Apprendre & Pratiquer le métier d'écrivain

Quels désirs vous poussent à écrire ?

Ecrire naît d’un désir ! Oui mais lequel ? L’esprit livre avait mené en 2015 une enquête sur un ancien forum, mais ces désirs ne cessent d’évoluer. Nous vous proposons de participer vous aussi à ce sondage organisé du 20 avril au  3 mai 2019. Nous verrons donc ensemble ce qui a changé en 4 ans. Vous pourrez aussi être inspiré par les désirs d’autres personnes en lisant l’article ci-dessous.

Vous découvrirez dans cet article :

  • Les principales réactions à ce sondage de nos stagiaires et de quelques visiteurs restés anonymes.
  • Une réflexion sur le désir d’écrire
  • Des astuces d’écrivain pour entretenir la flamme de leurs désirs

1 – Comment naît le désir d’écrire ?

Du lecteur à l’auteur

« Le désir d’écrire vient de la passion pour la lecture, le contact avec le livre, le goût du voyage. C’est un moment pour moi, un instant de bonheur que je prends pour me situer dans le temps et l’espace. L’écriture me permet de m’exprimer, de dévoiler mes sentiments. Mes souhaits prennent forme sur papier. Je m’extériorise et me stimule par l’écriture et cela me procure une grande satisfaction.
Passer de l’autre côté du miroir après tant de lectures. Écrire. Faire taire le silence assourdissant des mots qui ne sont pas dits… Regarder les choses avec des mots, les décrire, les rendre vivantes.
Imaginer l’autre et l’animer, le démystifier si c’est possible. Créer des univers ou se documenter pour les faire vivre. Donner à l’autre pour être lu…

Je suis peu bavarde et mon écriture est faite de mes silences, de tout ce que ma timidité m’empêche de dire. Regarder à l’intérieur de moi et autour de moi ce qui provoque une envie soudaine d’écrire. Être plurielle. J’admire E. Zola à la fois romanesque, documentaliste, poète. Jean d’Ormesson qui donne une musique aux mots, etc. Écrire pour affirmer sa personnalité à travers son propre style…

Pour ma part, mon désir d’écrire s’est manifesté très tôt – si tôt pour que je ne m’en souvienne pas précisément. C’était mon époque « bibliothèque rose » et « Club des Cinq ». Une découverte si prenante qu’une fois la série engloutie, il devenait inimaginable d’arrêter la magie si brutalement. Mon imaginaire était en manque.

Et quel meilleur moyen de continuer ce voyage imaginé que d’inventer soi-même ses propres histoires, donner vie à ses propres personnages, inventer ses dialogues, découvrir ou créer de nouveaux lieux, de nouvelles légendes, s’offrir tout le champ des possibles en matière de sensations, jouer avec la musicalité des mots, du rythme…

Encore aujourd’hui, lorsque j’écris je joue, je m’amuse, je m’évade, je fantasme, je pleure, j’extirpe mes angoisses, j’expulse mes peurs, j’enracine mes souvenirs, je détourne le quotidien. Le désir d’écrire va et vient, parfois plus fort, souvent pulsionnel, toujours indomptable ; de désir il devient besoin, paradis artificiel exigeant, épuisant, obsessionnel. Parfois il s’éloigne, il me quitte ou je le quitte. Ce n’est jamais pour très longtemps. L’un sans l’autre, nous ne sommes rien.

J’écris depuis que je sais lire. J’ai, vers 10 ans, réécrit tous les contes pour enfants que je trouvais trop sombres. Je donnais de belles fins à ces récits et depuis, j’écris plutôt des choses positives. J’admire les gens qui savent décrire des situations compliquées, les affres de la vie, les angoisses, les peurs. Pour ma part, je ne suis pas dans ce genre et trouve que la fantasy me permet d’imaginer des mondes meilleurs, des sociétés plus justes et respectueuses de l’humain. Sans doute n’ai-je pas perdu mes lunettes roses d’indécrottable optimiste ou simplement d’enfant heureuse. Est-ce qu’il n’y a que ceux qui en ont bavé dans la vie qui écrivent des choses intéressantes ? Si on veut s’en décoller, il faut imaginer.   » Loraline

Construire un équilibre personnel

♦ Le besoin de se libérer de réalités douloureuses

« Au tout début, et même encore maintenant, je ressens le besoin d’écrire afin de me délivrer d’un mal-être encombrant, d’ennuis familiaux envahissants ou de problèmes de la vie quotidienne auxquels je donne une importance beaucoup trop… importante ! En ce moment je suis moins dans le besoin d’écrire, car ma vie a changé, je me sens positive, calme, concentrée, heureuse ! Moins de besoins, moins d’envies. »

♦ Gérer ses émotions, ranger le bordel qu’on a dans la tête

« Mon désir d’écrire vient de la peur. Affronter la terreur et l’angoisse, la comprendre, pour peut-être la sublimer et donc l’anéantir ; écrire c’est alors très difficile, car avant même de délier des phrases, je suis moi-même déjà liée, emprisonnée.  »

♦ Investir son espace intérieur et cultiver son imaginaire

« Depuis toute petite, je me suis toujours inventé des histoires. En passant de la princesse emprisonnée dans une tour (dans son lit) à l’exploratrice (au fond de la cuisine). En grandissant on devient plus mature et l’on perd souvent son imagination, moi l’effet inverse s’est produit. Dans la vie de tous les jours, je vois le réel, ce qui pourrait se passer, et ce que j’aimerais qu’il se passe ; tout cela en une fraction de seconde.

