Apprendre & Pratiquer le métier d'écrivain

Apprenez à construire des idées époustouflantes

Les bonnes idées ne se trouvent pas : elles se construisent. Cet article vous explique comment exploiter vos idées jusqu’à les rendre époustouflantes.

Souvent, on jette une idée sur la page, et on s’en satisfait, sans vraiment tenir compte de son potentiel. Les auteurs qui ne percent pas sont faits de ce genre de gâchis. Ils ne savent pas extraire et faire valoir dans leurs développements ce qui rend une situation insolite, étonnante, drolatique, d’inquiétant, de novateur ou simplement d’intéressante.

En ressassant des idées convenues et des situations prévisibles, ces auteurs oublient qu’un texte a besoin de nouveauté, de singularité, du regard personnel de l’auteur pour atteindre ses lecteurs.

Plus qu’une maturation naturelle ou l’application de recettes prêtes à l’emploi, les idées se construisent. Il existe pourtant des méthodes pour donner du coffre à nos élans créatifs. Tour d’horizon des procédés.

 

Qu’est-ce qu’une bonne idée en littérature ?

On peut avoir des informations, les tenants et les aboutissants d’un récit, des idées pour élaborer une histoire sans savoir les exploiter. L’objectif étant parvenir à bâtir une histoire capable de tenir en haleine son lecteur sans jamais le lâcher.

Travailler ses idées consiste tout d’abord à agir sur tous les matériaux de cette histoire pour en tirer la substantifique moelle, sélectionner les meilleurs et d’élaborer une manière de raconter l’histoire afin de piquer la curiosité de son lecteur, de créer une addiction qui le pousse à découvrir ce qu’il va se passer ensuite.

Une histoire n’est pas autre chose qu’un problème posé à des personnages s’efforçant de le résoudre dans une situation donnée. Toute les stratégies déployées pour pimenter la formule de base peuvent être utilisées : des personnalités hors normes, des problèmes inattendus, surprenant, amusants, effrayants…  au-delà de ces techniques, l’auteur se doit en plus de rendre ses idées originales. Celles-ci se construisent à l’aide de procédés créatifs.

 

Les idées ont besoin de fraîcheur

On doit à tout prix combattre la lassitude de nos propres idées. Aussi généreux puissions-nous être dans l’effort, on renonce sans s’en rendre compte à transformer une bonne idée en un pivot marquant de notre histoire. Pourquoi ? Car la facilité est en vente libre. Je m’explique.

Un soir, je regardais un thriller à la télévision. Les premières images montraient l’apparent bonheur d’un couple et de leurs deux enfants au cours d’une classique scène de petit-déjeuner. Elle était conçue de telle sorte que l’on aurait presque pu sentir la bonne odeur du café et la douce chaleur du soleil matinal entrant par la baie vitrée de la cuisine. Les regards complices que s’échangeaient la mère et le père formaient un arc protecteur au-dessus des rires enjoués de leur progéniture s’esclaffant aux facéties du chien de la maison.

 

Les effets limités des stéréotypes

L’avantage d’un tel stéréotype est qu’il indique en quelques plans aux amateurs du genre que c’est à cette cellule familiale soudée qu’on va s’en prendre, que la situation idéale qu’ils ont sous les yeux a déjà vécu.

Ce qu’il est possible de faire au cinéma, la littérature le permet avec la même efficacité, générant ses propres codes immédiatement identifiables. La scène décrite dans mon paragraphe d’introduction peut ainsi être agencée selon des règles narratives basiques et constituer un début de roman valable (à défaut d’être original). Mais quelle idée aura-t-on construit, en procédant de cette manière ? La réponse est simple : aucune.

Construire son idée au-delà des codes

La question qui en découle – la littérature a-t-elle besoin d’idées, et de façon plus générale, sont-elles indispensables à une histoire ? – amène son corollaire : si oui, comment en construire une ?

