Apprendre & Pratiquer le métier d'écrivain

Quelle place donner à votre lecteur ?

Quelle part le lecteur doit-il prendre dans l’écriture d’un livre ? D’ailleurs, est-ce obligatoire qu’un espace lui soit réservé entre les lignes ? Si l’on considère qu’on écrit pour être lu, ce qui est généralement le cas, dans quelle mesure la réflexion de l’auteur doit-elle intégrer cette présence silencieuse ? 

« Tout écrivain, pour écrire nettement, doit se mettre à la place de ses lecteurs. » Jean de La Bruyère

 

« Le lecteur peut être considéré comme le personnage principal du roman, à égalité avec l’auteur, sans lui, rien ne se fait. » Elsa Triolet

De l’évitement à la recherche du lecteur

Lecteur, es-tu là ?

Suite à cet intertitre qui manque un peu d’esprit, je vais tenter de faire un tour d’horizon des perceptions qu’ont les auteurs de leur lecteur. Certains assurent ne jamais penser à un éventuel lecteur lorsqu’ils écrivent, et ce pour diverses raisons. Ce peut être parce que les uns ne parviennent pas à le visualiser, sorte d’entité inidentifiable de par son intellectualité forcément protéiforme. Pour d’autres, leur pensée est dans un premier temps presque exclusivement tournée vers leur histoire, au point qu’ils ne réfléchissent pas au-delà de la frontière où leurs personnages n’existent pas, soit les territoires de la réalité. Le lecteur est de facto mis en dehors de portée de l’acte créatif. Ce qui ne l’empêche pas de roder en lisière du texte pour venir visiter l’esprit de l’auteur dès que ce dernier se détache de son travail pour rêvasser aux compliments qu’il pourrait lui valoir.

Méfiez-vous d’Hannibal Lecteur

D’autres encore redoutent que cela aille jusqu’à altérer le fond de leur texte. Cela peut en effet devenir un frein de penser à un lecteur au point de lui « soumettre » virtuellement les idées qu’on souhaite développer. Commencer par penser à ce qu’on écrit en nourrissant des craintes quant à la façon dont ça va être perçu est castrateur. En plus du risque d’autocensure, il existe celui de trahir sa propre vision des choses en espérant écrire quelque chose censé plaire au lecteur. Il n’y a rien de pire que l’écriture de complaisance. Qui plus est, rien ne dit qu’en changeant son fusil d’épaule on satisfera le plus grand nombre. Il ne faut donc pas confondre la démarche consistant à s’inscrire dans l’air du temps et le fait de vouloir à tout prix rallier de

façon contre nature le supposé point de vue de tel ou tel lecteur fantasmé. Sans quoi on s’expose à se faire cannibaliser l’esprit par cet Hannibal Lecteur.

Le lecteur stimulant

À l’inverse, l’auteur stimulé à l’idée que quelqu’un se penchera un jour ou l’autre sur son texte pourra y puiser l’énergie d’un défi qu’il lui appartiendra de relever. S’installant à sa table de travail, il aura pour leitmotiv « Il va voir ce qu’il va voir », là où d’autres sont inhibés par l’enjeu. Il ne s’agit pas d’une méthode miracle, mais de se dire qu’on va convaincre de notre talent celui qui nous lit peut constituer un excellent moteur. On aura à cœur de l’épater sans arrogance, sinon il détectera presque infailliblement ce que notre écriture contient de morgue, si tel est le cas, et croyez-moi, ça ne lui plaira pas.

Une résistance à charmer

Pour ne pas heurter ce lecteur qu’on s’est mis en tête de séduire, on doit être conscient de notre propre valeur mais aussi de la sienne. Et admettre qu’on puisse le charmer sans qu’il approuve chacune de nos phrases les yeux fermés. Car en dépit de tous nos efforts, il ne trouvera pas forcément dans notre texte tout ce que nous avons désiré y mettre, et y mêlera ses idées ou ses convictions même si elles ne vont pas dans le sens de notre discours. Si cette interaction particulière, car diluée entre le moment où nous avons écrit et celui où il nous lit, a bien lieu,  nous aurons rempli le premier devoir d’un écrivain : susciter l’intérêt.

