Apprendre & Pratiquer le métier d'écrivain

Laissez parler votre écriture

Écrire est la plupart du temps un moment de joie qu’on passe avec soi-même. Un instant d’égoïsme n’en étant pas un, ou de courte durée, car dans la majorité des cas il s’agit d’une activité trouvant son accomplissement dans le partage. Faire connaître nos idées, notre habileté à les formuler, revient à penser à voix haute dans l’anticipation du moment où nous serons entendus. Pour parvenir à cet étrange échange, il faut franchir le pas afin de se concilier les faveurs de l’écriture sans redouter ses caprices. Voire dompter la crainte larvée que les mots qu’on a en bouche ne parviennent pas à libérer les fourmis qu’on a dans les doigts tenant notre stylo…

Écrire ? Moi ?

Oui, vous

Bien sûr que c’est à vous que je parle. Vous que l’envie d’écrire titille. Vous qui ne cessez de parler du moment où vous allez vous y mettre. Vous encore qui écrivez déjà de temps en temps mais en fixant inconsciemment des limites à votre talent. Vous, toujours, dont la finalité de l’écriture vous semble floue alors que vous la pratiquez régulièrement. Vous, enfin, qui me lisez en vous demandant où je veux bien en venir. Ça tombe bien, on est deux. Je plaisante : vous allez vite vous rendre compte que l’eau remontée du fond de ce puits de sagesse que constitue cet article est tout à fait potable. Si vous avez soif d’en savoir plus, prenez un seau, je tourne la manivelle.

Parler, d’accord, mais écrire ?

Imaginez que vous ayez un stylo à la place de la langue. Voilà, ça répond à la question. Merci de m’avoir permis de vous la poser pour que je puisse y répondre. Évidemment, écrire n’est pas parler, bien que la dictée vocale existe. Vous aurais-je fait une réponse mensongère, alors ? Non. Mais incomplète, oui. Car personne n’a de stylobille en guise de langue. Enfin, j’ignore quels milieux vous fréquentez, mais pour le cas où vous auriez ce genre de spécimen parmi vos connaissances, je ne pense pas que ça constitue la norme. Je ne vous juge pas, hein, j’ai bien un ami qui dort depuis des années sur le toit de ma maison en étant persuadé d’être une parabole, alors bon, tant que je reçois les chaînes du câble… Je vous demande deux secondes, il y a un type en blouse blanche qui frappe à ma porte.

Écrire limite la trahison du discours

Écrire, c’est joindre le geste de tracer des mots à la parole qui les a fait naître. Et il arrive d’éprouver des sueurs froides à la seule idée de la prendre. L’angoisse de ne pas dire la bonne chose au bon moment. De bégayer nos arguments. De trahir notre propre discours par une maladresse, une phrase mal formulée, un mot signifiant l’inverse de ce que l’on pense. Or, on ne bafouille pas, en écrivant. Nous mûrissons nos idées en prenant le temps de les peaufiner, sans avoir à les apprendre par cœur. Si un point de vocabulaire ou de grammaire nous pose problème, un dictionnaire ou une aide en ligne en viendra à bout, limitant nos approximations. Nous raturons autant de fois que nécessaire. Nous écrivons et réécrivons.

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La complémentarité des paroles et des mots

L’écriture, une voix à double sens

Certes, à l’oral on peut aussi se reprendre, retrouver le fil de ses idées, du moins si l’on ne perd pas ses moyens. Si un méchant trou de mémoire ne vient pas créer un hiatus dans la logique de ce qui nous paraissait évident, et qui d’un coup nous donne le sentiment de diminuer la portée de notre pensée. Comprenez bien une chose, je n’oppose pas la parole à l’écrit en insinuant que l’une serait supérieure à l’autre. Pas du tout. Au contraire, je les trouve des plus complémentaires. Elles se nourrissent l’une l’autre. Qu’il s’agisse de notre parlote intérieure ou des échanges d’opinions verbalisés dont nos existences sont truffées, les ponts jetés vers leur matérialisation écrite sont nombreux et peuvent être traversés dans les deux sens.

Lectures et conversations

D’anciens textes retrouvés au hasard font que l’on réemprunte les chemins menant vers des conversations ou des lectures qu’on pensait mortes de leur belle mort, celles dont en y réfléchissant on s’aperçoit qu’elles ont orienté certains de nos choix. Œuvres de fiction inspirées de notre vécu, lettres d’amour dont on secoue la poussière du passé en les extirpant d’enveloppes déchirées comme notre cœur a pu l’être, journal intime écrit en murmurant les moments de la journée valant d’y être consignés, paroles d’une chanson convoquant sous notre plume des souvenirs teintés des reflets sépias du temps écoulé : nombreux sont les allers et retours entre les choses dites, entendues, lues et écrites.

La quasi-inexistence du « J’aurais dû »

Ce qu’il nous est arrivé de dire au cours d’une journée lors d’une banale discussion, même s’il s’agit d’une bourde, peut aussi rejaillir de façon positive dans notre écriture. Cette dernière nous donne-là l’occasion de rectifier le tir, éventuellement. Ou de glisser dans nos textes quelque chose que nous n’avons pas eu la présence d’esprit d’exposer ou d’opposer à notre interlocuteur au cours de cette conversation. Le « J’aurais dû dire ceci » n’existe pour ainsi dire pas à l’écrit, le temps de la réflexion n’étant pas le même. L’écriture est la seconde chance de notre pensée. Si elle ne satisfait pas un besoin immédiat dans le feu d’une discussion, s’en remémorer les moments où nous aurions pu mieux argumenter est souvent profitable sur le long terme.

