Apprendre & Pratiquer le métier d'écrivain

désir d’ écrire : la quête de soi

Troisième partie de l’article « Pourquoi écrire » quand le désir d’écrire rèvèle une quête de soi.

Pour la troisième partie de cet article, j’ai choisi de rebondir sur quelques extraits du livre Écrire, Pourquoi, qui propose les réponses d’un collectif d’auteurs à cette question-titre. Un rebond parfois à la limite de m’éloigner de la teneur des passages sélectionnés, j’en ai bien conscience. Mais quelle qu’ait été ma façon de prolonger la pensée de ces écrivains, j’espère en tout cas ne jamais l’avoir trahie et d’en avoir fait le meilleur usage pour cerner d’encore un peu plus près les raisons qui nous poussent à écrire…

Lire la 1ère partie

Lire la 2ème partie

Ceux qui n’écrivent pas

« Et vous, pourquoi n’écrivez-vous pas ? Vous l’êtes-vous parfois demandé ? Qu’est-ce qui vous retient d’écrire ? Comment justifiez-vous ce refus, ce renoncement, cet évitement, cette dérobade ? » Éric Chevillard

Le contrepied de la lettre

Passé l’admiration du contrepied mis en œuvre avec brio par Chevillard, on ne peut que se demander avec lui ce que cela cache au fond, de ne pas écrire. Après tout, et c’est là que son renversement de point de vue est habile, on est suffisamment pointé du doigt quand on prend la plume pour ne pas, quand elle se présente, saisir l’occasion de voler dans celles de qui n’a jamais pris cet envol intellectuel. On peut au passage en prendre de la graine s’agissant de l’élégante insolence dont l’auteur fait montre pour recueillir la pleine adhésion de son lecteur. User de pertinence avec en creux un brin de flatterie à l’égard de qui ose écrire, opposé sans le dire à celui s’obstinant à laisser le papier vierge, pourrait vexer qui se reconnaîtrait dans le portrait de ce dernier, mais…

La caricature maquillée

…Mais la caricature est effectuée dans les règles de l’art, faisant ressortir la drôlerie de la pusillanimité littéraire tandis que la louange de Chevillard ne lorgne pas plus loin vers la flagornerie qu’un clin d’œil ne l’autorise. C’est en effet la paupière fardée d’humour que l’œil de l’auteur se plisse sur cette réflexion à rebrousse-poil, usant in fine d’une indulgente complicité envers le « non-écrivant » dans la chute de son billet. Aussi pardonnera-t-il, celui dont la plume reste sèche, d’avoir été interpellé de la sorte : « C’est donc avec une éponge et une bassine que vous allez maîtriser l’orage que vous sentez gronder en vous ? » À découvrir in extenso, comme l’ensemble des textes contenus dans le passionnant Écrire, pourquoi ?(1)

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Le temps de lire en soi

« L’Aragon surréaliste des années vingt, celui du Mouvement perpétuel, ne répond certainement pas au même Pourquoi ? que celui, postérieur, du ‘‘Monde réel’’ […]. Autres temps, autres motifs au sein d’une vie d’écrivain… » Éric Faye

Quand faut-il statuer sur la question ?

En soulignant ce que le Pourquoi ? a d’évolutif, de modifiable, Faye décloisonne une partie de la question, puisque n’étant plus enfermée dans l’instant où elle est posée. Si la première réponse qu’on lui a apportée peut être considérée comme le socle de notre réflexion, la statue d’expériences qu’elle soutient est amenée au fil des années à subir retouches et colmatages – sans parler des fientes de pigeon que sont les modes littéraires et les courants de pensée. Le caractère non figé d’un avis n’exclut ni constance ni versatilité, mais convoque bien souvent les deux sans l’obligation d’une conclusion pas plus que son interdiction. Ce qui est dit est dit, quand ce à quoi on n’a pas encore pensé reste forcément à formuler !