Je pourrais écrire des histoires différentes tous les jours, et quand je dis écrire, je ne parle pas seulement de quelques pages, bien au contraire. De plus, mon esprit ne se limite pas à l’imaginaire, il peut tout aussi bien se fixer sur du réel. Je ne sais pas si le terme « don » existe dans ce domaine qui est l’écriture, pour ma part je dirais que mon imagination est sans limites ; et pourquoi pas, en faire profiter les autres. Si cela peut permettre à une personne de s’évader le temps d’un instant.  » Laura. P

♦ Le partage

« Le désir d’écrire vient du besoin de partager. Ressembler aux auteurs lus, préférés. Dire tout haut son mal-être et son bonheur. Partager ses sentiments avec ses lecteurs. Écrire son vécu ou son ressenti pour le transmettre. Créer des personnages et des fictions se rapprochant de sa réalité.  Le désir d’écrire anime aussi bien la personne en détresse qu’une personne vivant dans la félicité. Lire est ma passion, écrire est mon souhait. Noircir le papier c’est à la portée de tous mais le noircir bien est tout de même difficile. »

♦ Se faire aimer

« J’écris par amour. Écrire mon amour… Bien sûr ! Mais aussi écrire comme on prie l’autre de vous aimer. Je dribblais des heures durant et comme une bretelle sur le triste terrain de basket tout piqué d’herbe, de notre village. J’étais épais comme un trèfle à quatre feuilles, et gaulé comme un haricot. Je ne risquais d’épater ni par mon physique, ni par mes prouesses. Mes sentiments et mes émotions, je les vivais comme une douleur ; pas encore comme une sensibilité, et surtout pas comme une richesse.

Un jour, j’en ferais du beau de ce pire mais à l’époque, c’était une croix. Les filles étaient plus sensibles à ce maigre talent, que mes copains !
Je me souviens de mon premier poème. Misère ! Pauvre Brigitte (C’est le prénom de celle pour qui je l’ai composé !). Elle l’a reçu sur une feuille de papier que j’avais roulé en parchemin et vieilli en en brûlant les bords à la bougie. Elle était blonde ! (pas la feuille, bien sûr, ni la bougie, mais la belle !). Elle portait, presque toute l’année, un anorak flamboyant, jaune canari, qui lui allait à ravir. Il rehaussait son teint d’un pâle doré et la rendait reconnaissable dans n’importe quelle foule. Un peu inconstante, bien sûr, prompte autant à se faire désirer, qu’à me laisser penser qu’elle m’aimait en retour. Puis, dès le lendemain, elle me faisait dire par une amie que mon meilleur ennemi l’aimait plus que moi. J’étais à coeur meurtri ! Coeur perdu ! Son adorable minois poupin était orné de délicieuses éclaboussures rousses. Et moi, triste versificateur, je n’ai su que faire rimer taches et vache ! Allez savoir pourquoi ?

Mon amour de la terre et mon respect de la nature sans doute ! Ma poésie lui plut bien pourtant. Je n’ai, d’autre excuse à ce manque de tact, que d’avoir eu DIX ans. J’aimais vraiment, je crois ! Elle avait dix ans aussi.
Plus tard, vivant sans amour, dans la solitude sans fond où douloureusement on s’enfonce, se cherche ou se perd à cet âge, j’ai découvert qu’écrire m’aidait à vivre, m’aidait à supporter d’être seul, presque à m’aimer un peu. »

L’écriture : agrandisseur de vie, l’exercice de sa liberté

♦ Apprendre à tirer le meilleur de sa vie

« D’où me vient ce désir d’écrire ? Peut-être de loin de très loin, de l’assiette de riz à la viande que je partageais avec mes sept frères et sœur. Une grande assiette autour de laquelle on apprenait les leçons de la vie. Se battre pour manger tout en respectant le territoire d’autrui ; chacun de nous avait dans cette assiette une parcelle qui lui était destinée. »
Choukri Osman, première année de formation, New York, U.S.A.

♦ Diriger sa vie

« Rester maître de mon cerveau et ne pas le laisser entièrement à d’autres, susceptibles de le réduire en bouillie (un employeur par exemple). J’ai bien l’impression qu’il s’agit là encore d’un instinct de survie.  »

♦ Changer de rôles, s’inventer d’autres vies

«J’ai partagé de grands moments avec mes proches ; mais là, maintenant qu’ils sont tous rentrés chez eux, je suis seule avec moi-même et je fais ce que j’aime le plus : un tête-à-tête avec ma page blanche. C’est là, face à mon écran mental que je peux inventer ma vie. Je n’ai plus 50 ans, mais 18… ou 92. Je ne suis plus mère de famille et secrétaire, mais une aventurière mal élevée, ou une aristocrate guindée, vieille dame indigne et fantasque, ou… ce que je veux. Je suis en totale liberté pour échapper au quotidien qui est, reconnaissons-le, souvent ennuyeux. Alors écrire, oui, mais certainement pas la réalité. Réinventer sa vie, voilà la vraie liberté littéraire !»

♦ Se sentir vivant

« J’écris pour exister. j’écris pour échouer au pays de l’en dedans et réemerger comme une fusée ; j’écris pour laisser une trace, j’écris pour que l’on puisse dire de moi, un jour, inchallah, ce que l’on disait d’Emily Dickenson « mais comment a-t-elle pu savoir ce qu’elle savait ?” J’écris parce que je suis une timbrée. J’écris pour respirer. J’écris pour combler deux lacunes qui me nuisent énormément : le manque de courage devant l’ennemi et le manque d’esprit de conversation. J’écris pour jouer avec les mots. J’écris pour m’amuser ; pour rigoler. J’écris pour tordre le coup et le nez à des gens que je n’ai pas pu affronter dans la vraie vie. »
Sara Norelle, deuxième année de formation, Guadeloupe

L’investissement personnel dans la création littéraire

♦ Pourquoi pas moi ?

« Pourquoi ne serais-je pas capable d’écrire des histoires plus intéressantes que ces téléfilms, plus que moyens que je regarde bien trop souvent à la télé ? Si, si je dois pouvoir faire mieux. Et alors là, je me suis lancée. Vous auriez dû me voir avec mon petit cahier rouge et mon stylo à bille, toute contente de ma grande décision ! J’avais osé m’en penser capable et j’avais écrit mes premiers mots. Waouh !

