Apprendre & Pratiquer le métier d'écrivain

Comment faire monter la tension dans un récit ?

Comment faire monter la tension dans un récit ? A travers un exemple concret et amusant, apprenez ces techniques le sourire aux lèvres ! Un article de Frédéric Barbas.

J’aime lire des histoires où il ne se passe rien de plus grave qu’une ampoule soit grillée ou qu’un ragoût attache au fond d’une cocotte. Même en cumulant ces deux incidents, c’est certes désagréable, mais pas de quoi vraiment frémir. Les exemples ne manquent pas de ces petits riens construisant de merveilleuses histoires. Bien des auteurs exceptionnels savent dépeindre l’ordinaire en évoquant de paisibles tracas. Le nom de Delerm me frappe l’esprit pour symboliser cette littérature reposante. Mais j’apprécie également des récits où des sueurs froides me viennent dès le premier chapitre. Voire juste après la lecture du paragraphe de départ. Ce sera notre causerie du jour. Alors tremblez, chères lectrices et chers lecteurs, il va y avoir de la tension dans l’air !

Être banal, devenir dangereux

De King à Molière

Si vous voulez bien me le permettre, je vais encore parler de Stephen King. Des objections quant à ce choix ? Hum… vous, là-bas, au fond de la salle ? Eh bien, pour le dire à la Molière : « Hors d’ici tout à l’heure, et qu’on ne réplique pas. Allons, que l’on détale de chez moi… » À présent que nous sommes entre gens biens – c’est-à-dire entre personnes sachant que King écrit avec un stylobille couplé à un tensiomètre –, voyons pourquoi j’évoque son nom : parce que pour créer du malaise, du suspense, de la trouille, bref, de la tension pure et dure, il possède une technique dans laquelle il excelle. Laquelle ? Je pense que vous devrez patienter jusqu’au paragraphe suivant pour la connaître en vous aventurant pour vous y rendre dans un couloir qu’aucune lumière n’éclaire. Brrr…

La dangereuse répétition de la banalité

Décrire le banal. Le quotidien. Le construire de la façon la plus réaliste possible pour mieux le dérégler ensuite. Par petites touches. C’est la technique de l’ampoule grillée et du ragoût attachant au fond du plat : ça parle à tout le monde. En quelque sorte, nous, lecteurs, sommes en zone sûre. Ou croyons l’être. On ne va pas s’inquiéter parce qu’un filament déclare forfait ou parce que la sauce madère adhère, n’est-ce pas ? Mais s’il y a une répétition de phénomènes aussi basiques que ceux-là (ça va finir par se voir que mon dernier bœuf bourguignon n’a pas été une réussite), la banalité peut rapidement devenir inquiétante. Vous avez déjà dû vous dire à plusieurs reprises, dans votre vie : « Mais comment ça se fait, que ?… » sans donner plus d’importance que ça à quelque chose que vous ne vous expliquiez par sur le moment. C’est normal, puisque justement ça n’a pas grande importance. Mais…

Les cordes du métier

…Mais qu’une chose ordinaire se produise beaucoup plus souvent qu’à l’accoutumée peut finir par générer une certaine angoisse. Éteignons l’ampoule et réduisons la température de la plaque de cuisson pour nous rendre jusqu’à une balançoire. Vous savez, la rustique, celle reliée à la plus forte branche d’un arbre par deux grosses cordes robustes nouées à une planche de bois des plus solides. Cette balançoire-là. Un enfant se projette dans les airs en riant, poussé par son père ou son grand frère, par exemple. C’est un jeu auquel ils se livrent fréquemment. Un jour, l’une des cordes se sectionne, sans raison apparente. Le gamin ne rit plus : il est en pleurs, par terre, peut-être l’épaule un peu endolorie…

Histoire tendue sur une balançoire

Aucun risque, vraiment ?

Quand, quelques semaines plus tard, il a bien récupéré de sa chute et que la corde défaillante a été changée, il s’envole de nouveau dans le ciel de juin, disons. Vous devinez la suite : une fois encore, la corde rompt, là aussi sans qu’on se l’explique. Le pauvre môme s’est bien plus esquinté – cette fois, il a atterri brutalement sur la hanche, ce qui lui provoque de vives douleurs durant presque un mois. Ou deux. Mais il l’aime, cette balançoire, et son père – ou son grand frère – ne veut pas le priver de ce plaisir-là sous prétexte d’une malchance à peine croyable. La balançoire est réparée, les cordes qui la scindent à l’arbre pourraient remorquer un porte-avions. Aucun risque qu’un nouvel accident survienne. Vraiment ?

Quand l’inexplicable devient acceptable

C’est exactement à ce moment-là que le lecteur pense le contraire, bien que la famille ait pris toutes les précautions possibles afin que jamais plus le p’tit gars ne soit mis en danger. C’est à l’instant précis où il remonte sur cette satanée balançoire que la tension s’installe chez ce lecteur désormais à l’affût d’un drame larvé. Car l’inexplicable est devenu acceptable dans son esprit. Encouragé en ce sens puisque le membre de sa famille chargé de divertir le marmot ce jour-là pourrait avoir une pensée comme « Jamais deux sans trois » sans parvenir à la chasser de sa tête à chaque poussée qu’il effectue pour expédier le gamin vers les nuages. Sans réussir à imposer le rationnel à la peur. Car la superstition prend ses quartiers dans l’incompréhension.