Prendre le temps de disparaître

« Lorsque je suis sur la trace d’une pensée, j’ai besoin de l’écrire pour la penser réellement. À une période de ma vie, j’ai senti, plus ou moins confusément, que je me transformais, et j’ai écrit, pour savoir en quoi j’étais en train de me transformer. » Christian Garcin

À travers ce propos de Garcin, on touche au besoin d’écrire pour lire en soi afin de mieux saisir les instants qui nous définissent. Son approche introspective se prolonge jusqu’à évoquer le souhait d’une disparition métaphorique au cœur de l’édifice de papier qu’il a pris le temps de bâtir au fil des années : « […] le désir enfoui de disparaître dans le centre obscur de mes livres. » Il serait trop réducteur d’inscrire sa démarche dans le convenu « l’écriture comme un refuge », car la fin très futée de son texte indique qu’il ne s’y blottira pas jusqu’à la dernière page, espérant au contraire en ressortir changé.

Les incertitudes de lire qui on est

Au-delà du cas particulier de Garcin, cette volonté de se connaître par le biais de l’écriture concerne bon nombre d’auteurs. Se tient-on un langage de vérité lorsqu’on s’adresse à la part de nous qui n’apparaîtrait peut-être pas autrement ? Ou s’arrange-t-on avec ce que l’on peut supporter de savoir, ne laissant pas tout remonter d’entre les lignes ? Certaines facettes de notre personnalité irriguent en tout cas nos histoires de façon plus ou moins accentuée, parfois à notre insu, entre ce qu’on tente de déchiffrer de soi-même et ce qui transparaît de nous sous le regard des lecteurs. À la fois quête d’identité en filigrane et tentative de démasquage, le Pourquoi écrire renvoie pour une part au Pourquoi se lit-on/Comment est-on lu.

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Même les écrivains rêvent

« Il reste quelquefois si peu de phrases de tout ce que j’ai rêvé, pensé, senti, à ma table de travail, que je me demande si cela peut s’appeler écrire, si cela n’est pas plutôt une façon de vivre. Ou de revivre, en essayant de comprendre. » Annie Ernaux

Rêver dans un cyclone

Un écrivain le devient-il pour donner une seconde chance à sa vie ? Pour mettre sur le papier ce que ses paroles n’ont pas su expliquer ? Ou pour donner à des choses un sens ne lui étant pas apparu quand il les a accomplies ou subies ? Il est séduisant de considérer, en se greffant à la vision d’Annie Ernaux, qu’écrire permettrait d’accéder à une compréhension non pas supérieure de l’existence, mais différée et enfin accessible depuis l’œil du cyclone. Sans que des turbulences viennent troubler la perception qu’on en a, ou du moins qu’il soit possible de les raturer afin de conserver l’esprit clair. Et du si peu qu’il reste des rêves et des pensées, on parvienne à écrire ce qu’il ne nous est pas encore arrivé.

L’écriture, cet oubli cauchemardesque

« J’ajoute qu’écrire peut-être parfaitement déconnecté de l’aspect scripturaire de la chose puisqu’il m’arrive parfois de former mentalement des phrases ou que des phrases se forment en moi […]. En ce sens, on écrit parce qu’on est requis par le langage […]. » Cécile Guilbert

Pourquoi (et comment) l’écriture nous met-elle à contribution en dehors de l’acte d’écrire ? Pourquoi écrire même quand on n’écrit pas, en fait ? Bien que privés des supports qui les accueillent d’ordinaire, les mots existent – survivent ? – autrement que par la plume ou la voix. S’imbriquant dans nos calligraphies cérébrales, dématérialisés comme l’exigerait presque l’époque, ils se fortifient – s’épuisent ? – lors de l’attente les séparant du moment où l’encre les exposera au jugement d’autrui. Entre une phrase et un auteur, on en vient à se demander qui réclame le plus la présence de l’autre : celle qui à toute force le dérange dans son sommeil, ou celui qui la supplie de se laisser border ? Les mots dont chaque nuit rêve un écrivain, fragile fresque, s’évaporent dans les brumes du matin, en un oubli cauchemardesque…

Mais si on en conservait le souvenir, Pourquoi écrire ?

Ecrire, pourquoi ? Écrire, pourquoi ?, collectif d’auteurs, Éditions Argol.

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