Dans un réflexe bien naturel, nous à qui il vient ou qui cherchons dix idées à la minute, la tentation est de dire que sans elles, il n’y a strictement pas d’intérêt à lire un livre ou à voir un film. Cela ne signifie pas que ce soit irréalisable.

Si l’on s’arrêtait à la seule cohérence, on pourrait se contenter d’une succession de scènes comme celle du petit-déjeuner pour élaborer une histoire. En se reposant sur des blocs narratifs routiniers, un auteur est à peu près certain de capter l’attention. L’écriture de tels livres revient à tapoter un coussin pour lui redonner le volume dont on sait qu’il procurera au lecteur un confort apte à endormir son esprit critique. Ce n’est ni bon ni mauvais, juste une recette éprouvée.

On a parfois tendance, qu’on débute dans le métier d’écrivain ou pas, à confondre avoir une idée et la construire. Soit la différence entre un bloc de marbre et une sculpture :

« Je vis dans l’attente de l’Idée ; je la pressens, la cerne, m’en saisis  – et ne puis la formuler, elle m’échappe, elle ne m’appartient pas encore : l’aurais-je conçue dans mon absence ? Et comment, d’imminente et confuse, la rendre présente et lumineuse dans l’agonie intelligible de l’expression ? Quel état dois-je espérer pour qu’elle éclose – et dépérisse ? » (Cioran, « Précis de décomposition », Gallimard, p. 137)

Sans se perdre dans les prolongements que suggère le questionnement de Cioran, on peut dire que ce qui vient immédiatement à l’esprit (« d’imminente et confuse ») n’est pas une idée aboutie. Avant d’envisager la finition, il faut bien sûr être en possession d’un matériau exploitable.

De la même manière que l’on déconseille aux enfants  de se taire afin d’éviter de parler pour ne rien dire, lorsqu’un auteur se donne la peine d’écriture, il se doit d’avoir quelque chose à raconter et de relater une scène qui en vaut la peine d’être lue. Tout la difficulté est de parvenir à formuler ces idées après les avoir construites et pour cela vous devrait stimuler votre imaginaire et réveiller vos aptitudes à créer.

Petit état des lieux de ce qu’on nous propose d’ordinaire pour pallier une inspiration défaillante

Les procédés

Le classique « Et si… »

Rampe de lancement incontournable pour le faussaire d’Histoire qui sommeille en nous, le « Et si… ». Le procédé consiste à évacuer ce que l’on connaît d’une réalité, les images du monde pour établir des suppositions nouvelles. Et si on pouvait corriger les moments loupés de sa vie ? Et si je pouvais me téléporter demain à l’autre bout de la terre… ou de refaire l’Histoire à sa façon comme un l’uchroniste. Ce dernier s’adosse sur des faits préexistants circonscrits à un contexte historique. Ramené à des considérations plus proches de chacun, ce procédé peut faire qu’on s’interroge sur les événements ayant défini notre existence afin de la réinventer, et donc de proposer un contenu nous apparaissant logiquement neuf. Par exemple si Hitler avait réussi son concours d’entrée aux Beaux Arts, la semaine guerre mondiale n’aurait pas eu lieu, ce qui aurait pour effet de…

Le risque est que nous soyons les seuls à trouver original quelque chose qui ne nous soit jamais arrivé, puisque les probabilités sont fortes pour qu’il s’agisse d’événements constituant le quotidien de nombre de personnes nous lisant.

Le non moins classique « Écrire ce que l’on aimerait lire »

Il sous-entend plus ou moins que cela n’a jamais été écrit, puisque la stimulation s’exercerait ici par une envie de lecture non satisfaite. J’aurais tendance à dire que c’est surtout le côté utopique de la démarche qui peut séduire, mais penser qu’on tient là une roue de secours universelle risque d’engendrer bien des déceptions.