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L’huile et l’encre de l’imagination

L’huile des palabres

Mais pourquoi serait-ce différent, si l’écriture est le prolongement de notre parole ? Tout simplement parce que, avant de parler aux autres, on se parle à soi-même. C’est le faux instant d’égoïsme mentionné dans l’introduction de cet article. Celui des palabres internes qui agitent notre cerveau, verbiage mental qui à l’oral ferait bâiller d’ennui notre auditoire, mais qui débarrassé de ses scories une fois ce sérieux remue-méninges effectué prend une forme intéressante sur le papier. Il est cependant rare qu’une phrase écrite, même après un long processus d’élagage neuronal, rende justice à notre cheminement intellectuel. Mais lorsqu’elle s’articule dans le coulissement parfaitement huilé des segments la composant, l’écrivain obtient sa récompense.

Le transvasement de l’encre verbale

Parfait, mais posons-nous une autre question à présent qu’il est acquis de devoir impérativement passer les alluvions de nos paroles au tamis de notre boîte crânienne : comment atteindre cet impeccable mouvement textuel ? Cette prose immaculée qui tiendrait du miracle, de l’alignement des planètes et de la baisse du prix de l’essence tout à la fois. Bon, pour le troisième aspect, j’ai comme un doute. Toujours est-il que cette encre verbale doit à un moment donné se répandre sur le papier, aussi allons-nous voir quelles conditions pourraient s’avérer précieuses pour y parvenir avec le moins de déperdition possible au cours de ce transvasement « vocalo-scripto ».

Le courage d’imaginer

Pour que nos paroles s’articulent en ayant bons caractères d’une page à l’autre, faudrait-il du courage, car l’indigence d’un effort appauvrit la qualité d’un texte et le manque de persévérance finit d’en ruiner le potentiel ? Oui, il en faut. De l’imagination, car sans elle la meilleure idée énoncée manque de la séduction propre à charmer le lecteur ? On peut dire qu’elle est indispensable à certains moments. De la technique, puisqu’elle clarifie notre voix d’écrivain en même temps qu’elle lui confère de la substance ? Bien sûr, suffisamment sans devenir m’as-tu-vu. De la méthode, étant donné qu’en son absence les éléments d’un discours risquent de ne pas émerger à bon escient ? Évidemment, la bonne respiration d’un texte passe par des ajustements soumis à une organisation digne de ce nom. S’agissant de respirer, ne vous inquiétez pas d’un risque d’essoufflement de ma part avant d’aborder la dernière partie : en général, je ne manque pas d’air.

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Le cycle de l’écriture

Traduire et condenser ses émotions

On l’a vu, il en faut des qualités humaines, techniques, littéraires et créatives afin d’élaborer une phrase quand on met notre voix en sourdine pour mieux la faire entendre. Et, sans vouloir effrayer qui souhaiterait se lancer dans cet exercice, je n’ai listé qu’un nombre très exhaustif d’entre elles. Car en vérité, c’est une somme de savoirs mis au service d’une volonté de se dépasser que requiert l’écriture d’une histoire. Il est à mon sens aussi difficile de verbaliser ses sentiments, c’est-à-dire d’extraire du vocabulaire dont on dispose les termes les plus à même de traduire nos émotions, que de les condenser avec précision dans une structure possédant ses propres codes, ceux de l’écriture.

Choix et métacognition

Le cycle pensées/mise en paroles/transformation en fiction écrite est un mécanisme intellectuel à la fois basique et subtil. Basique de par le côté intuitif de la communication sous toutes ses formes, subtil par le travail permettant de polir chaque rouage d’un texte, comme ceux consistant à fluidifier une phrase. On estime avoir en moyenne plus de 6000 pensées par jour, autant dire que nous ne pouvons pas nous attarder de façon approfondie sur chacune d’entre elles quand on écrit, qu’un choix doit s’effectuer pour alimenter notre propos. Ce choix pourrait sembler aller de soi, mais ce qu’on appelle la métacognition, l’observation du cerveau par lui-même, pour simplifier, tient une part importante dans cette décision…

Le doute résiduel de nos idées

Les paroles que l’on prononce font écho chez notre interlocuteur, mais aussi en nous dans la vie de tous les jours, et plus encore lorsque nous écrivons. Quand on étaye une idée, on s’appuie sur des faits que nous préférons à d’autres pour leur évidence, ou devrais-je dire ce que nous estimons en être une. Notre décision de sélectionner des preuves de cette évidence se base sur notre quasi-certitude qu’elles reflètent une réalité la moins discutable possible, avec la part la plus infime de doute subsistant de manière résiduelle dans notre esprit.

Prêcher la bonne parole

Écrire nécessite toutefois que cette part de doute continue à être interrogée, ce qu’on désigne par « penser sur ses propres pensées », cousin assez proche du « apprendre à apprendre ». La fameuse métacognition en question. Celle dont un spécialiste des neurosciences vous dirait peut-être qu’elle constitue un outil favorisant de pousser le plus possible la vision qu’on possède de notre travail dans le but de ne pas nous contenter du minimum littéraire. Pour conclure, je vous laisse prêcher la bonne parole auprès de votre cerveau afin de le convaincre de sans cesse remettre en cause la qualité de votre écriture…