Les mots pressés de la nouvelle
Comment fait un auteur de nouvelle pour capter notre attention ? Quel est cet art qui lui permet de nous charmer en si peu de mots ?
Saviez-vous que Louis XVI, le matin où on le guillotina, eut cette phrase magnifique qui aujourd’hui encore sert de devise à tous les nouvellistes du monde : « Faites court ! » ? Bien sûr que si. C’est consigné dans son fameux Journal, certes pas par le Raccourci lui-même, mais sous la plume d’un certain A. Pocryphe. C’est vous dire si mes sources sont d’une fiabilité de nature à ébranler les doutes dont tout historien se devrait d’être fait. Bref. Ce cri de ralliement qu’on sectionna dans la royale gorge a malgré tout franchi les siècles pour parvenir jusqu’à nos oreilles attentives, plus précisément va-t-il se faufiler entre les lignes de cet article où il sera question de la concision conférant sa vivacité à la nouvelle…
Rapidement : trois points
Dépêchons-nous de tout dire
C’est bien connu, sans que le débat ait jamais été tout à fait tranché, il n’y a pas que la taille qui compte. Le rythme aussi est important. Pour les étourdi(e)s ayant sauté une introduction qui n’en demandait pas tant, nous parlons bien de la nouvelle. Passé les petites querelles de quel nombre de mots, signes, pages détermine l’appartenance ou non à un genre dont les contours sont sujet à pinaillage, un fait demeure : la nouvelle ne se prête pas à une flânerie narrative. En un mot comme en cent, musarder est charmant, mais ce genre n’a pas le temps.
Le gain
Il ne s’agit pas ici de savoir si nous sommes les citrons d’une époque pressée, mais de comprendre pour mieux y répondre à quels besoins correspond la nouvelle. Les gens passent leur temps à dire qu’ils en manquent. Ce côté chronophage de notre société est sûrement une des causes faisant que nombre de personnes trouvent un bon compromis entre leur appétit de lecture et les histoires n’exigeant pas qu’on leur consacre plus d’heures de loisir que n’en offre une journée. Mettons donc ça dans un coin de notre esprit : le gain de temps.
Le positif
Corrélé au fait que la relative brièveté d’une nouvelle garantisse qu’on parvienne à lui ménager une place dans un emploi du temps quotidien, le sentiment d’avoir atteint un objectif est une satisfaction en soi. Cela comble le désir compréhensible d’obtenir de petites victoires sur ces heures qui filent à une vitesse nous donnant parfois l’impression qu’on ne réussit jamais à faire ce que l’on veut, voire qu’on est dépassé. Aller au lit en étant parvenu à boucler ne serait-ce « que » la lecture d’une nouvelle valorise nos efforts et nous stimule pour en accomplir d’autres. Retenons ceci bien à l’abri sous notre crâne : le côté positif.
Le choix
Une autre particularité liée à la nouvelle consiste en la possibilité qu’elle laisse de passer d’un auteur à un autre en un rien de temps. Contrairement à un roman, qui limitera par sa longueur le papillonnage du lecteur – il est assez rare d’en lire plusieurs à la fois –, la nouvelle le permet. Bien qu’il soit dans nos habitudes de lire un recueil de la première à la dernière histoire, l’envie du moment peut faire qu’on se laisse tenter par la diversité. À nous alors une semaine où vont se côtoyer Guy de Maupassant, Stephen King, Anna Gavalda, Alain Damasio, Anne Duguël, Ken Liu et Mélanie Fazi ! Waouh ! Non, Waouh n’est pas un nouvelliste. Gardons ça quelque part au cœur de notre mémoire : un large choix sur une courte durée.
Nous ne sommes pas des traînards
Le triptyque minimaliste
Dans le film Les incorruptibles, le personnage de Jim Malone dit à celui d’Eliott Ness : « Dieu déteste les trouillards ». De la même manière, la nouvelle, elle, n’aime pas les traînards. Oui, je déifie la nouvelle sans sourciller. Peut-être parce que je suis un fervent pratiquant du genre. Toujours est-il que plus énergique sera votre style, plus resserrée sera votre narration, mieux votre nouvelle s’en portera. Si l’on voulait accentuer le côté minimaliste du genre, on pourrait le résumé à un triptyque : une idée, un personnage, une chute. L’ami Sternberg nous en apporte ici une preuve éclatante :
« Le dérapage
Le jour où il y eut un vrai dérapage dans le cours du temps, on vit avec quelque étonnement le soldat inconnu mort durant la guerre de 14-18 aller déposer une gerbe de fleurs sur la tombe du soldat inconnu de 39-45. »
Rien ne change, mais tout est nouveau
L’idée : le dérapage dans le cours du temps ; le personnage : le soldat inconnu de 14-18 ; la chute : collision temporelle avec le soldat inconnu de 39-45. Simple, limpide, efficace. On peut s’amuser en vain à chercher le mot de trop ; ou la faille dans le raisonnement rattaché à un concept convoquant la suspension consentie (ou volontaire) de l’incrédulité chère à la narratologie : il n’y en a pas. Les caprices inhérents aux altérations du temps sous forme de voyage ou autres est loin d’être un sujet original. Le fait de faire se rencontrer des personnages censés être dans l’incapacité d’être mis en présence l’un de l’autre même de façon posthume (Napoléon Bonaparte ne pourrait pas en théorie être en mesure de se recueillir sur la tombe de JFK, pour prendre un autre exemple) n’est pas plus novateur. Mais de ces ingrédients déjà utilisés maints fois auparavant, Sternberg parvient pourtant à tirer quelque chose de neuf…
Les auteurs pressés manquent-ils de caractères ?
