Écrire pour apprendre à se connaître
Écrire est une manière d’accéder à son univers intérieur et d’apprendre à se connaître en se lisant, reste à voir si cette lecture est menée de manière efficace …
On a vu dans la première partie de cet article qu’écrire et lire ne se limitaient pas à une démarche égoïste. Pour l’imager, cela revient à bâtir un pont : on le construit rarement pour rester sur sa propre rive. Mais que faire une fois parvenu jusqu’au rivage d’en face – jusqu’à l’autre ? Que lui apporter et qu’apprendre de lui ? Pour faire simple, comment bonifier un échange né de l’écriture ? Si plusieurs méthodes se présentent à nous, toutes ne sont pas des plus efficientes quand d’autres collent plus à notre personnalité, comme je vais essayer de le démontrer dans les lignes suivantes…
Sommaire
Quand le développement personnel ne l’est pas tant que ça
Le survol de l’épanouissement
Sans écarter tout à fait ce qu’on appelle la littérature de développement ou d’épanouissement personnel, qui pourrait pourtant correspondre parfaitement au sujet qui nous occupe, je ne vais en effectuer qu’un bref survol. Pourquoi ? Car elle m’apparaît avant tout être un brassage de généralités théoriques pas forcément applicable à la spécificité de chacun. Ce genre particulier reposant sur des méthodes d’une inégale efficacité – et pour certaines fantaisistes – est probablement à même d’apporter des solutions ponctuelles à des personnes en recherche de réponses à un mal-être ou à un désir d’accomplissement. Je veux bien le croire. Mais pour une raison évoquée dans le paragraphe suivant, on va voir qu’en fait de personnalisation, un discours global ne suffit pas.
Une clef n’ouvre pas toutes les portes
Je possède très peu de ces livres du style « Apprenez à vous faire des amis », « Devenez une bête de charisme », « Sachez vous concilier des amitiés influentes », « Allez vers les autres pour affirmer votre moi », etc. Car plutôt que d’obliger le lecteur à tirer ses propres bénéfices des ouvrages qu’il lit, on lui offre des solutions clef en main qui à mon sens sont moins profitables à sa capacité de réflexion. En ne l’incitant pas à élaborer des ressources qui lui correspondraient le mieux, en lui imposant des choix ne se confondant pas forcément à son humanité profonde, ce genre de bouquins peut amenuiser son libre arbitre. C’est pourquoi parmi toutes ces clefs « magiques » je me demande (vous l’entendez, mon ton suspicieux ?) s’il en est une étant capable de vous ouvrir toutes les portes…
Changer un pneu, et après ?
Je vois dans ces ouvrages spécialisés des bases tout à fait intéressantes à exploiter afin de se constituer une « boîte à outils » pour gagner du temps. Tout comme le sont les bouquins permettant à des auteurs en herbe de maîtriser des techniques littéraires qui leur épargneront de s’égarer dans les tâtonnements habituels des débutants. Mais au-delà de ces « kits de dépannage », vers quoi se diriger par la suite ? Ce n’est pas parce qu’on sait changer une roue qu’on connaît la meilleure direction à suivre. Ce pourquoi notamment L’esprit livre existe, en ayant d’abord synthétisé à peu près tout ce qui concerne la littérature avant de développer une méthode professionnelle adaptable à toutes et tous selon leur personnalité propre. Fin de la pause publicitaire
Quand le génie mène à l’intelligence, et inversement
Fréquenter le génie des autres
Revenons à nos buffles – il n’y a pas que les moutons, dans la vie. Une fois admis dans un premier temps l’utilité des ouvrages de base, qu’ils concernent le développement personnel ou l’acquisition de techniques littéraires (et d’avoir constaté que la majorité propose rarement des choses originales d’un livre à l’autre), une conclusion s’impose : pour progresser dans une réflexion sur soi et ce qu’elle offre dans la possibilité de communiquer avec les autres, il faut, comme le dit merveilleusement l’avocat Marc Bonnant « fréquenter le génie des autres. » Qu’est-ce à dire ? Plus vous lirez – de bon auteurs, s’entend – plus votre vision de votre prochain gagnera en acuité, puisqu’ayant accès aux idées lumineuses de ces écrivains, vous serez littéralement éclairés par leurs propos.