C’était génial et j’y suis revenue le lendemain et le surlendemain. J’ai commencé à écrire une histoire que j’aurais aimé lire. Une histoire qui me fasse voyager, vibrer, rire et pleurer, qui m’entraîne dans des lieux mystérieux, qui me fasse ressentir des émotions f fortes, qui m’amuse et me tue pour mieux me faire renaître.

J’aimerais explorer la force des sentiments amoureux, mais d’autres émotions aussi telles que la colère, la peur, le courage tout cela dans un contexte empreint de féérie. En réalité, je pense m’être lancée dans le genre fantastique (alors qu’il ne s’agit pas réellement du genre de livres que je lis). Je ne sais pas où tout cela me mènera, mais je prends énormément de plaisir à construire cette histoire. Un univers parallèle, une île au trésor, une maison de poupées où mes personnages s’animent et voient leur destin s’orchestrer sous les tapotis de mon clavier. »

♦ La formation décuple les plaisirs à écrire

« Au cours des mois et des expériences accumulées, je peux dire que mon plaisir évolue et augmente. Me plonger dans une nouvelle, en rechercher tous les chemins, faire connaissance avec mes personnages, imaginer encore et encore des situations où j’aurais pu vivre, est une joie constante. Quand Jocelyne Barbas y trouve des manques ou des dérapages dans la continuité, cela me redonne du peps ! Même si de prime abord je ne suis pas toujours d’accord.
Alors je relis, à haute voix, je réfléchis dans ma tête, dans mon lit, en promenade, toute seule avec moi… et presque toujours je trouve des idées.
Ce que j’aime particulièrement c’est, après le premier jet, enjoliver mon texte, trouver des mots qui font que cela devient musique, des adjectifs (mais pas trop…) qui expriment mes impressions et mes sentiments.
Le plaisir d’écrire me fait vivre des situations qui me touchent, ou qui auraient pu m’apporter de la joie, de la peine, des envies de me projeter dans l’avenir ou dans la mort, mais pas d’une manière triste, en effet, la mort c’est la vie.
Je suis d’un caractère très optimiste. Mais j’aime aussi inventer des personnages méchants ou stupides. Peut-être devrais-je parvenir à les rendre encore plus abjects, c’est aussi très jouissif, dans les histoires fantastiques, d’imaginer des êtres nuisibles et sans morale. Bon je crois que je m’égare, je ne suis pas sûre d’y arriver !
Bref, j’aime la vie et j’aime que les gens soient gentils, (mais je hais les guerres et toutes les calamités qui hantent la planète) . J’aime aussi imaginer le chemin qui conduit de la vie à après la mort. C’est en écrivant des nouvelles que je m’en suis rendu compte, c’est quand même impressionnant, non ?»
Nouchka Favez, troisième année de formation à L’esprit livre

♦ Exercer sa fantaisie

« Ce qui me pousse à écrire. La passion des mots. Toute petite, je ne faisais que lire. Inséparable de mon dico, car les textes étaient parfois coriaces. Je dévorais tout ce qui était écrit noir sur blanc. Je me souviens de mon oncle qui s’évertuait à me posait des questions que je n’entendais pas, tellement j’étais dans mon bouquin. Plus tard l’écriture est arrivée et bien souvent elle m’a aidée à résoudre de gros problèmes. La solution quelquefois virulente s’imposait sur le papier. J’ai aussi passé des moments de franche rigolade avec mes filles alors qu’elles étaient au collège ou au lycée. je leur disais : « Venez les biches, on va écrire une histoire déjantée ». Les idées farfelues ne manquaient à personne et les rires devenaient des pleurs de bonheur. Mes types d’écrits aspirent à être poétiques, humoristiques, quelquefois sanglants et j’ai bien des misères avec la SF. »
Françoise Baudin, troisième année de formation d’écrivain

♦ Le plaisir d’être lu

« Quel plaisir depuis quelque temps de voir que ce que j’écris semble intéresser, intriguer, susciter des commentaires ! Donc, oui, le désir d’écrire vient du plus profond de moi pour une envie d’être lue. »
Myriam Reuter, première année de formation.

2 A quoi cela ressemble le plaisir d’écrire ?

Pourquoi écrit-on ? Pour se faire plaisir. La réponse est évidente, n’est-ce pas ! À la réflexion, ce n’est pas si sûr. Si les écrivains sont intarissables sur leurs manières d’écrire, rares sont ceux qui parviennent à décrire avec précision ce qu’ils ressentent. À croire que le plaisir est honteux, obscène ou indicible. Voici quelques réponses glanées dans mes lectures.

« On est dans un tel état d’extase que l’on n’a presque pas l’impression d’exister. Cela m’arrive souvent. Ma main paraît écrire toute seule, comme si je n’avais rien à voir avec ce qui se passe. Je reste assis à contempler tout cela avec admiration et étonnement. Ça coule tout seul.  » Mihály Csíkszentmihályi, psychologue, a décrit et nommé cet état  » fluidité « .

♦ La fluidité mentale

La fluidité, c’est le summum de l’intelligence émotionnelle : les émotions mises au service de la performance ou de l’apprentissage. Celles-ci ne sont pas seulement maîtrisées et canalisées, mais aussi positives, chargées d’énergie et appropriées à la tâche à accomplir. Quand on est aux prises de l’ennui, de la dépression ou l’agitation de l’anxiété, la fluidité est hors d’atteinte. (…) C’est une expérience merveilleuse ; le sceau de la fluidité, c’est un sentiment de joie spontanée, voire de ravissement. Parce que la fluidité procure un bien-être intense, elle est intrinsèquement gratifiante. Quand l’individu s’absorbe complètement dans ce qu’il fait, y consacre la totalité de son attention, sa conscience se confond avec ses actions. (…) L’attention est si focalisée que la personne n’a conscience que du champ de perception étroit lié à ce qu’elle est en train de faire et perd toute notion de temps et de l’espace. (…)

Dans un état de fluidité, l’individu ne pense plus à lui-même. Au lieu de se laisser envahir par une anxiété nerveuse, l’individu fluide est si absorbé par ce qu’il fait qu’il perd entièrement conscience de lui-même et oublie les tracas de la vie quotidienne. Dans ces moments-là, la personne est dépourvue d’ego. (…)  Le plaisir spontané, la grâce et l’efficacité qui caractérisent la fluidité sont incompatibles avec les coups d’états émotionnels. « , Daniel Goleman, L’intelligence émotionnelle, Ed. Robert Laffont.