Le raisonnable « Parler de ce que l’on connaît »

Il tombe sous le sens qu’on passerait vite pour un farfelu (dans le meilleur des cas) si n’ayant pas la moindre connaissance dans un domaine et aucune intention d’en acquérir on se mettait en tête de le positionner au cœur de notre histoire. Il ne me viendrait par exemple pas à l’esprit d’écrire une intrigue policière se déroulant sur fond de recherche spatiale. Je ne suis même pas fichu de faire voler une fusée en papier. Peut-être n’est-ce pas en territoire familier qu’on fait ses plus belles conquêtes, mais à vaincre sans péril on triomphe sans déboire.

Le clef en main « Piocher dans les appels à textes (et autres writing prompts) »

Ce réservoir à idées proposant aussi bien le fond de cuve où stagnent des thèmes rebattus que les trouvailles fraîchement sorties du bidon supposées offrir une bonne viscosité intellectuelle, chacun jugera s’il y a matière à huiler les rouages de son inspiration.

Le logique « S’inspirer de ses romans préférés » (ou des films qui nous ont plu)

Ayant le bon goût de trouver que le nôtre s’imposera à tout un chacun, on se tourne vers ce qui nous séduit pour en capter l’essence comme on s’accaparerait une formule magique. Mieux que de transformer le plomb en or, il s’agit de faire se muer notre admiration en inspiration (et accessoirement le lecteur en acheteur).

L’avisé « Creuser un phénomène de société, répondre à des questions dans l’air du temps »

On pourrait voir cela comme une littérature de l’opportunisme, mais je préfère penser que l’actualité est un bon poil à gratter du papier. Voilà de quoi on dispose grosso modo comme boutefeux intellectuels. Qu’on écrive une saga de science-fiction, un roman policier, une nouvelle de réalité magique, un texte sentimental ou une monographie, il y a là un substrat non négligeable.

C’est notre bloc de marbre.

Les procédés font vivre les idées

S’y attaquer requiert de cerner quel point de vue on souhaite faire émerger, quelle passerelle on désire jeter d’un paragraphe à l’autre afin que notre histoire progresse, quel chemin on veut voir notre lecteur emprunter (qu’on espère l’égarer ou pas), quel trait d’un personnage on privilégie en l’accentuant, etc. Et pour cela, l’auteur élabore des stratégies afin de faire cheminer la conscience de son lecteur sur des chemins de compréhension qu’il aura pris soin de jalonner d’indice, d’information, d’émotions et de découvertes de ses personnages. C’est ainsi que certaines idées de départ se transforment en procédés.

Donner vie à une idée, c’est aussi savoir la mettre en scène, c’est-à-dire, faire agir vos personnage dans un contexte et un moment précis exactement comme s’ils étaient vivants, comme si vous disposiez d’une caméra intérieure avant de passer à l’écriture.

Par exemple si vous pensez que la cruauté est naturelle à l’enfant, alors vous rédiger montrer un enfant qui arrache des pattes aux insectes, des poils aux chats et aux chiens, des cheveux avec un sourire d’ange… Ici le contraste illustre à la foi l’innocence et l’absence de limites dans ces violences enfantines.

Une idée ne se pose pas simplement au cœur d’un paragraphe en espérant qu’elle se mette à exister par elle-même. Du moins, pas toutes. Les plus basiques s’imposent par l’évidence ; mais certaines ne tombent pas sous le sens. C’est pour celles qui nécessitent d’être précisées qu’intervient un procédé, l’habillage intellectuel qui les feront s’ancrer dans l’esprit du lecteur et vivront en lui.

La construction en deux temps

Dans cet extrait ci-dessous tiré du roman Les mains du miracle, on voit comment Kessel assoit son idée en deux temps, procédant d’abord de manière faussement anodine, puis étalant la terreur et l’horreur dans la phrase qui suit. Pour resituer le contexte, Himmler, le tout puissant chef de la Gestapo et des Waffen SS, fait face à Masur, représentant le Congrès Juif Mondial, dans une entrevue organisée par Kersten.

