Apprendre & Pratiquer le métier d'écrivain

Avez-vous un style d’écriture ?

Un style d’écriture fait souvent la différence entre deux romans. Savoir se démarquer littérairement constitue un avantage certain : il renforce l’intérêt de la lecture et conforte le lecteur dans son choix.

 

Le style : de la discrétion, de la mesure et de la singularité

Il y a quelque chose du séducteur, chez un écrivain. Le style, c’est habiller ses idées avec goût afin de les mettre en valeur. Alors, vous qui me lisez, êtes-vous du genre bien vêtu ou un peu débraillé ? Voyons ce qu’on préférera éviter afin d’être sûr de faire bonne impression…

 

Bannissez l’emphase

Une erreur fréquemment commise par les auteurs débutants est de penser que l’emploi de mots recherchés concourt à cette élégance stylistique, voire qu’il est obligatoire d’en passer par un vocabulaire rare proche de la préciosité. Et de gonfler leur discours du toc scintillant des formules pompeuses. À proscrire au plus vite !

Tout ce qui brille est hors ! Lors de mes six années consacrées à la correction de textes au sein de L’esprit livre, j’ai remarqué cette tendance chez certain(e)s à privilégier le « joli » mot au mot juste. C’est évidemment l’inverse qu’il convient de faire. On n’embellit pas une phrase avec du clinquant, mais grâce à la capacité qu’on a de traduire sa pensée d’une façon qui lui rende entièrement justice. Hors de cette démarche simple, tout n’est que boursouflures intellectuelles.

Bien sûr, l’un n’empêche pas l’autre. D’excellents écrivains réputés pour leur style ciselé le concilient à la force de l’idée qu’ils souhaitent mettre en avant.

 

La coloration du style par la nuance

Le véritable style opposé à la « surenchair ». L’apport du style se vérifie en partie par l’utilisation d’un mot choisi à bon escient, pas dans la surenchère. Vous pourrez fourrer une phrase d’un tas de vocables hermétiques – espérant qu’ils impressionnent –, vous n’en ferez pas pour autant une dinde de Noël, un plat de choix, si vous préférez. S’il nous revient d’apporter de la chair à notre prose, on doit aussi veiller à ce qu’un surplus de gras ne la rende incomestible.

Si vous écriviez : « Il partit dans le brouillard, et jamais on ne le revit. », ce ne serait pas si mal.  Mais comme dans tout, et dans notre métier particulièrement, la comparaison donne la valeur ; ainsi auriez-vous mieux aimé vous fendre d’un : « Il s’enfonça au cœur d’une nappe de brouillard qui ne le restitua jamais au monde. »

On le voit, aucun mot extraordinaire dans le second exemple. Le propos est juste nuancé.

C’est ici le verbe « restituer » suivi du complément d’objet indirect « au monde » qui confère le statut d’entité à la nappe de brouillard, la chargeant d’une dimension presque fantastique.

Le style permet de créer une ambiance, de donner une coloration à votre récit. Il ne s’agit pas seulement de bien écrire. Changez un ou deux mots, vous obtiendrez un regard plus attentif sur votre texte.

  

De la beauté du style

On y vient. Jusqu’ici, certain(e)s d’entre vous ont sûrement dû se dire que je condamnais l’emprunt au vocabulaire « riche ». Il n’en est rien : comme vous, j’aime les mots éveillant notre gourmandise. Mais pas plus qu’il n’en faut : songez à la manière dont on épice un plat.  L’excès dénature le parfum du mets dont on veut rehausser le goût. Aussi devons-nous avoir à l’esprit, à chaque phrase, la recherche du bon dosage.

Tenez, relisez un de vos textes en cours. Minutieusement. Est-ce qu’un adjectif ou un adverbe n’alourdiraient-ils pas votre propos ? Pensez que toujours le sens doit primer, pas les babioles textuelles, sans bien sûr rejeter ces dernières : l’ornement est efficace tant qu’il demeure digeste.

