Apprendre & Pratiquer le métier d'écrivain

Sachez faire rebondir votre pensée

La pensée chemine. Celles qui semblaient abouties ne passent pas toutes l’épreuve du temps : l’auteur mûrit, précise ses points de vue, complète sa réflexion lors de ses lectures…
Quelquefois, l’excellente idée d’une histoire devient l’histoire de beaucoup d’excellentes idées : on a manqué de souffle pour lui faire prendre le large toutes voiles dehors, alors elle s’est ensablée dans notre mémoire. Puis un jour, sans qu’on se l’explique, elle reparaît à l’horizon de notre esprit, encore trop lointaine pour être reconnaissable, mais devenant familière à mesure que ses contours se précisent. Que faire d’une pensée qu’on croyait échouée et qui rentre au port après un long voyage ? Préparez-vous à l’abordage !

Le travail de l’oubli

Ces rebonds qui épuisent

Ce n’est pas tant un sujet qui s’épuise que notre capacité à en extraire tout le jus qui s’amenuise. Ainsi le moment où on estime avoir dit l’essentiel arrive-t-il naturellement – sage appréciation de notre travail nous évitant de perdre des heures à la recherche d’une inatteignable perfection. Il est par ailleurs assez fréquent, malgré toute la bonne volonté du monde, que nous passions à côté d’une composante importante dudit sujet. Un jour ou l’autre, au hasard d’une lecture ou d’une conversation, cet oubli s’impose comme une évidence. Il devient la pièce de puzzle rendant notre tâche inachevée. C’est à cet instant précis que notre pensée est appelée à rebondir…

Quand il y a à dire sur le non-dit

Un exemple parmi tant d’autres, qui pourrait très bien être le récit d’une de mes expériences en la matière. Vous avez consacré un long article à l’art du dialogue, pensant en avoir exploré toutes les facettes, ou au moins avoir dressé la liste la plus exhaustive des possibilités qu’il offre. Vous bouclez votre papier, fier du travail accompli, puis en lisant un bon roman quatre ou cinq mois plus tard, vous vous apercevez de l’importance d’un non-dit dans la conversation tendue qu’ont les deux personnages principaux. Vous vous dites « Mince ! », car contrairement à moi vous êtes poli, puis vous estimez indispensable d’évoquer cet atout du dialogue auquel vous n’aviez pas songé. Imaginant aussitôt une accroche comme « Un non-dit appartient-il au dialogue ? » ou « Comment un non-dit peut-il radicalement changer le cours d’une histoire », vous voilà happé par l’envie irrépressible de finir le boulot.

Dans le sillage des dominos

En saisissant qu’il y a du potentiel, vous décidez donc de rebondir sur cet article qui commence certes à dater, mais sur lequel vous allez pouvoir vous appuyer afin d’exposer longuement la technique du non-dit. Vous menez votre habituel travail de documentation à bien avant de vous replonger paragraphe après paragraphe dans ce que vous aviez écrit. Notamment afin de vous remettre votre propre logique du moment en tête pour qu’il existe une cohérence d’ensemble. Bien que votre nouveau centre d’intérêt soit destiné à acquérir une forme d’indépendance, il est préférable d’obtenir une unité de ton quand on s’inscrit dans le sillage d’un texte. Ce qui est valable pour un article est dans une certaine mesure transposable à une nouvelle ou à un roman. À la notable différence qu’inclure un changement de dernière minute dans une histoire peut produire un effet domino dont il faut mesurer tous les effets.

Revenir sur ses pas sans tourner en rond

L’excroissance s’élevant du grain à moudre

Je me pose régulièrement la question suivante dans le cadre de la modification ou de l’amplification de mes articles : comment tirer parti de l’excroissance d’un thème déjà abordé ? Sans  détruire la structure du texte ni tourner en rond, s’entend. Le domaine qui m’intéresse comporte des passages obligés offrant des sujets tout trouvés. La narration, la notion de paragraphe, la construction d’un personnage, le style, la caractérisation, le dialogue, etc., ont de quoi donner du grain à moudre à ceux planchant sur l’écriture. Cette dernière agglomère des aspects si variés, et presque autant d’approches pour les traiter selon les personnes se penchant dessus, qu’on n’en fait pour ainsi dire jamais le tour.

La nouveauté dans toute sa vieillesse

Reprendre son texte pour creuser un passage qu’on n’aurait dans un premier temps que survolé est une démarche assez courante ne serait-ce que dans le cadre de la relecture. Remplacez l’étude des ficelles du métier d’écrivain par la mise en place des situations et des personnages que vous souhaitez redéfinir ou étoffer. Vous verrez qu’une similitude existe qu’importe la pensée sur laquelle on entreprend de rebondir. Qu’il s’agisse d’un article ou d’un texte de fiction, il est en tout cas primordial de conserver son idée de départ. Ne vous laissez surtout pas séduire, en voulant améliorer vos écrits, par le charme d’une idée neuve au point qu’elle prenne le pas sur ce que vous aviez prévu de raconter à l’origine. Vous courriez à la catastrophe. Tout ce qui est nouveau est beau. Mais tout ce qui est neuf vieillit. Parfois mal.

