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Les secrets d’un paragraphe

Les secrets d’un paragraphe

On se jette bille en tête, croyant tout détenir : le début du paragraphe, sa fin ; ah, il y a un milieu ?

Chez certains auteurs en herbe, il s’agit de caser quelques lignes pour passer à autre chose, sans borner sa pensée.  S’aventurer loin des frontières de la structure d’un texte, voir ce que ça donne. L’erreur se révèle parfois dans l’élan, dans ce qu’on pense être la création instantanée.

Un paragraphe, c’est un espace de réflexion, la transition d’une idée à l’autre, l’occasion de faire le point sur son récit, le moyen d’exprimer un avis… Bien que clos, c’est vaste, un paragraphe.

 

Composer un paragraphe

Comment aborder un paragraphe ?

C’est aussi un marécage, un paragraphe.  Combien y ont embourbé leur intelligence ? Croyant bien faire, ils ont  jeté des volées de mots en estimant qu’ils se suffiraient à eux-mêmes, qu’ils surnageraient. Sans comprendre qu’un texte, c’est aussi de la fabrication, pas seulement de l’inspiration.

Débuter un paragraphe par une phrase accrocheuse et le clôturer par une autre puissante semblerait l’idéal pour marquer les esprits. Mais si cela devenait systématique, le procédé pourrait à force se révéler moins efficace, voire inopérant.

Non pas qu’il faille se priver de l’excellence, mais l’excès la dessert. Savoir à certains moments user de phrases ordinaires – sans jamais verser dans la banalité  – fortifie l’ensemble d’un style et rend par comparaison les idées saillantes.

On se doit d’être stratège pour que notre parole porte avec le maximum d’impact. Le propos seul, si brillant soit-il, souffrira de ne pas être correctement exposé.

Pour cela, en abordant un paragraphe, il faut savoir comment le positionner. Si on le comprime entre deux passages forts, le message qu’il recèle risquera d’être déprécié.

Faites le menu 3 étoiles de votre page

Imaginez que dans un restaurant, au lieu d’un hors-d’œuvre, d’un plat principal et d’un dessert on vous serve trois plats de résistance : vous apprécieriez le premier, vous auriez du mal avec le deuxième, et le troisième susciterait plus de dégoût qu’autre chose, fut-il succulent.

Il faut éviter de gaver son lecteur, et alléger chaque page pour qu’elle demeure digeste afin d’en rendre perceptibles toutes les saveurs.

Ainsi, on veillera à préparer le terrain au paragraphe que l’on souhaite mettre en exergue en s’appliquant à ne pas le faire immédiatement précéder ou suivre de paragraphes d’égale intensité. Cela ne nuira aucunement à la cohérence du texte, mais permettra que le point d’orgue de votre pensée se détache naturellement et acquiert la visibilité recherchée.

Pensez au discours d’un orateur lumineux. Si parfaitement cerner son sujet est bien entendu la condition sine qua none afin que le public demeure attentif, hausser la voix quand arrive le moment où une idée forte doit émerger est une technique couramment employée pour que l’assistance réagisse avec enthousiasme.

C’est ce qu’il convient de faire lorsqu’on désire interpeller son lecteur : que du murmure des mots surgisse un éclat de voix : le paragraphe clé de votre page doit se faire entendre, quitte à hurler.

Provoquer l’étonnement du lecteur

Il ne faut donc pas hésiter à donner du costaud à son lecteur, à le faire s’arrêter sur une formule qui l’interpellera au moment de s’engager dans un contenu délimité. On doit le rendre curieux en une phrase.

Par exemple : « Tout le reste dans ce poste était complètement chaotique : les têtes, les choses, les bâtiments. »

On veut aussitôt que ce chaos soit précisé, ce qui est fait dans les lignes qui suivent : « Des colonnes de nègres poussiéreux, les pieds plats, arrivaient et repartaient ; un flot de produits manufacturés, des cotons de mauvaise qualité, de la verroterie, du fil de cuivre qu’on envoyait au fin fond des ténèbres, d’où l’ivoire parvenait en retour au compte-gouttes. » (Joseph Conrad, Le cœur des ténèbres).

Conrad nous incite à aller plus loin, et c’est cette incitation qu’il faut mettre en œuvre, ce qui ne se fait pas au petit bonheur la chance. C’est du poste chaotique au fin fond des ténèbres que se dessine le chemin d’effroi de l’auteur.

Calibrer sa pensée pour séduire

Tout n’est pas affaire de blocs littéraires, dans un roman ; le discours d’un auteur s’élabore au gré de sa respiration intellectuelle, de ses frénésies, de ce qui découle de sa vision du monde, de ses connaissances techniques en matière d’écriture.

On peut dire une chose intéressante en dix mots comme en mille. Si un paragraphe n’est soumis à aucune règle de longueur, du moins doit-on faire en sorte qu’il soit équilibré, et de préférence qu’il ne renferme qu’une seule idée.

C’est un des paramètres qu’il est souhaitable d’avoir en tête quand on s’aventure dans un paragraphe : la détestation de l’éparpillement. Une cible par tireur, pourrait-on dire.

On attirera d’autant mieux le lecteur que notre pensée se fera précise, qu’elle lui offrira ce que notre esprit a de vif et de renseigné. Un paragraphe, fulgurance abritant notre décision de transmettre un message, réclame d’aller droit au but, car la brièveté bien employée est une balle qui touche au cœur.

Savoir où l’on va pour ne pas décevoir

Ayant brandi à la face de notre lecteur la promesse d’une idée forte, il faut la tenir. Ne vous avancez jamais dans un paragraphe en n’étant pas sûr qu’il réponde à l’attente suscitée.