♦ La jouissance d’être soi et de se lire en écrivant

Roland Barthes explique dans Le plaisir du texte. Coll. Tel Quel, Le seuil :  » L’écriture est ceci : la science de jouissance du langage, son kamasoutra n’a qu’un seul traité : l’écriture elle-même.  »

♦ L’orgasme mental

La description la plus surprenante sur le plaisir d’écrire es sans doute celle-ci : le plaisir d’écrire serait un ‘orgasme mental. Il est possible de jouir autant de son esprit que de son corps. Aurélie Bonnafoux le décrit dans son Mémoire de maîtrise de psychologie clinique. Université Paris X Nanterre – Année 2004-2005. Il s’agirait de l’envahissement mental par quelque chose d’imprévu, différent des messages sensoriels et sensitifs habituels, d’un éclatement des limites ordinaires du moi, s’accompagnant d’un plaisir spécifique pouvant aboutir à une décharge orgasmique. Cela ressemble de très près à… un coup de foudre…

Que dire de plus ? Écrivez !

3 – Ce qui tue votre désir d’écrire

Les mauvais souvenirs scolaires

« Je pense souvent à mon professeur de français qui m’a dit un jour devant mes résultats satisfaisants :  » Ce qu’il vous manque c’est le travail, vous ne travaillez pas assez, n’entreprenez surtout jamais d’études littéraires ! » Elle n’est plus là maintenant, mais je serais fière qu’elle sache que sa discipline exercée avec rigueur et efficacité est devenue ma passion, mon plaisir quotidien. Elle doit certainement y être pour quelque chose. À cette dame, à Jocelyne Barbas et à vous toutes et tous mes complices de chaque jour, je vous dis merci. »
Nicole de Bodt, deuxième année de formation, Belgique 

Le manque de techniques d’écriture

« Aujourd’hui ce qui me manque le plus, c’est de la technique (et sans doute quelques rappels orthographiques, grammaticaux… etc.) alors je compte m’inscrire à un atelier d’écriture. Je préfère vérifier si le feu de l’écriture qui est en moi me restera chevillé au corps ou s’il s’éteindra aussi vite qu’il s’est allumé. »

Le manque de savoir-faire

« Ce qui me bloque : – la sensation que mon écriture n’a pas la qualité souhaitée. Pas que je recherche à être un auteur reconnu pour son style, surtout pas – j’ai horreur de bien des auteurs qui s’intéressent plus à la forme qu’au fond -, mais il y a une certaine qualité à obtenir pour bien faire comprendre ses idées et  » manipuler  » le lecteur. La pensée que mon idée n’est pas assez originale en SF. Déjà trop ressassée, convenue, et n’apportant pas un nouvel éclairage. »
Nicolas Delalondre, troisième année d’écriture

La procrastination et l’exigence excessive

« Je suis une « procrastineuse » moi, et une championne en la matière. Alors les textes, ils attendent longtemps avant d’atterrir sur le papier, s’ils y arrivent un jour d’ailleurs. Mais ils sortent assez vite, comme s’ils avaient assez mûri et qu’il était temps maintenant de passer à autre chose. Alors succède un autre plaisir de l’écriture, plus long, plus fastidieux. Celui du polissage, du ciselage. Il faut revenir sur les mots, se relire, enlever un peu là, rajouter là. Doser, couper, appréhender. Jusqu’à trouver l’équilibre. Jusqu’à la prochaine idée qui jaillira.»

Le manque de temps

« Bloquée par manque de temps, trop de bruit autour de moi, obligations familiales, difficulté à exprimer exactement ce que je ressens !  » Chez moi, même si je m’enferme dans mon bureau, il y a toujours un moment où ma progéniture débarque. Il est très bavard… Je lui fais le regard qui tue, il repart penaud, mais le mal est fait « argh, où j’en étais ». Puis les chats poussent la porte. La femelle monte sur le bureau et me jette un regard innocent, tandis que le mâle signale sa présence par des graves miaulements. Et enfin mon mari (qui cuisine très bien) « Chérie, tu as une idée de ce que tu aimerais manger ce soir? ». Ok, je lâche l’affaire… Parfois, mes idées sont là, mais je suis incapable de les discipliner. Alors je laisse du temps et généralement ça marche. »
Lydia Javet, troisième année de formation

L’irrégularité

« Je suis ultra irrégulier. Sorte de maniaco-compulsif, lorsque je m’y mets, je peux rester plusieurs jours plusieurs heures par jour à écrire, penser et gérer deux ou trois textes en même temps ; et il y a d’autres séquences sans écriture, où je me concentrerais de la même façon sur d’autres projets (notamment arts martiaux). Bref des périodes de grande intensité en mode alternatif même si j’écris chaque jour (idées, réflexions, forums, traductions, bout de nouvelle…).»
Nicolas Delalondre, troisième année de formation d’écrivain.

4 – De quoi sont faits nos désirs d’écriture ?

