Apprendre & Pratiquer le métier d'écrivain

A quoi cela sert d’être écrivain ?

A quoi cela sert d’être écrivain ? Vocation ? Faire-valoir ? Nécessité ? Manière d’exister ? Et si la raison était beaucoup plus simple ? Dans cet article décontracté Frédéric Barbas évoque une bonne raison, une raison qui nous concerne tous…

Vous vous installez à votre table de travail de bon matin. Vous maîtrisez déjà pas mal de techniques littéraires, construire une histoire vous met certes en butte à pas mal de casse-têtes, mais dans l’ensemble, vous ne vous en sortez pas trop mal. Tout roule ou presque. Mais soudain, cette question vous vient : à quoi sert d’être écrivain ? Eh bien, posons-nous là ensemble !

Fly me to the moon (1)

Il y a bien longtemps, dans une galaxie lointaine, très lointaine… (merci de ne pas ébruiter l’existence de cet intertitre, je n’ai pas les moyens de payer des droits d’auteur à George Lucas. Hélas.)

Je ne saurais dire combien de fois ça m’est venu à l’esprit : en fait, pourquoi je m’échine à aligner des phrases dont toute la planète ou presque se bat l’œil ? Bien que je ne désespère pas que dans quelque lointaine galaxie se développe un important lectorat extraterrestre me permettant de percer dans le métier avec un coup de bol infini. Si ça se trouve, ces hypothétiques lecteurs de l’espace possèdent un sens de l’humour d’une indulgence telle qu’ils pourraient sourire de leur dizaine de lèvres jaune fluorescent à mes blagues désastreuses ! Laissez-moi à mes illusions galactiques, s’il vous plaît !

De A comme « Ah bon ? » à Z comme « Zut alors ! »

Plus sérieusement, je sais ne pas être le premier à cogiter quant à la dimension humaine, intellectuelle, utile, structurante, etc., de l’écriture. Quant à savoir pourquoi on s’y livre (je serai peut-être le seul à me délecter de ce jeu de mots délicieux, mais tant pis), sachez que je ne compte pas véritablement apporter de réponses satisfaisantes à cette interrogation. Je veux bien faire semblant de maîtriser mon sujet de A à Z, mais j’avoue partir un peu dans l’inconnu, bien qu’ayant à de nombreuses reprises tenté d’entrevoir une finalité à cette entreprise dont les mots ne suffisent pas à la décrypter en même temps qu’ils la constituent. Certains jours, j’ai plus de questions que de réponses par rapport à ça. D’autres fois, c’est l’inverse. Ah bon ? Zut alors !

Armstrong, Rostand et Méliès, ou une vision lunaire de l’écriture

Voyez comme on avance. Certes, pour l’instant, pas à bond de géant comme l’aurait dit Neil Armstrong. Ah tiens, je suis encore dans la Lune ! Mon côté Edmond Rostand, probablement. Ou Georges Méliès. Pourquoi suis-je en train d’insister lourdement sur ces allusions à l’espace ? Parce que le désir d’écrire me paraît tenir de l’ordre de la conquête spatiale avec la part de rêves et de craintes qu’elle revêt de façon indissociable. Quand il me semble avoir trouvé une bonne formule, je « décolle ». Lorsque je me dis la minute d’après qu’elle ne possède qu’un faible potentiel (l’euphémisme signifiant que je la trouve nulle), j’ai l’impression de m’écraser au sol. Pour en finir avec cette métaphore filée, nos mots sont des fusées comportant leur part d’incertitude quant à leur chance d’atteindre leur objectif. Oui, c’est une vision un rien lunaire de l’écriture.

Pourquoi on doit être écrivain

Le doute et la contradiction

La première question de cet article était : « À quoi sert d’être écrivain ? » Maintenant, je tiens à exprimer le côté impérieux de l’être. Là où je débutais mon sujet plus ou moins comme une remise en cause – un brin provocatrice, certes – de l’intérêt d’écrire, voilà que j’en impose la nécessité. Certain(e)s d’entre vous pourraient trouver le procédé curieux, mais il est employé en toute conscience dans un essai de démarche logique puisque je vais bientôt évoquer le pouvoir de la contradiction. Je n’ai bien sûr à aucun moment douté des bienfaits que l’écriture nous donne comme de ceux dont en bénéficient les gens nous lisant. Mon doute est ailleurs : sommes-nous sûrs d’y parvenir ? De rendre notre pensée compréhensible et de la restituer à l’écrit le plus fidèlement possible jusqu’à la moindre de ses implications ?

Tous écrivains

Je crois pour ma part qu’être écrivain doit nous donner pleinement conscience de chaque mot forgeant nos pensées, d’employer à meilleur escient les premiers pour développer les secondes. De les travailler sans relâche. Comment estimer la valeur d’un tel travail ? À notre propension à convaincre notre lecteur du bien-fondé de ce dont on lui parle ? Voire, dans une certaine mesure, à infléchir sa pensée dans l’hypothèse où au départ la sienne nous était opposée ? Peut-être ; en tout cas, les Grecs ne nous ont pas appris autre chose avec la sophistique. Mais je vais ajouter un mot me paraissant indispensable au titre de cette deuxième partie : Pourquoi on doit tous être écrivains.