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Faire tout un cinéma à son lecteur

Devenez un écrivain aventureux

Dans le film Indiana Jones et la dernière croisade, le célèbre aventurier-professeur d’archéologie doit pour accéder à une grotte abritant le Graal franchir un pont invisible surplombant un gouffre vertigineux. Il lui faut pour cela avancer d’un pas dans le vide, sans la moindre certitude d’y trouver un appui solide l’empêchant de se précipiter dans l’abîme. « C’est le saut de la foi », dit-il avant d’entreprendre une marche dans les airs dont il ignore si elle lui sera fatale. En repensant à cette scène, je me suis dit que ce pourrait être une allégorie de l’écrivain cherchant un éditeur – la grotte – pour y trouver son lectorat : le Graal. En prolongeant cette image, j’y vois aussi la crainte pour un auteur de ne pas parvenir à couvrir la distance le séparant de son lecteur.

Les erreurs brûlantes du feu sacré

Ça pourrait également traduire le fait qu’en ne prenant aucun risque dans son écriture, on n’atteindra probablement pas l’objectif qu’on s’était fixé lorsqu’on avait débuté notre histoire. Et qu’il faille effectivement avoir foi en soi pour aller à la rencontre de son lectorat sans se renier en cours de route. Ceci sans pour autant essayer d’être à tout prix original, dans le sens où l’on s’inventerait une identité littéraire artificielle afin de s’inscrire dans un pseudo contre-courant littéraire. Il y a bien des façons de se démarquer, mais n’est pas J. D. Salinger, John Kennedy Toole ou Harper Lee qui veut (1), (2), (3). Il faut avoir le flair de son époque et le brio de son audace pour toucher son lecteur. On n’aura pas raison à tous coups en forgeant notre plume dans le feu sacré qui nous anime, et bien que cela nous fasse commettre quelques impairs, j’estime qu’un échec guidé par la sincérité est toujours honorable. La facticité, même couronnée de succès, m’apparaît bien moins glorieuse.

Un coup de sabre laser dans les ventes

Ça me rappelle l’anecdote contée avec humour dans le magazine de cinéma de genre Mad Movies par son fondateur, Jean-Pierre Putters, à l’occasion d’un numéro anniversaire il me semble (c’est loin dans ma mémoire). Alors que la revue qu’il avait créée dans les années soixante-dix en était encore à ses balbutiements, et que la saga Star Wars déferlait sur tous les écrans du monde, il avait pris le parti, pour ne pas dire le pari, de consacrer sa couverture à quelque chose comme un dossier sur je ne sais plus quel cinéma assez « exotique » et « mineur », à l’époque. Un flop retentissant au niveau des ventes, bien sûr. Ce qui n’a pas empêché par la suite qu’il parvienne à faire de Mad Movies la référence qu’elle est aujourd’hui. On peut se fourvoyer puis rectifier le tir avec succès, c’est ce qu’en tant qu’auteur on doit retenir de ce témoignage. Et se demander si l’on s’est trompé de destinataire, ou si c’est la pertinence de notre propos qui a fait défaut. Ou un mélange des deux.

Hôtel de la page

Finalement, la place qu’occupe un lecteur est celle que notre mérite d’écrivain aura permis de lui aménager dans cet hôtel qu’est un livre accueillant une clientèle des plus variées. Entre minable chambre de motel et suite de palace…  

  • L’attrape-cœurs, J.D. Salinger, Éditions Robert Laffont.
  • La conjuration des imbéciles, John Kennedy Toole, Éditions 10/18.
  • Ne tirez pas sur l’oiseau moqueur, Harper Lee, Éditions Le Livre de Poche.

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