Le désir d’écrire décrypté

Le désir apprivoise le bonheur.  Selon Spinoza,  » Le désir est l’appétit avec la conscience de lui-même. Nous ne désirons aucune chose parce nous la trouvons bonne, mais au contraire, nous jugeons qu’une chose est bonne parce que nous la désirons « .
La perception du désir ne nous renseigne en rien sur la manière dont il surgit dans notre vie. Le désir est sa propre source, l’impulsion qui pousse à agir et à exister. Il puise ses racines dans notre inconscient et notre propre histoire. Il se décrète rarement.  » Le désir est un attrait que l’on subit, la volonté d’un pouvoir que l’on exerce”.

Selon E. Gobot, nous vivons dans une grande inconscience et nous nous en satisfaisons tant que le plaisir éblouit notre esprit. Ce que l’on peut observer, c’est le désir lui-même, en le considérant comme un indicateur de ce que l’on ne peut pas percevoir immédiatement.
Il est souvent la manifestation d’un besoin, essentiel ou futile. Nous désirons ce qui nous maintient en vie, ce qui nous fait exister pleinement, satisfait nos besoins physiques et mentaux, correspond à nos aspirations, nourrit nos rêves de bonheur et laisse espérer leur concrétisation.

Le désir fonctionne selon un processus dynamique : né de l’inconscient et du besoin, il nous conduit à exister pour nous-même en se nourrissant de la considération d’autrui, de nos expériences, de nos espoirs afin de mieux nous ramener à une nouvelle conscience de nous-même. Il participe à la construction de soi, à l’expansion de nos capacités, à l’intensification de nos pulsions de vie.
Le désir et l’écriture fonctionnent selon le même processus. Tous les deux sont provoqués par un environnement favorable, une attitude mentale propice, ouverte, curieuse. Il est possible d’agir sur cet état d’esprit, c’est-à-dire que l’on peut stimuler l’émergence des désirs, leur constance et leur intensité. Les écrivains élaborent en général leurs propres méthodes. C’est ce qui leur permet de réaliser une œuvre.

L’emprise du désir, l’emprise de soi-même selon Didier Anzieu

Didier Anzieu, psychanalyste, décrit dans Le corps de l’œuvre, Ed. Gallimard, le désir d’écrire comme étant ce  » saisissement créateur « ,  » un accident brusque et essentiel « , une crise intérieure qui permet de ramener à la conscience un matériel  » inconscient, réprimé, refoulé « , suivit d’une réorganisation de ces informations permettant de décoder sous un autre jour des réalités extérieures et intérieures et de produire, opérations après opérations, une œuvre originale.

“Le saisissement créateur peut survenir à l’occasion d’une crise personnelle (un deuil à faire, un engagement important à prendre pour toute l’existence, une maladie grave, une liberté reçue ou conquise qui élargit le champ des possibles, la crise d’entrée dans la jeunesse, la maturité ou la vieillesse). Cette crise intérieure prépare le futur créateur, souvent la nuit, dans un état de transe corporelle, d’angoisse blanche, d’extase quasi hallucinatoire, de lucidité aiguë. Le sujet ne fait qu’enregistrer le contenu, sans avoir nécessairement cherché à la provoquer. Le créateur est un saisisseur qui parvient à se laisser envahir de ces sensations, perceptions, émotions et trouvent les mots nécessaires afin de les reformuler. »

Écrire n’est donc pas une activité innocente, superficielle, réduite à un simple délassement récréatif. L’écriture mobilise toute la personne et œuvre à l’épanouissement de sa vie intérieure, à la construction d’un équilibre personnel, de son identité ; elle conduit à un supplément d’existence, parallèle à la réalité, rythmée, non plus par l’agitation du monde, mais par ses propres choix, ses rêves. Écrire devient alors une manière de se protéger des sollicitations extérieures, de suspendre la tyrannie de l’action et de la réactivité permanente. De s’autoriser à vivre pour soi-même en tout sérénité.

5 – Trucs et astuces d’écrivains pour augmenter leur désir d’écrire

Cessez de résister à vos désirs !

 » Tout désir que nous cherchons à étouffer couve en notre esprit et nous empoisonne. Le seul moyen de se délivrer de la tentation, c’est d’y céder. « , se plaît à nous confier malicieusement Oscar Wilde.
Que vaut le désir si vous n’y cédez pas ? Il devient rapidement une frustration, un renoncement. Ephémère et si fragile, un désir s’accueille, s’entretient et se protège. Il est parfois très surprenant de constater que beaucoup d’entre vous le refuse et remette à plus tard leur projet d’écriture : quand je serais à la retraite, en vacances… Ils posent une condition de telle manière que jamais ce désir ne puisse être assouvi et réussissent parfaitement à ne jamais commencer à écrire ! Ceux qui pratiquent l’écriture ne peuvent que s’étonner d’une telle attitude tant il est facile de commencer. Il suffit de s’y mettre !

Eric Chevillard exprime fort bien cette surprise dans Ecrire, pourquoi ?, paru aux Ed. Argol.  » Pourquoi pas vous ? Et vous, pourquoi n’écrivez-vous pas ? Vous l’êtes-vous parfois demandé ? Qu’est-ce qui vous retient d’écrire ? Comment justifiez-vous ce refus, ce renoncement, cet évitement, cette dérobade ? Savez-vous ce qui est réellement à l’œuvre là-dessous ? À quelles forces obéissez-vous ? Quelles sont vos raisons ? Quel est ce secret honteux que vous gardez dans ce silence ? Dites-moi ce qui, chaque jour, vous empêche de vous asseoir pour écrire. Et dites-moi aussi ce qui, en tout lieu et à tout instant, de façon si impérieuse, vous persuade de ne rien noter dans le carnet qui se trouve pourtant dans votre poche, flétri par les pauvres tâches que vous lui confiez, d’agenda ou de répertoire. Je ne comprends pas. Expliquez-moi. (…) N’éprouvez-vous pas le besoin de vous approprier votre langue maternelle comme vous vous êtes approprié votre corps ? Vous n’auriez pourtant pas consenti à grandir et à vivre in utero, je suppose. Vous avez voulu pousser dans les directions qui étaient les vôtres  »

Terrasser les assauts du quotidien en développant l’habitude d’écrire

Vous avez dû observer vous-même ce phénomène : moins on pratique et moins on a envie. Cela vaut pour toutes les disciplines. L’inverse est vrai : l’entraînement fortifie le désir et l’affine.