Comment effectue-t-il cet habile recyclage ? En déclarant sa flamme au genre sous l’Arc de triomphe abritant les références célèbres qu’on ravive d’un souffle audacieux. Condensé à l’extrême afin que l’immédiateté fasse se confronter deux réalités dans la même phrase pour mieux qu’elles s’épousent, cette nouvelle réussit le pari d’être à la fois riche et dépouillée. En un format si court, il s’agit d’aller vite et de faire les bons choix. Aucune description pas plus que de nom, tandis que l’introduction situe le contexte rendant compréhensible l’action unique qui est relatée. Les deux personnages mis en scène sont connus pour leur absence d’identité qui nous les fait reconnaître dès qu’ils sont évoqués, bien que le Soldat inconnu de 39-45 ne soit que l’émanation fictive de celui de 14-18. Pour l’anecdote, avec ses 227 caractères, ce texte pourrait concourir au Prix Pépin, qui distingue des micro-nouvelles dont le thème fleure bon la science-fiction et ne doivent pas dépasser 300 signes espaces (et titre) compris !
http://archivesprixpepin.yolasite.com/r%C3%A8glement-2023.php
Différents traits du rythme
L’étique visage de la nouvelle
On l’a vu, une idée peut faire peau neuve avec une écriture aride. La sécheresse du style, c’est le cuir tendu du texte sur l’ossature saillante de la narration. Les angles de l’histoire doivent se dessiner avec une netteté tranchante, changer du profil empâté de certains romans. Le regard du lecteur se fait souvent curieux si le rythme d’un récit est dans ses abrasements tout une inhabitude. L’expression « être à l’os » dit sûrement mieux qu’une autre le raclement acharné de tout mot inutile à l’émergence d’une pensée dans son essentialité. Il ne faut pour autant pas rompre l’équilibre qui du dénuement du propos le mènerait à son abstraction la plus absconse.
Accélérer en un éclair
La phrase suivante est extraite du roman Des villes dans la plaine, publié en 1998 : « Les caniveaux charriaient une eau grisâtre et les lumières des cafés et des bars et des échoppes de souvenirs saignaient lentement dans la rue noire mouillée. ». De par sa densité, et par l’impression produite de se dérouler en un seul mouvement inarrêtable, elle pourrait figurer dans une nouvelle. Côté ambiance et description, tout se met en place en un éclair littéraire illuminant la scène de ses images colorées. La ponctuation, ou sa quasi absence puisque réduite au seul point final, crée une « énergie de lecture ». Celle-ci fait accélérer le regard tout en l’obligeant à demeurer attentif afin qu’il appréhende le sens général de cette sorte de carambolage textuel. Bref, ça ne lambine pas en route.
La bonne vitesse, c’est quand on avance
Plus d’un siècle avant avec la nouvelle La ficelle, en 1883, Maupassant se hâte moins en se fendant de la description suivante : « Leur blouse bleue, empesée, brillante, comme vernie, ornée au col et aux poignets d’un petit dessin de fil blanc, gonflée autour de leur torse osseux, semblait un ballon prêt à s’envoler, d’où sortaient une tête, deux bras et deux pieds. » Parsemée de sept virgules, chacune mettant un détail en exergue, cette phrase n’a rien de commun avec le flux McCarthien. Pourtant, les segments qui la composent impriment une cadence imperturbable à ce passage, style débonnaire sachant où il va et s’y rendant à pas tant comptés que résolus.
Le suspense sur de bons rails
L’extrait qui vient est tiré de la nouvelle Le train de nuit, issue du recueil Notre-Dame-aux-Écailles. Outre sa remarquable atmosphère tutoyant un onirisme trouble, il crée par sa succession de phrases courtes un sentiment d’urgence se fondant en une attente teintée d’une menace diffuse. Ce style constitué de petites touches incisives invite sans cesse le lecteur à aller de l’avant pour découvrir la cible des traits énigmatiques décochés par l’auteure à un tempo soutenu :
« Et je reste immobile face à cette masse de ferraille sous la couche de poussière. Pas de lumière à l’intérieur : les vitres semblent opaques. Elles me renvoient mon reflet délavé au clair de lune.
On croirait presque un train ordinaire comme j’en ai pris des dizaines. Mais tout est dans le presque. Des petits détails difficiles à cerner. La froideur des parois. L’absence de numéros de voitures. Il évoque une maquette sans finitions. Lisse, interminable, hermétique. Avec cette seule porte ouverte suggérant plus à voir dedans que dehors. »
Si l’on perçoit son rythme, c’est qu’une nouvelle palpite…
188 contes à régler – Jacques Sternberg – Éditions Denoël.
Des villes dans la plaine – Cormac McCarthy – Éditions de l’Olivier/Seuil.
Contes fantastiques – Guy de Maupassant – Éditions Hachette.
Notre-Dame-aux- Écailles – Mélanie Fazi – Éditions Bragelonne.
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