Cueillir les détails en chemin

J’ai à ma disposition des piles de magazines traitant des techniques littéraires, ainsi que des rangées de bouquins décortiquant les mille et un moyens de devenir écrivain. Entre bons conseils et généralités, astuces et platitudes, tout n’est pourtant pas évoqué jusque dans le moindre détail. C’est fort heureux pour moi, qui aime m’adonner à la littérature buissonnière – celle des détails, justement –, sans quoi je devrais vite fait me trouver un autre métier ! C’est un matériau si riche qu’il est illusoire de clore un sujet s’y attachant avec la certitude d’en être venu à bout. Cela explique pour quelle raison je reviens de loin en loin sur un thème pour en explorer une ramification qui jusque-là n’avait pas attiré mon attention. Voire qu’il ne m’avait pas paru judicieux ce jour-là d’intégrer à mon article du moment, délaissant un de ces chemins perdus dont mon esprit est si friand, de peur qu’il m’éloigne trop de mon propos initial. Chemin n’attendant évidemment qu’on finisse par l’emprunter. La tentation qu’on a eu de s’y engager faisant, elle aussi, son chemin…

Produisez des pensées revigorantes

La régénération des anciennes idées

Quand on écrit, un renoncement est presque toujours passager, aussi dilué dans le temps puisse-t-il être. Quand on s’y attend le moins, bien souvent, quelque chose nous pousse à reprendre une phrase là où on l’avait laissée. Et contrairement à ce qui se passe lorsqu’on tombe au coin d’une rue sur une vieille connaissance avec laquelle on ne parvient à échanger que des banalités, la phrase d’antan convoque en nous l’énergie de qui souhaite reprendre une relation fructueuse. Un texte laissé en jachère contient la promesse d’une fertilité presque inattendue, et à ce titre est susceptible de régénérer d’anciennes idées, de leur conférer une vigueur dont elles semblaient dépourvues à l’époque où on les avait abandonnées.

Fond de tiroir et vieux fichier

Tenez, vous devez bien avoir au fond d’un tiroir ou échoué au cœur d’un vieux fichier informatique des nouvelles délaissées au profit d’autres écrits ayant en leur temps trouvé grâce à vos yeux. Avant d’être eux-mêmes relégués dans le tiroir d’à côté ou le fichier du dessous au bénéfice de textes plus aboutis, qui eux-mêmes, etc. Eh bien, je suis persuadé qu’il y a dans ces lignes stagnant dans votre mémoire le ferment d’un second souffle. Si je me montre tellement affirmatif, c’est pour avoir moi-même au cours de rangements retrouvé des histoires dont je n’avais pas su, vingt ans plus tôt, déceler le potentiel. Oh, tout ou presque était à jeter, bien sûr, mais ce n’est pas parce qu’à une période de notre vie une très bonne idée n’a pas été exploitée qu’elle est devenue mauvaise. Sans parler de nos progrès effectués durant tout ce temps qui nous permettront de la bonifier mieux que nous n’aurions su le faire alors.

L’approfondissement d’un point sans tomber dans la redite

Il est bien beau de revenir sur ses pas afin de vérifier qu’on n’a pas négligé de développer un point semblant mériter un approfondissement. Mais comment s’y prendre afin de se nourrir du contenu élaboré précédemment sans qu’il imprègne de façon redondante un propos qu’on souhaite innovant ? Sans couper le cordon reliant ce prolongement intellectuel à sa matrice textuelle – car le rapport entre les deux doit demeurer identifiable –, il faut instaurer une distance nécessaire à l’émergence de cet apport inédit. Cela va au-delà de ce qu’on appelle communément faire du neuf avec du vieux : ce n’est pas seulement une pensée qu’on réactualise, mais nous-même qui nous réinventons à travers elle. Partir d’un acquis pour continuer à se construire en tant qu’écrivain, voilà l’un des bénéfices qu’il y a à tirer de cette opération.

Quand les bâtisseurs rebondissent

Un sujet est comme une œuvre d’art : sa mise en valeur dépend de la manière dont on l’éclaire. Ça passe notamment par le choix de l’angle dont je vous ai déjà parlé à plusieurs reprises. L’angle que j’utilise pour traiter un sujet n’a pas l’ambition d’en être l’éclairage définitif. Tout au plus constitue-t-il le premier ricochet d’une réflexion que je lance comme un galet symbolique sur la surface de la page. On expédie le truc pour voir jusqu’où il peut rebondir. Jusqu’à ce qu’il fasse plouf !, en fait. Quand vous comprenez que tout ce que vous ajouterez ne servira qu’à envoyer votre article par le fond, vous pouvez fermer la boutique. Et la rouvrir le jour où vous pensez qu’un nouvel objet dans la vitrine en rehausserait l’attractivité et s’agissant d’un texte, en constituerait un complément appréciable. S’il s’avère préférable de ne plus ajouter une virgule à un texte tenant du château de cartes car son équilibre en serait menacé, abstenez-vous d’apporter cette dangereuse pierre à votre propre édifice. Par contre, si cela constitue un contrefort au mur d’enceinte de votre histoire, n’hésitez pas une seule seconde : d’un rebond à l’autre, bâtissez et bâtissez encore…

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