 

Osez la simplicité pour acquérir de la substance stylistique

Laissons à leur ego les auteurs s’acharnant à rendre leur texte inaccessible, ce qui compte avant tout, c’est parler à son lecteur de la manière la plus compréhensible qui soit. La clarté n’est pas le style, mais un moyen sûr que chacun soit en mesure d’en appréhender toutes les subtilités. Ne gâchez pas votre talent en imaginant que la joliesse supplante l’utilité, car ce n’est jamais le cas.

Si la simplicité est payante, elle n’exclut aucunement la beauté d’une phrase. Des exemples ? En voici :

« Il contempla la petite sphère huileuse qu’il avait dans la main et remarqua, sous l’empreinte laissée par un pouce sale, un cheveu blanc bouclé qui était fiché dans la pâte. » (Une mort qui en vaut la peine, Donald Ray Pollock).

Difficile de faire plus simple, et pourtant, cette phrase possède une indéniable substance. Ayez en tête, à l’occasion, cette notion de substance, comme si, formulant votre idée, vous souhaitiez que votre lecteur la mâche, la savoure, s’en imprègne totalement.

Vous l’aurez remarqué, dans cet article, j’ai parfois convoqué quelques images rattachant le style à un aliment. C’est ce qu’il est, quand on y réfléchit. Votre lecteur s’en nourrira avidement, s’il est bon… et à l’inverse, le recrachera s’il révulse ses papilles intellectuelles.

 

Derrière la simplicité, l’intelligence : l’exemple de Churchill

« Quand commence-t-on à se souvenir ? Quand les lumières incertaines et les ombres de la conscience qui s’éveille impriment-elles leurs marques sur l’esprit d’un enfant ? »

Ce sont les premières lignes de Mes jeunes années, signées Winston Churchill, prix Nobel de littérature en 1953, pour rappel. Entre autres.

Là encore, rien n’est puisé dans un « répertoire noble » du vocabulaire. Pourtant, ces mots prennent une force peu commune par la seule façon dont celui qui n’était pas un triste Sir les a agencés. Évidemment, il y a l’intelligence de cet homme qui confère une partie de son poids au style employé, car le propos est frappant par la pertinence du questionnement.

La manière d’exprimer le message qu’on désire envoyer à notre lecteur participe autant du style que les mots desquels on se sert.

 

Le génie littéraire sans aucune prétention

« Les ombres des plus petites pierres étaient comme des lignes griffonnées sur le sable et les formes des hommes et de leurs chevaux s’allongeaient devant eux comme les filins de la nuit d’où ils étaient venus, comme des tentacules pour les enchaîner à l’obscurité encore à venir. » (Méridiens de sang, Cormac McCarthy).

McCarthy fait selon moi partie des rares écrivains parvenant, contrairement à ceux dont je soulignais la vacuité de leur hermétisme, à user d’un style parfois ardu sans qu’à aucun moment on puisse y trouver trace de pédantisme. Je mets Umberto Eco ou Joseph Conrad dans cette catégorie. Ce sont des écrivains d’une érudition folle et d’une précision diabolique.

Ce passage de Méridiens de sang est certes loin d’échapper à la compréhension ; les images choisies recèlent une puissance s’imposant naturellement à l’esprit. On peut noter la répétition voulue de « comme », gérée de façon à rythmer la scène. Dans ce même roman, j’ai trouvé des phrases n’étant tout bonnement pas à ma portée : pas parce que l’auteur voulait en mettre plein la vue, mais uniquement car son degré d’exigence est élevé à un point tel que son discours souffrirait qu’il y renonce.

C’est là un style inimitable mis au service d’une histoire d’une incroyable intensité. S’il est plus que compliqué de s’en inspirer, on peut en tout cas admirer qu’une écriture entre à ce point en cohérence, de manière fusionnelle, avec l’intellect de son auteur.

 

Vous aurez du style, si…

Loin de prétendre qu’à la lecture de ce seul article vous allez acquérir un style qui fera des envieux, je peux au moins affirmer une chose : si vous êtes honnête avec vous-même et envers votre lecteur, si vous ne cherchez pas à épater la galerie, mais bien à transmettre votre amour de ce métier, vous aurez du style. Celui des gens sincères. Autant qu’un auteur puisse l’être, du moins…

 

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