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Comment utiliser le processus d’identification au personnage ?

Utiliser le processus d’identification au personnage permet de captiver ses lecteurs. Cet article vous explique comment fonctionne ce processus psychologique et comment vous en servir.

Il est rare qu’une histoire se passe de personnages. Aussi est-ce primordial que le lecteur, pour s’y identifier, comprenne comment fonctionne un personnage, quelles sont ses motivations, ses convictions, ses valeurs. Ce processus d’identification s’élabore à différents niveaux par rapport à cet être de papier, en ayant à l’esprit qu’il n’est pas indispensable que chacun se reconnaisse en tous points à travers lui. Du moins peut-on tenter de jeter une passerelle entre les deux au milieu de laquelle le lecteur et le personnage se rencontreront. Qui sait, peut-être auront-ils des choses intéressantes à apprendre l’un de l’autre…

Savoir qui est votre personnage

Identifions l’identification

Que vous soumettiez un personnage à votre lecteur pour qu’il s’y attache ou au contraire le déteste, vous ne pouvez pas faire l’économie d’un processus d’identification du plus sommaire au plus abouti. Avant d’aller plus loin, faisons un petit crochet par Wikipédia pour préciser de quoi nous parlons : « L’identification est un terme utilisé dans les études littéraires et cinématographiques pour décrire une relation psychologique entre le lecteur d’un roman et un personnage du livre, ou entre un spectateur dans le public et un personnage à l’écran. » Une relation psychologique, rien d’anodin, donc. Cette notion élargit le phénomène d’identification quand on considère que comprendre n’est pas admettre et que se comparer ne se limite pas à un constat.

Parcours fictif et trajectoire réelle

Au-delà de l’intérêt de l’histoire, le lien que l’écrivain parvient à créer entre ses personnages et son lecteur participe de la réussite de sa nouvelle ou de son roman. Pour optimiser et solidifier ce lien, l’auteur consacre à chaque page ou presque une attention particulière à son personnage afin de ne cesser d’en préciser les contours. Il peut s’appuyer sur son passé pour y puiser la cause de ses agissements présents, en évoquant ses échecs comme ses succès, ses traumatismes aussi bien que sa capacité de résilience. Sans oublier de le faire avancer via des comportements dont le moteur consiste en des objectifs qu’il souhaite atteindre, et susceptibles d’entraîner chez lui des changements pour y parvenir.

Un personnage doit rappeler au lecteur sa propre vie

Toutes ces choses parlent au lecteur dans le sens où lui aussi a connu des succès et a dû traverser des difficultés, ainsi que franchir des étapes pour toucher au but. Il existe donc dans le processus d’identification un socle commun entre le parcours fictif du personnage et la trajectoire réelle du lecteur. Les deux sont construits sur des remises en cause consécutives aux aléas de l’existence. On notera ainsi que l’identité d’un personnage, bien qu’elle doive reposer sur des bases robustes, n’en est pas pour autant figée, et c’est heureux. Vous connaissez l’importance de l’évolution du héros à mesure que les événements surviennent et que des déconvenues l’amènent à réviser ses jugements ou modifier ses habitudes… comme nous tous qui lisons ses aventures.

La priorisation des personnages

Quand le personnage bien coiffé prend un taxi

Il est évident que seuls les personnages principaux seront ceux dont on creusera le plus la psyché. D’une part parce qu’il serait ardu pour le lecteur d’ingérer la somme d’informations qu’impliquerait un profil psychologique fouillé établi pour la totalité des personnages – jusqu’à la coiffeuse qui demande si on les veut bien dégagés derrière les oreilles ou le chauffeur de taxi disant que ça fera 18 euros, merci, par exemple. D’autre part car il s’avérerait contre-productif que tous les personnages soient mis sur un pied d’égalité quant à leur exposition, puisque c’est entre autres cette différence de traitement qui permet de singulariser un protagoniste.

Hiérarchie et zone d’influence des personnages

Avant d’introduire des personnages, vous devez donc déterminer leur degré  de caractérisation selon leur « statut ». Cela suppose une hiérarchisation pouvant pourquoi pas s’effectuer à l’aide d’une carte heuristique ou d’une autre méthode permettant d’avoir une vision globale de leurs interactions, de leurs types de caractère et des comportements qui y sont associés. Outre que cela clarifiera les articulations de votre histoire, ça vous donnera aussi une idée du travail à consacrer aux personnages par rapport à leur zone d’influence. Si elle s’exerce sur une partie circonscrite du récit, l’auteur devra développer chez son personnage un point précis afin que le lecteur puisse s’y référer pour juger s’il aurait ou non agi comme lui, aussi  restreint soit son rayon d’action dans l’histoire.