Premier temps :

« Masur buvait du thé, Himmler, du café. Il n’y avait entre eux que des petits pots de beurre, de miel, de confiture, des assiettes qui portaient des tranches de pain bis et des gâteaux. »

Second temps :

« Mais, en vérité, six millions d’ombres, six millions de squelettes séparaient les deux hommes. »

Ici, le « entre eux » renvoie au « séparaient », à quelque chose de civilisé confronté à la barbarie. Kessel, derrière ses petits pots de confiture, décrit un gouffre de pensées. L’absurdité meurtrière opposée à la dignité d’un homme incarnant ce que le Reichsführer, pris dans le tourbillon de folie de Hitler, souhaitait rayer de la surface de la terre.

C’est une construction simple, mécanique, mais qui exige une hauteur de vue pour mettre en perspective toute la profondeur de l’idée : la Shoah vue des deux côtés. La mise à égalité de qui représente le bourreau auquel fait face le symbole de ses victimes. Cet exemple montre à quel point le point de vue de l’auteur enrichit la narration et la rend unique.

Construire sur la longueur

Une idée peut traverser un roman. Du point A au point B, elle devient l’histoire, et son seul sujet. Ainsi, dans Fan Man, de William Kotzwinkle, le personnage principal, Horse Badorties, s’efforce-t-il de mettre en place une « Chorale de l’Amour ». Tout le roman tend vers ça, avec les tribulations que cela englobe.

Dans ce cas précis, tout est prétexte à des loufoqueries qui servent l’idée de départ. Sous une apparence dispersée, la boucle est bouclée de façon magistrale.

Cette stratégie narrative implique de continuellement souffler sur les braises au-dessus desquelles danse le personnage, pour que, sans cesse en action, lui et son idée sautillent jusqu’au dernier paragraphe. Il n’existe pas de limite pour exploiter une seule et même idée.

La stratégie de l’écho, ou comment valoriser une idée cent pages plus loin

Une fois votre idée bien en tête, vous pouvez vous permettre qu’elle se dilate. Sa construction ne nécessite pas toujours de l’inscrire dans l’instant présent, en reporter l’impact pouvant se révéler payant. Le stratagème est connu : on dit une chose à la page 10, et à la page 110 elle prend tout son sens. C’est un exercice un peu difficile dans le fait qu’il est nécessaire d’entretenir l’idée sur la durée, par différents moyens. Pour ne pas laisser la piste refroidir, on doit alimenter par quelques allusions ce vers quoi on souhaite mener notre lecteur. On construira donc une sorte de parcours fléché, pour que résonne au bout du compte le fin mot de notre pensée.

L’idée auto-construite

L’idée n’aura d’autre construction que sa propre charpente, sans qu’on doive y ajouter le moindre clou. Elle sera aussi définitive qu’une sentence. Elle pourra servir de transition, achever un paragraphe, éclairer un point de vue ou relancer une intrigue. Par exemple : « il ne savait pas où ses doutes le mèneraient ». C’est une phrase à la fois finie et appelant un prolongement. Le seul procédé, ici, revient à ce que tout soit contenu en une phrase, ce qui implique d’avoir longuement réfléchi à cette phrase et à ses implications, pour ne pas dire ses répercussions dans la structure du roman.

Soyez l’architecte de votre pensée

On a vu qu’une histoire exige qu’on en soit l’architecte du sol au plafond. Construire une idée n’est pas restreindre sa pensée ; à l’inverse, c’est lui permettre de se développer.

Une idée prend de la valeur quand on l’a façonnée jusqu’à la dernière brique de notre imagination. Le lecteur doit pouvoir s’appuyer sur les fondations de notre esprit ; si elles ne sont pas assez solides, l’édifice s’écroulera en même temps que l’intérêt dudit lecteur. D’une manière ou d’une autre, l’écriture nous veut bâtisseurs.

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