♦ Les expérimentations progressives de nos commencements

Les découvertes sont nombreuses et exaltantes puisqu’elles conduisent à la révélation de soi-même. L’immense problème est de se lancer vraiment. Cela tient souvent à une décision personnelle, un peut de courage et d’honnêteté vis-vis de soi-même. Remettre à demain, c’est s’éviter soi-même…

♦ Les assauts chronophages et répétés

Une fois la décision prise, ce qui nous freine souvent, c’est le quotidien chargé de multiples obligations incessantes et le désir des autres qui se manifeste toute la journée. Ils interrompent les activités que l’on a choisies et malmènent nos prévisions sur notre agenda. Plus encore, l’environnement exerce des forces qui nous détournent constamment de nos bonnes résolutions et ruinent notre jubilation à faire ce que l’on aime. Excédé, fatigué, on finit par se demander : à quoi bon ?

Certains écrivains ont réussi à utiliser ces empêchements comme matière première à leur écriture en réagissant à ces influences.  » Je n’ai jamais écrit que sur la provocation des faits. Chaque jour l’événement est là qui m’attire et me retient, risquant de me détourner du travail interrompu la veille. Il me faut, à tout le moins, en garder quelque trace. Je suis aux ordres du quotidien. Je l’ai toujours été, avant même d’écrire. […] J’envie les journalistes. Ils ont l’emploi immédiat du fait. Ils peuvent sur-le-champ s’exprimer sur tout ce qui les a provoqués. Quand ils sont écrivains, ils n’ont pas, comme les autres écrivains, à garder pour un usage à venir ces denrées périssables que sont leurs impressions. Périssables, parce qu’elles enferment un germe de vie, qu’elles sont proprement vivantes quand elles naissent, et par là menacées.  »
Bernard Grasset, Les chemins de l’écriture.

La pratique de l’écriture de soi

♦ Un accès naturel à l’écriture

Le processus d’entrée en écriture reste souvent le même : on commence à écrire à partir de soi. Spontanément, durant l’adolescence, de nombreuses jeunes filles tiennent leur journal intime. Avec la multiplication des blogs, les jeunes hommes s’y essayent eux aussi. L’engouement pour cette forme d’expression illustre bien que l’écriture de l’intime correspond à la fois à des besoins individuels et à une pratique sociale.

♦ De multiples besoins satisfaits à travers l’écriture intime

Sont confondus à ce niveau le besoin de reconnaissance, la surexposition de l’intime avec la quête d’une audience dans une communauté, le rêve de célébrité comme le signe de réussite de sa vie. Les liens entre les blogs ont valeur de liens sociaux, une vie  » en ligne  » qui vient corriger une autre forme d’existence décevante : le  » off-ligne « , la vraie vie, ses contraintes et ses désillusions.  » L’ego-net  » finit par détrôner la Star Académie en ligne. Il existe dans la nature humaine un désir enfantin : celui de se sentir premier, unique, seul au monde sur l’avant-scène de tous les événements enthousiasmants. C’est pourquoi l’identification à un héros satisfait tant le lecteur.

♦ La régularité de ses rendez-vous avez soi-même

La force de l’habitude associée à la pratique d’une gymnastique mentale régulière qu’est l’écriture s’avère capitale. Grâce à elle, nos écrit prennent vie. L’auteur se sent progresser et se motive à chaque fois qu’il écrit et se relit. Un processus vertueux qui s’auto  alimente.

♦ Rendre sa vie héroïque

Écrire sur soi contribue à nous rendre notre vie héroïque.  » Je » devient mon personnage favori. Il existe d’autres motivations qui tiennent à l’apprentissage. Écrire sans communiquer permet d’intégrer, d’assimiler la réalité, ses chocs, ses ravissements, de cueillir les fruits de nos expériences. Cette forme d’écriture donne une consistance à nos perceptions, prolonge le vécu, conserve des moments de vie intacts.
Écrire, c’est braver sa finitude,  » pour mettre quelque chose à l’abri de la mort”, expliquait Franz Kafka. Tenir un journal stimule le processus personnel de créativité et d’expression. La collecte de ce matériau, ces traces de soi, suscitent des prises de conscience qui favorisent la découverte incessante de soi, comme le soulignait Henri Michaux :  » J’écris pour me parcourir  »

♦ Se dire et s’exprimer

L’immense plaisir de se dire est à rapprocher d’un de nos besoins essentiels : celui de s’exprimer, c’est-à-dire d’éprouver la puissance libératrice et réparatrice du langage tout captant la considération d’autrui.

Écrire permet d’éliminer des tensions, de dire la souffrance, la peur, l’incompréhension. C’est aussi nommer l’horreur pour la vider de ses effets toxiques, les mettre à distance et les transcender.

La valeur thérapeutique de l’écriture n’est plus à démontrer. Je n’écris pas pour « faire de la littérature « , mais afin d’élargir en moi des possibilités de vivre (…) Écrire des phrases consiste à se rendre disponible à la disponibilité elle-même. À faire entendre, par cette disponibilité-là, le trésor inouï des nuances par lesquelles votre corps reprend vie. Il n’y a pas de différence entre un corps qui se refait à neuf et le mouvement d’une pensée.  » Yannick Haenel

Oser affirmer votre personnalité

Exercer en toute liberté sa pensée amène à imaginer une vie de plus en plus personnelle, originale. Il est ensuite tout à fait logique que cette démarche conduise à l’affirmation de soi. Ce qui signifie aussi s’opposer, s’indigner, contester, questionner, exiger… s’imposer et prendre sa place !