Jamais deux sans trois…

Et donc, avec lui, le lecteur se dit : « Ouais, jamais deux sans trois, et cette fois-ci, à tous les coups, le môme va gravement morfler. Peut-être même qu’il va s’ouvrir le crâne sur une pierre en tombant, et ciao bambino ! » Un gamin qu’on a appris à aimer au fil des pages, la tension créée fait qu’on s’apprête à assister à son enterrement au chapitre suivant. Mais si l’auteur le désire, jamais plus le système d’attaches ne cèdera. Il n’empêche que quelle que soit l’issue de l’histoire, il y aura bien eu un moment de tension issu d’un geste quotidien. Concrètement, il s’agit de la répétition d’un mouvement des plus banals. Ça vous semble invraisemblable que la malchance puisse ainsi s’abattre sur une même personne ? Lisez ce qui suit.

La tension caractérisée

Mise en pratique d’un coup de foudre

Eh bien, sachez qu’un citoyen américain nommé Roy Sullivan a été frappé sept fois par la foudre au cours de son existence. Alors, qu’un mélange de fils textiles (ça s’est vu que je viens de recopier la définition du dictionnaire ?) soit mal conçu de sorte qu’il cède à trois reprises n’a rien d’aberrant. Je souligne ce point pour dire que la tension peut s’appuyer sur des faits qui bien que d’apparence improbables demeurent crédibles. Il faut bien entendu préparer son lecteur à ça, et quoi de mieux que de s’épauler sur un fait réel pour rendre la fiction plus vraie que nature ? Mettons cela en pratique :

« Quand il se mit à pousser le gamin sur sa balançoire, les éclats de rire du môme s’éparpillant dans l’air de ce beau matin de juin ne parvinrent pas à enrayer ce message aux allures de mantra maléfique venant s’ancrer dans son esprit : ‘‘jamais deux sans trois, jamais deux sans trois, jamais…’’ Bien sûr, cette superstition à deux balles était idiote, car il avait éprouvé la solidité des cordes juste avant que l’enfant ne pose ses fesses sur la planche, confiant dans la capacité des adultes à lui garantir une sorte d’immortalité. Mais à chaque poussée, cette ritournelle malsaine le tarabustait. Après tout, Roy Sullivan n’avait-il pas été frappé sept fois par la foudre au cours de son existence ? Sept fois ? Existait-il la moindre logique, là-dedans ? ‘‘Jamais deux sans trois, jamais deux sans…’’ »

Bon, si je vois l’une ou l’un d’entre vous écrire une nouvelle titrée La balançoire reposant sur ce scénario-là, il va sans dire que je le traînerai en justice. Non mais.

L’événement ne suffit pas

La tension peut donc naître d’une chose à la fois banale et répétitive, mais aussi prendre sa source dans un événement inhabituel au sein d’un cadre familier. Dans les deux cas, il est indispensable que les personnages soient fortement caractérisés. C’est la base pour que le lecteur éprouve un choc émotionnel quand leur sort est en jeu. L’erreur commune à beaucoup d’auteurs débutants est de croire que seul l’événement crée la tension. Si le lecteur n’est pas impliqué de façon presque affective envers un personnage, qu’est-ce qu’il en aura à fiche si se profile peu à peu le risque qu’il lui arrive malheur ?

La loi de proximité

En journalisme, on parle de mort kilométrique, englobé dans la loi de proximité. C’est-à-dire notamment qu’on se sent moins concerné par le décès d’une personne plus elle est éloignée du lieu où l’on habite. Il existe bien sûr des exceptions pour certaines personnalités, mais en règle générale, aussi malheureux ce constat soit-il à faire, c’est une réalité. Si j’attire votre attention sur ce phénomène, c’est parce que la tension mise en place sera amoindrie si un tel éloignement existe entre le lecteur et le personnage. C’est, toute proportion gardée, exactement le même principe. Intellectuellement tenu trop à l’écart du protagoniste, on éprouve beaucoup de mal à ressentir un attachement pour lui. À chacun d’installer une « géographie littéraire » afin d’établir les frontières émotionnelles adéquates.

Pour finir sur un coup de gomme…

On ressent parfois plus de peine en apprenant le décès de certains auteurs qu’à l’annonce de la mort d’une personne fréquentée dans sa jeunesse et perdue de vue depuis des décennies. Comme il y a le mort kilométrique, il y a le mort temporel. Le temps est la pire des gommes, qui efface les traits veineux d’anciennes poignées de main. Les tensions de nos vies sont ainsi, quand évacuées on éprouve un mal de chien à les restituer par écrit. Mais en s’inspirant des Maîtres en la matière, on parvient à serrer la pogne à nos plus grandes peurs. Pour finir sur celui m’ayant procuré de délicieux frissons de frousse, Mister King : c’est moi qui pousse la balançoire littéraire sur laquelle il a pris place depuis tant d’années. Pourvu que son inquiétant rire d’éternel enfant me glace le sang encore de nombreuses années. J’ai vérifié les cordes…

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