La lecture intelligente
À condition, bien sûr, d’en accomplir une lecture intelligente, et j’espère que personne ne se sentira insulté par cette remarque. Une fois encore, une fois de plus, et ce ne sera pas la dernière, je vais vous faire bénéficier de ma modeste expérience en la matière. Certes, pas de quoi se prosterner pour ma prodigalité, mais si jamais vous souhaitiez me remercier plus que de raison, je laisserai mon rib à la fin de cet article. Dites, si on ne rigole pas un peu par les temps qui courent, hein ! Vous n’allez tout de même pas refuser un pass salutaire, tout de même !
Aller vers l’autre par un train souterrain
Donc, la lecture intelligente, késako ? Je ne sais plus si je l’ai déjà mentionné, je suis en train (c’est le cas de le dire) de lire Underground Railroad (1), de Colson Whithehead. Un chef-d’œuvre à bien des égards, à mon humble avis. Pas pour rien qu’il s’est vu attribuer le prix Pulitzer, entre autres, en 2017. Eh bien, tout en me passionnant pour l’histoire qu’il raconte, j’en savoure chaque idée qui m’interpelle. Le sujet en est l’esclavagisme aux États-Unis dans les années 1800. Mais pas que. Loin de là. Pensez à cette expression qu’on connaît toutes et tous qu’est « dévorer un livre », pour signifier à quel point il nous est impossible d’en arrêter la lecture une fois commencée. Et voyez plus bas comme il est possible de le déguster, au lieu de s’en goinfrer…
Le festin d’idées
Dévorer sans être glouton
Car on peut dévorer sans être glouton. C’est en ça que constitue pour une part une lecture intelligente. C’est-à-dire que tout en souhaitant au plus vite savoir ce que va devenir l’héroïne, en l’occurrence Cora, une jeune Noire petite-fille d’esclaves, je fais des pauses. Il m’arrive alors de refréner mon envie d’en savoir plus pour m’imprégner de ce que l’auteur a, à sa façon basée sur des faits réels relayés par son imagination féconde, de me transmettre sa vision de l’humanité. C’est le cas pour ce roman-ci, mais également pour bon nombre d’autres dans des genres complètement différents. Je prends alors tout mon temps pour relire à plusieurs reprises la phrase ou le paragraphe où mijote une succulente nourriture spirituelle.
Un roman qu’on repose nous apprend quelque chose
Il peut même m’arriver de laisser de côté mon roman un quart d’heure ou plus afin d’essayer de mesurer toute la dimension contenue dans ses lignes, ce vers quoi elles conduisent mon esprit. Ça m’en apprend autant sur moi à travers l’ignorance que j’avais de certaines pratiques que sur les personnes les ayant vécus. Il n’est parfois pas nécessaire de lire une somme considérable de livres sur un sujet précis pour en concevoir les différents angles, les diverses réalités, bref, toute sa complexité. Mais il est indispensable que parmi ceux-là certains impriment leur marque indélébile dans votre esprit. Cela s’effectuera avec d’autant plus d’aisance si vous leur consacrez le nombre de pauses digestives intellectuelles qu’ils nécessitent !
La photo ratée de la réalité
S’agissant d‘Underground railroad, je pense ne pas être soumis à une vision sans nuances de l’esclavagisme par son auteur, mais je ressens aussi le besoin d’un jour ou l’autre que cet éclairage soit complété par d’autres écrivains. Soyons clairs : je ne partais pas de rien quant à ce sujet, mais j’ai néanmoins incorporé de nouvelles notions le concernant. S’il m’advenait un jour d’avoir une conversation sur cela avec quelqu’un étant concerné de près ou de loin par ce à quoi le roman fait référence, pour m’être livré à une lecture intelligente, je serais en mesure d’en discuter avec cette personne au-delà des clichés que les extrémistes d’un côté comme de l’autre nous servent à longueur de journée. Les clichés étant les photos ratées de la réalité, autant s’en passer…
Référence
- Underground railroad – Colson Whitehead – Éditions Albin Michel.
Ces articles peuvent vous intéresser
L’évaluation de votre écriture