Même avec du style, même en écrivant les plus belles lignes qui puissent être, la désillusion biffera d’un trait rouge votre talent dans l’esprit du lecteur.

Comme pour un trajet en voiture, on doit baliser chaque étape du paragraphe. Le lecteur étant notre passager, on a pour mission de le mener à bon port. Gardez cette notion de mission en tête, ce que vous devez accomplir.

Quand on comprend qu’un auteur a fait tout son possible pour nous séduire, avec à la fois ruse et honnêteté, on lui pardonnera de ne pas tutoyer la perfection à tous coups, pourvu qu’il nous surprenne, nous inquiète, nous ravisse, voire nous choque. Qu’il provoque quelque chose en nous, en tout cas.

La force d’un secret

Ce qui notamment procure par anticipation de la force à un paragraphe, c’est le secret qu’il pourrait contenir, tel un hameçon que l’auteur laisserait dériver pour que notre esprit y morde.

Révélation (un personnage tombant le masque), indice éclairant un mystère mis en place par l’écrivain, mort soudaine d’un des protagonistes, apport didactique enserré dans l’histoire, brusque changement de direction de l’intrigue, etc., le paragraphe doit par moment avoir ce rôle de basculement de l’histoire, d’une confidence différée ou de nourriture littéraire pure traitant d’un sujet précis, en marge du récit ou le concernant directement.

D’une manière ou d’une autre, cultiver la spécificité du marqueur narratif qu’est le paragraphe en variant les ingrédients qu’il contient enrichira votre récit. C’est pourquoi il convient de hiérarchiser chacun de ces points d’ancrage afin de leur conférer l’intensité désirée tout en conservant une unité de ton au niveau de l’exigence littéraire.

 

Comment bien enchaîner ses paragraphes ?

Les jonctions entre les paragraphes sont connues, mais pas toujours bien utilisées. Sans les énumérer, on peut au moins distinguer celles qui opèrent une rupture, une pause ou un pont.

Rupture entre deux paragraphes

Un procédé efficace est de se contenter d’une phrase nourrie de celle appartenant au bloc-idée qui la précède.

Quand, ayant traité d’un sujet mettant l’eau à la bouche du lecteur, l’auteur termine son paragraphe par une phrase comme « Untel était-il l’assassin ?» ou « Unetelle l’avait-elle trompé ? », une façon de renforcer la question clôturant le paragraphe est de ne pas y répondre immédiatement. Décollé du bloc par un retour à la ligne, un « Il verrait ça plus tard » ou toutes les variantes imaginables y suffisent.

Après cela, enchaîner sur un tout autre sujet fera qu’au-delà d’une diversion, vous aurez semé une graine dans l’esprit de votre lecteur, ce qui l’incitera bien sûr à poursuivre sa lecture.

De préférence, on évitera de délivrer une information importante dans la foulée, car il faut lui laisser digérer le fait qu’une piste, qu’une hypothèse ou autre résolution d’énigme soit à sa portée, sans quoi votre effet sera dilué. Votre lecteur sera d’autant plus satisfait quand, trois chapitres plus tard, vous lui apporterez la confirmation de sa perspicacité… ou pas. On aime autant avoir vu juste qu’être tombé dans une chausse-trappe bien préparée !

Prendre une pause entre deux paragraphes

L’un des moyens les plus répandus est le dialogue pour aérer sa prose. Avant que les répliques fusent, il est bon qu’elles soient motivées en amont par un élément déclencheur blotti dans le paragraphe manipulant habilement ledit dialogue. Ce paragraphe-là sera fait de ficelles au bout desquelles s’agitera la conversation des personnages.

Une description peut également faire office de respiration, mais il faut condamner le fait qu’elle existe pour elle-même. Elle doit préparer quelque chose. Dépeindre une montagne sans qu’il y ait une avalanche n’a pas grand intérêt. La description doit agir sur les personnages qu’on trouvera dans le paragraphe qui la suit, déterminant une action ou un état d’âme, une conséquence quelle qu’elle soit.

Comment franchir la rivière Kwaï de la littérature ?

On l’a vu plus avant, jeter un pont entre deux paragraphes nécessite du discernement. On  adaptera notre écriture selon ce qu’on souhaite mettre en valeur. Sans accorder le moindre répit à notre lecteur, il est parfois utile de  segmenter sa pensée. Maintenir un rythme tout en prolongeant pas à pas ce qu’on a projeté de véhiculer à différents niveaux. Passer d’un paragraphe à un autre avec la volonté d’argumenter plus ou moins longuement notre propos en espérant le rendre pertinent.

Pour cela, aucune véritable méthode, l’essentiel étant de ne pas créer de hiatus dans notre réflexion. Que cet enjambement d’une ligne à l’autre soit fluide ou non se fera en pleine conscience, selon l’empreinte qu’on désire imprimer à notre récit.

 

 

Si vous deviez écrire le meilleur des paragraphes…

…voyez quels seraient les mots clés pouvant traduire votre pensée. Et assemblez-les à la façon dont les écrivains rêvent concrètement leurs mondes : en désertant l’impossible. ?

Puis disposez dans votre esprit des cônes de signalisation comme on le ferait pour délimiter un chantier, car c’en est un. Des repères pour entourer votre propos, afin que rien ne dépasse

Une fois débarrassé des parasites que confère le bouillonnement intellectuel dès qu’on saisit un angle, votre point de vue pourra s’exprimer avec netteté.

Certains ne sont que style, d’autres qu’idée sèche, chaque paragraphe une île où brille une flammèche.

 

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