuve de détermination et de rigueur si on souhaite se fabriquer un style : ordre, resserrement, ordonnance, tout cela évoque presque l’avancée d’une armée dotée d’une discipline de fer, celle des phrases. Une véritable armée en marche !

 

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