La littérature restera un espace d’expression des personnalités singulières et de leur unicité.  » Car écrire, c’est être contre. C’est retourner la phrase comme un revolver. La retourner contre soi-même, se balancer cette phrase entre deux certitudes, car il faut à un moment donné, arrêter d’être dans la fiction, d’accompagner la morale, de donner le bras aux bons sentiments ou à la pensée sociale. Il faut aussi tirer contre. S’opposer au mouvement, arrêter, stagner, s’obséder, rire de cette phrase. Si les œuvres n’ont plus aujourd’hui ce pouvoir d’ébranler le lecteur, c’est qu’elles sont la traduction de ce qui se passe dans notre pays où l’artiste est une sorte de mendiant caressant dans le sens du poil les institutions.  » Charles Pennequin

Il est plus facile et bien plus reposant d’être dans le consensus et l’acceptation. Sans prise de risques, sans remise en question, il devient impossible de créer quoi que ce soit. Ce qui se joue à ce niveau, c’est la création littéraire elle-même, l’émergence d’un style, l’expression de personnalités fondamentales capable de faire progresser les idées de ses contemporains et des générations futures.

Comme Steve Job, les écrivains apprennent à se protéger :  » Votre temps est limité ne le gâchez pas en menant une existence qui n’est pas la vôtre. Ne soyez pas prisonnier des dogmes qui vous obligent à vivre en obéissant à la liberté d’autrui. Ne laissez pas le brouhaha extérieur étouffer votre voix intérieure. Ayez le courage de suivre votre coeur et votre intuition. L’un et l’autre savent ce que vous voulez réellement devenir. Le reste est secondaire.  »

N’abordez pas l’écriture à la légère : elle révèle la puissance de votre esprit.

Suivre le long chemin de l’écriture de soi à la littérature

L’écriture centrée sur soi, figée dans l’instant et l’émotion du moment, génère rarement des écrits littéraires. La littérature nécessite de faire le tri dans nos expériences personnelles afin d’en exprimer ce qui pourrait être utile aux lecteurs. Écrire reste un acte de communication, de partage sublimé d’expériences humaines destinées à éclairer et à inspirer nos semblables.

Et quand bien même, cette littérature aurait voulu être une démarche personnelle à l’état brut, elle met toujours en jeu nos relations avec les autres. L’intime perd de sa singularité : on se reconnaît toujours un peu dans l’expérience d’autrui, nous éprouvons ainsi notre humanité.

« Quand on écrit, on s’adresse silencieusement à un être idéal, une mère, une sœur que l’on aurait voulu séduire, un père que l’on aurait aimé convaincre de sa valeur. Concevoir une œuvre, c’est dire à cet être idéal intériorisé : tu le vois bien avoue-le, tu as été injuste à mon égard, reconnais mes désirs, mes capacités, donne-moi acte de ce que je me sens être réellement », précise à Didier Anzieu.

Dans un élan de révolte, Annie Ernaux explique que : «  L’idée même que l’écriture puisse être pratiquée comme un jeu plus ou moins éblouissant, sans pouvoir sur le monde, est de celles qui me font pleurer de colère comme la justification du racisme ou de l’excision des petites filles. Parce qu’il y a justement dans l’écriture, si on le désire, de quoi transformer les visions habituelles, les idéologies. Je veux dire que le choix du sujet, la structure du récit, l’ordre et la nature des mots, peuvent mettre en question la réalité.  »

L’esprit livre school a mis d’ailleurs l’accent sur le développement de l’esprit critique dans ses formations. C’est même le cœur de son dispositif. Ecrire, ce n’est pas appliquer des règles mécaniquement, mais de mettre ce savoir-faire au service de sa créativité en affrontant la critique de ses pairs. C’est grâce à des regards objectifs, bienveillants, encourageants que l’on trouve la force de progresser et de dépasser ses limites

Admirez positivement !

L’admiration donne envie d’imiter un modèle qui nous plaît. Dès lors que l’on se réfère à une pointure, notre culture nous conduit à marquer notre déférence et à faire acte de modestie. On finit par se convaincre que jamais on ne réussira à égaler celui que l’on admire. Cette attitude empêche la mise en œuvre de ce processus d’identification et du désir de se dépasser dans l’écriture. Admirer ce n’est pas renoncer à développer son propre talent.

« C’est à une certaine forme d’admiration et non au besoin d’écrire que se reconnait selon moi, l’appel des lettres. Surtout que l’on ne croit pas que les deux se confondent : ils peuvent même longtemps s’opposer. Dans l’écriture, les choses se passent en effet comme dans l’amour. D’abord on aime et, dans la mesure où l’on aime, on n’ose pas. (…) Tout écrivain, à ses débuts, est un colporteur de textes ; mais non des siens, de ceux des autres. Cela dure, pour chacun, ce que j’appelle  » le temps de l’admiration « , qui est proprement celui où se forme le talent. Mais si de ce premier besoin de tout écrivain, celui de faire partager ses admirations, fondement de  » l’esprit éditeur « , naît, par les circonstances, le métier même d’éditeur – et que l’homme prenne goût, dans ce rôle, à la chose littéraire – comprend-on qu’il risque de s’attarder à ce temps de l’admiration, au point de ne plus pouvoir donner sa propre mesure quand enfin il s’y est décidé ? »
Bernard Grasset, Les chemins de l’écriture.

Faites-en sorte que vos admirations suscitent de l’enthousiasme, l’audace d’essayer d’expérimenter des modèles, qu’elles vous procurent les joies de la découverte. Multipliez les tentatives et ne retenez que celles qui vous conviennent vraiment.

La lecture créative

Tout le monde vous dira que pour écrire, il faut lire. C’est le grand secret ! Mais peu de personnes vous expliquent comment lire. Tout comme l’écriture, il existe bien des manières de procéder : pour le plaisir, la réflexion, pour nourrir son esprit… La lecture peut devenir autant créative que l’écriture. Cela commence par des phrases soulignés dans les livres et des mots écrits dans la marge.