Bien affûter la lame des seconds couteaux

C’est pourquoi il faut veiller à bien affûter la lame de certains seconds couteaux, qu’elle soit suffisamment effilée pour pénétrer la conscience du lecteur et que s’y reflètent ses questionnements. Même dans le cas où le personnage est appelé à disparaître de l’histoire sitôt joué le rôle qui lui était assigné, ou qu’il n’intervienne que ponctuellement, il peut être nécessaire qu’il soit doté d’une identité prégnante. Un personnage secondaire peut bénéficier d’une forte caractérisation par le simple biais d’un détail marquant. Imaginez qu’un sicaire à la solde du méchant soit chargé par ce dernier de téléphoner au héros en se contentant de siffloter la célèbre introduction de « Don’t worry, be happy », de Bobby McFerrin, chaque fois qu’il s’apprête à commettre un meurtre…

Les délices immoraux de l’identification

Songez quel impact ça aurait dans le récit dès que la sonnerie retentit… Le processus d’identification pourrait ici s’effectuer des deux côtés : soit qu’on se mette à la place du tueur à gages  – sans que la morale ait à y redire – en imaginant la jouissance cruelle qu’il éprouve dès qu’il émet son sifflement annonciateur de mort imminente. Soit en prenant celle du héros en ressentant l’angoisse qu’il éprouve à l’écoute de ce signal funeste qu’il redoute tant. S’identifier à un personnage, ce n’est pas obligatoirement adhérer à ses agissements, mais aussi vivre par procuration ce qui nous est totalement étranger et qui nous dérange.

Donner du sens à l’identification

Éviter l’identification facile

La solution de facilité afin de mettre un des personnages principaux en évidence consisterait à l’entourer de seconds rôles falots lui réservant la part belle à tous coups. Le procédé atteindrait vite ses limites : ce n’est pas en revêtant un personnage d’un t-shirt rouge parmi une foule de gens portant tous un t-shirt blanc qu’on le rendra intéressant. Tout au plus éveillera-t-il la curiosité. Mais on ne s’identifie pas à quelqu’un si ce qui le différencie des autres repose uniquement sur un contraste dénué d’une signification profonde, d’une opposition autre que le paraître. Ce qui le rend attrayant, c’est la raison pour laquelle il échappe à l’uniformisation.

L’identification en profondeur

Se distinguer de la masse ne signifie donc pas afficher une différence, du moins n’est-ce pas suffisant. Encore faut-il l’assumer pour lui conférer de la profondeur avec les risques éventuels que cela comporte en fonction de la situation vécue par le personnage : ostracisme,  intimidation, sanctions injustifiées, tracas administratifs délibérés, réputation entachée mensongèrement, violences physiques, harcèlement, autant de désagréments contre lesquels le héros se battra et se débattra en utilisant les valeurs auxquelles le lecteur pourra s’identifier en se référant à ses propres expériences.

Les bénéfices de l’identification

Cela peut parfois aller chez le lecteur jusqu’à se nourrir de cette identification afin de trouver des solutions ou un regain de courage pour résoudre des problèmes l’atteignant dans le monde réel. Au milieu de cette passerelle où le personnage et lui-même sont amenés à se rencontrer se trouve le nœud du rapport que l’auteur s’évertue à confectionner. S’il est un fin observateur de l’âme humaine, la compréhension qu’il en a et les enseignements qu’il en retire guideront les choix de caractérisation de ses personnages en fonction des leviers sur lesquels il souhaite agir pour provoquer diverses émotions.

Un look identitaire mais pas seulement

Dis-moi comment tu t’habilles…

La description vestimentaire n’est pas secondaire dans le cadre de l’identification. On connaît tous l’intégration ou le rejet par la façon de s’habiller, les symboles qui s’y rattachent, les codes vestimentaires pouvant même inciter des gens à définir les orientations politiques, sexuelles, professionnelles, artistiques, etc., d’une personne. Des études sociologiques existent au sujet de l’habillement, jusqu’à parler de traces culturelles que certains ne seraient pas loin d’assimiler à la lutte des classes. Un personnage peut-être en partie défini par le budget qu’il consacre à la mode quitte à se priver de besoins jugés plus essentiels. Ça peut dire quelque chose de la superficialité du personnage, ou de sa démarche d’esthète primant sur le reste, ou encore de sa volonté de se distinguer par une originalité vestimentaire dénotant un caractère fort, etc.

La réalité décrochée des cintres

Un lecteur peut s’identifier à un personnage selon sa dépendance aux vêtements ou son désintérêt total pour le choix de ses tenues. Dans un cas comme dans l’autre, entre le ton sur ton ou le contraste étudié, le classique ou le branché, le costard ou le jogging, il faut surtout chercher chez les auteurs qui usent et abusent de cette littérature du tissu ( j’ai par exemple en tête Bret Easton Ellis) quelle réalité se décroche des cintres. Car hormis les auteurs ne citant des marques que par une forme de snobisme (ou refusant d’en mentionner une seule pour la même raison), ceux recourant aux vêtements le font en général afin d’habiller leur discours sur leur perception du monde et l’étude de leurs contemporains.

Échangerais voiture sans permis contre Batmobile

Quoi qu’il en soit, il est facile au niveau de la symbolique de comprendre le souhait de ressembler à une personne « normale » endossant littéralement un costume de super-héros (comme Batman) l’autorisant à s’élever au-dessus de sa propre condition – et accessoirement de sauver le monde et ses environs. Ce qui, il faut bien l’avouer,  nous est rarement permis dans les circonstances ordinaires de la vie. Au-delà de cette idéalisation liée au pouvoir sous toutes ses formes, la description vestimentaire offre mille signes de ralliement à un personnage et autant d’occasions de s’en détourner selon les valeurs ou les non-valeurs arborées au revers d’une veste. À l’auteur d’en jouer pour envoyer des signaux en direction du lecteur afin d’instaurer par le prisme de ses personnages une véritable complicité. Et croyez-moi, en façonnant son personnage sous toutes les coutures, quand l’étoffe littéraire est de qualité, ça ne fait pas un pli !

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