La mise en route du cerveau

Parce que la contradiction est salvatrice. Sans elle, convaincre ne se nourrit pas de ce à quoi on n’a pas pensé. Des arguments que dans son discours silencieux, celui dont on imagine qu’il aurait pu nous le tenir, ce lecteur à son tour nous les oppose. Il est bien sûr irréaliste que nous soyons tous écrivains. Mais ceux qui le sont ont beaucoup à apprendre de ceux ne l’étant pas. Et vice versa. Car c’est pour une bonne part de ceux qui n’écrivent pas dont on tire la volonté d’être talentueux. Persuasifs dans nos idées.  Pertinents dans nos réflexions. Sans toujours y parvenir, certes. Mais notre cerveau serait frappé d’immobilisme neuronal si aucun but à atteindre ne l’incitait à se mettre en route.

L’entité-lecteur

Remise en cause sur champ de ruines

Le fait est là : quand on raconte une histoire, à différents niveaux de conscience, nous avons en ligne de mire une entité-lecteur dont l’aspect intellectuel protéiforme nous la rend insaisissable. Cela nous oblige non pas à un discours consensuel,  mais à élargir notre façon de penser. Rien que pour ça, je commence à me dire qu’il est bien utile d’être écrivain ! Il nous faut parfois des forceps pour écarter les limites de notre imagination, les étirer jusqu’à un point de rupture nous forçant à reconstruire nos habitudes textuelles. Sans aller jusqu’à dire qu’il faille sans cesse rebâtir notre écriture sur le champ de ruines de nos anciens textes dévastés par le temps qui passe (relisez vos premiers écrits si jamais vous les avez gardés, ça vous rendra cette image des plus frappantes), du moins nous revient-il de nous remettre en cause assez souvent. Tous les jours me paraissant une bonne fréquence.

Aveux philosophiques

Tenez, je dois vous avouer un truc : je suis ignare en matière de philosophie. Je veux dire par là que j’ignore à peu près tout du discours des chefs de file de ce domaine littéraire et intellectuel. Au point d’avoir récemment envisagé de m’acheter la dernière édition de « La philosophie pour les nuls ». Je veux bien mourir bête, mais pas sans avoir réfléchi. J’ai bien quelques Platon, Sénèque, Ovide et Sophocle qui se terrent quelque part dans mon bureau, pour parler des Anciens, ainsi que deux bouquins de Cioran, plus quelques noms que j’oublie, mais vraiment je ne suis pas calé sur le sujet, et ça m’embête. Pourquoi ? Parce qu’on n’est pas complètement écrivain sans avoir appris de ces gens-là, à mon sens.

On ne va jamais assez loin dans le monde littéraire

Et là, je ne parle que d’eux. Mais j’ai bien d’autres béances littéraires. Ai-je assez lu les Russes ? Loin s’en faut. Un Dostoïevski par-ci, un Gogol par-là. Les Italiens ? Allez, Luigi Pirandello, Italo Calvino (je me permets un clin d’œil personnel à un de mes lecteurs, ici), Dino Buzzati, Umberto Eco. C’est peu. Quant à la richesse littéraire sud-américaine ou africaine, alors là, ça tourne presque au désastre. Julio Cortázar, Gabriel García Márquez et Jorge Luis Borges, bien sûr, puis Calixthe Beyala ; c’est plus que maigre. Dois-je évoquer ma quasi-sécheresse culturelle quant aux auteurs asiatiques ? Hormis l’incontournable Murakami, le moins connu Ken Liu (et encore, bien qu’il soit né en Chine, il est Américain ; comme Kazuo Ishiguro, natif du Japon, est citoyen britannique ; voyez à quoi ça tient), ça ne va pas bien loin.

Par quel Moyen on s’Oriente dans un jardin

Mille nuits pour atteindre l’horizon

Et la pourtant si belle littérature arabe ? Les Mille et Une Nuits, évidemment, mais aussi le touchant Il était une fois un vieux couple heureux, de Mohammed Khaïr-Eddine ; ce n’est vraiment rien au regard de ce qu’elle compte d’auteurs extraordinaires. Une anecdote pour finir ce tour d’horizon : j’ai eu le bonheur, dans le cadre d’un stage littéraire organisé au Maroc par L’esprit livre il y a quelques années, de rencontrer – en compagnie des stagiaires – le frère de Mohammed Khaïr-Eddine, et l’honneur de visiter l’humble maison où l’écrivain passa son enfance. Un souvenir inoubliable, vous vous en doutez. Le soleil nous cuisait aux alentours de Tafraout, dans l’Anti-Atlas, mais cette visite-là – et cette rencontre – furent des plus rafraîchissantes.

Dans mon jardin poussent des bouquins

Je pourrais multiplier les exemples. Ceci pour dire qu’on ne doit pas être écrivain que dans son jardin. Ou en tout cas, qu’on doit y planter même ce qui nous paraît d’un « exotisme » difficile d’accès – à tort – par simple curiosité de voir quels fruits on en recueillera, quelles saveurs on découvrira. Je sais bien qu’il est impossible de lire tout ce que la littérature compte d’écrivains brillants. Mais en capter le maximum de reflets est du domaine du réalisable. C’est pourquoi j’ai commandé l’autobiographie d’un auteur qui manquant d’adresse, ne sait plus où il habite. Dépaysement littéraire garanti ! Finalement, je pense avoir résolu l’énigme consistant à l’importance d’être écrivain : se perdre dans son écriture pour se retrouver dans nos lectures. Et inversement.

Référence : Fly me to the moon, (« Emmène-moi jusqu’à la Lune »), chanson de Frank Sinatra.

ces articles peuvent vous intéresserCes articles peuvent vous intéresser