Alberto Manguel, dans son Journal du lecteur explique que :  » La lecture est une conversation. Des fous se lancent dans des dialogues imaginaires dont ils entendent l’écho quelque part dans leur tête ; les lecteurs se lancent dans un dialogue similaire, provoqué par les mots sur une page. Si, le plus souvent, la réaction du lecteur n’est pas consignée, il arrive aussi qu’un lecteur éprouve le besoin de prendre un crayon et de répondre dans les marges d’un texte. Ce commentaire, cette glose, cette ombre qui accompagne parfois nos livres préférés transposent le texte en un autre temps et une autre expérience ; il prête de la réalité à l’illusion qu’un livre nous parle et nous incite (nous, ses lecteurs) à exister. (…). Le désir d’écrire émerge d’une conversation continuée avec un auteur ou son œuvre.

Selon Roland Barthes, il s’agit d’un désir de jubilation :  » Je veux m’ajouter activement à ce qui est beau ; l’œuvre de l’autre passe en moi, je veux la faire autre, la déformer. « , en d’autres mots, je veux la faire mienne, me l’approprier, m’y associer. Pour qu’un tel désir puisse exister, les relations entre le lecteur et l’auteur doivent devenir égalitaires. Le lecteur devient créatif s’il ne s’écroule pas sous le poids de la personnalité brillante de l’écrivain ou sous l’injonction de ses acquis culturels qui le poussent à digérer ses lectures comme autant de vérités incontestables :  » C’est vrai, c’est écrit ! ».

C’est au lecteur de retrouver une place honorable, de prendre conscience de son importance dans cette relation. Souvenez-vous de cette citation de Paul Valery :  » Il n’y a pas de vrai sens d’un texte. Pas d’autorité de l’auteur. Quoi qu’il ait voulu dire, il a écrit ce qu’il a écrit. Une fois publié, un texte est comme un appareil dont chacun peut se servir à sa guise et selon ses moyens ; il n’est pas sûr que le constructeur en use mieux qu’un autre.  »

Retrouver le goût de l’effort en passant du brouillon à des textes aboutis

L’une des grandes découvertes de ceux qui fréquentent nos ateliers d’écriture est de comprendre que le premier jet, issu le plus souvent d’une émotion, n’est pas un texte abouti, mais un brouillon. Ce terme est loin d’être péjoratif, il porte en lui toutes les promesses de l’écriture.

L’écrit n’émerge jamais d’un seul coup. Les idées arrivent de manière désordonnée, aléatoire, fragmentaire, à des degrés divers de mûrissement. Seule une réécriture permet de les faire mûrir et de les ordonner. Le plaisir sans aucun effort relève du mythe ou de la méconnaissance.

Les plaisirs immédiats rassurent, encouragent, mais possèdent souvent le défaut de nous masquer les autres. Beaucoup confondent la spontanéité à écrire avec le sentiment de sincérité. Trouver les mots justes pour exprimer un sentiment n’est pas un acte irréfléchi et forcément spontané. Ces plaisirs de l’instant, obtenus sans attendre sont précisément ceux qui s’émoussent le plus rapidement.

Développer le goût de l’effort contribue à varier ses désirs et ses plaisirs, à les intensifier. Personne ne naît écrivain, on le devient. La première étape consiste à savoir travailler ses idées et sa pensée, c’est-à-dire à les structurer et leur donner une forme.  » Aujourd’hui encore, j’ai le sentiment qu’écrire remet de l’ordre dans le chaos de mes pensées. Et dans le chaos du monde par la même occasion.  » Philippe Djian

Sachez préparer votre écriture

♦ Faciliter le passage à l’écriture permet de parvenir plus vite au plaisir d’écrire.

L’aboutissement d’un intense travail préparatoire ou l’accomplissement d’un désir longtemps repoussé ou déçu conduisent à des désirs et des plaisirs plus puissants. Là encore, Didier Anzieu, réalise une description intéressante : Le contenu psychique du désir “ s’étend de la représentation unique, dotée d’une grande vivacité, à un flot déferlant de sensations, d’émotions, d’images. (…) Il n’en reste pas moins que des fonctions du Moi conscient restent actives et assurent le maintien de l’attention, de la perception et de la notation (c’est-à-dire la possibilité de noter dans son esprit ce qu’il se passe). »

♦ Identifiez les sources de son inspiration

Michel butor identifie les sources de son inspiration, dans son Répertoire V Ed. de Minuit.  » Souvent les gens vous demandent d’où vient ce que vous écrivez…  » Selon cet auteur, il existe plusieurs sources d’inspiration : le réel, l’imaginaire, la mémoire, le langage et les jeux de langue. Michel Butor précise :  » D’où vient le matériau : il vient du dictionnaire, il vient de l’encyclopédie, il vient du voyage. D’où vient la différence ? Elle vient de l’enfance. Elle vient de la nuit. Elle vient du silence. D’où vient l’énergie ? C’est la misère devant la fortune. C’est la folie devant la raison. C’est la maladie devant la santé.”

♦ Entrez en écriture

Toujours selon Didier Anzieu, les auteurs savent utiliser des techniques afin d’entretenir la force pulsionnelle de leur désir d’écrire par accumulation ou par privation. L’accumulation est assimilable à l’excès : vie sexuelle, voyages, drogues, contacts… tout ce qui favorise une montée pulsionnelle importante, apportant la matière de l’écriture et à l’inverse les auteurs qui craignent une déperdition de cette énergie, préfèrent des lieux isolés comme une île, le désert… Certains pratiquent l’alternance, d’autres, plus sages, s’essaient à une vie saine : une pratique sportive quotidienne, une alimentation favorisant l’effort mental, des relations apaisées, un état d’esprit serein, un enthousiasme entretenu par des bonnes lectures.

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