Apprendre & Pratiquer le métier d'écrivain

Où trouver les idées pour écrire un livre ?

Qui peut dire avec assurance d’où viennent les idées pour écrire ?

Raymond Devos et Jacques Prévert disaient des idées qu’elles étaient dans l’air. Certainement humaient-ils si bien l’air du temps pour avoir l’heur de ne pas se tromper. Je pose néanmoins la question : de quoi aurions-nous l’air si nous n’avions pas d’idées ? Certainement pas celui de quelqu’un qui s’apprête à écrire. Si manquer d’air est manquer d’idées, cet article risque de respirer l’effronterie…

Les idées s’invitent chez qui les attend

De quoi l’écrivain est fait

Mon article précédent, je le dois à la découverte d’une phrase dans Le rivage des Syrtes. En partie certes, mais du moins tenais-je là un point de départ prenant sa source dans l’importance du détail pour mieux en identifier les subtilités et nourrir ma réflexion. Bien sûr, mon esprit est prédisposé à cela, comme un sculpteur voit dans un bloc de marbre la possibilité d’une statue, son ébauche ou sa forme finie. Un texte en gestation n’est abstrait que dans notre peur de ne pas le voir naître. Le point de vue est certes défendable que l’homme soit fait des idées qu’il n’a pas eues. Mais un écrivain peut-il n’être constitué que de textes qu’il n’aurait pas écrits ?

Une idée dans le mécanisme

Quand on est amené à écrire régulièrement, un mécanisme en veille permanente opère en nous. Il se déclenche à la manière d’un détecteur de mouvements, projetant une lumière dans notre esprit sitôt que quelque chose bouge là-dedans. Il ne s’agit pas de prévenir une intrusion, mais d’accueillir un invité qu’on attend et reçoit toujours avec plaisir : une idée. Elle s’impose par sa présence et se développe grâce à notre certitude que nous soyons une de ses ramifications ou celui en étant l’instigateur. L’un n’interdisant pas l’autre.

Des idées entre les décombres

Une fois cette idée patientant dans le vestibule de notre imagination, une question viendra peut-être nous titiller les neurones : d’où vient-elle ? Quel trajet a-t-elle emprunté afin d’arriver jusqu’à nous ? Quelles émotions a-t-elle rencontrées sur son chemin, lesquels de nos souvenirs l’ont croisée ? Une idée ne voyage jamais seule très longtemps. D’autres marchent dans son ombre ou courent à ses côtés dans les landes sans fin de nos journées jonchées d’écrits inaboutis. Parfois surgies du néant, les idées sautillent et volètent entre nos décombres intellectuels pour restaurer notre imaginaire.

Les idées forgées dans le feu des rêves

Des rêves de moleskine

« Quand je me retourne sur mon passé, seuls réchauffent mon visage tous les vaisseaux que j’ai brûlés derrière moi, mais cette fournaise de non-retour n’affecte en rien le filet glacial des décisions sans appel ayant gouverné mon existence. » Cette phrase m’est venue ce matin au réveil. Je l’ai notée avec malhabileté, mais mot pour mot, sur le petit carnet de moleskine qui ne quitte jamais ma table de chevet. Au moment où, l’esprit encore cafouilleux d’appartenir à la nuit alors que la substance du réel tarde à se préciser, on ne sait pas si l’on parle en dormant à poings fermés ou si l’on écrit en écarquillant les rêves. Un peu des deux, sans doute.

L’armée des idées

S’il ne s’agit pas d’une phrase prétendant à une quelconque littérarité, elle a quelque chose d’intéressant, non ? J’ai la faiblesse de penser que, aussi verbeuse soit-elle, elle possède du potentiel pour donner du relief au constat que ferait un personnage au soir de sa vie, par exemple. En y apportant bien sûr les modifications indispensables à son parfait enchâssement dans une telle scène. Ou bien ne resservira-t-elle jamais et rejoindra l’armée des idées dont le moment de gloire n’arrivera jamais. Ça ne lui retire en rien son statut de réserviste prête à être mobilisée en cas de conflit textuel d’importance, sait-on jamais !

Au gouvernail de nos idées

Les lambeaux nocturnes auxquels on tente de s’accrocher avant que ne s’effiloche le tissu vaporeux des songes sont trompeurs. Souvent taillés dans une étoffe de contrefaçon, ils ne restituent que rarement la version originale de notre discours onirique. Les contours flous de mon subconscient ont donc pu me fournir l’illusion d’une phrase traduisant avec netteté les visions ayant peuplé ma nuit. Ont-ils vraiment dérivé sur les eaux agitées de mon sommeil, ces navires incendiés poussés par le vent de l’allégorie ? Je ne le saurai jamais et m’en contrefiche : au final, rien d’autre ne compte que de rester le seul maître à bord de ses idées.

Écrire nos idées

L’idée hors du monolithe

On renouvelle l’air de nos idées en lisant celles, différentes, des autres écrivains. Il suffit pour s’en persuader de prendre connaissance de points de vue contraires aux nôtres. On renforce notre inspiration dans la prise en compte de ce que nous n’avions jusqu’alors pas admis faute qu’on nous l’ait expliqué avec pertinence. Cela ne signifie pas renoncer à nos opinions, mais ne plus les concevoir sous un aspect monolithique imperméable à la nuance. Un avis trop tranché, c’est une réflexion décapitée.

L’incision du superflu

Il arrive à nos idées d’être éléphantines dans la porcelaine de la finesse d’esprit. Que, mal dégrossies, elles renversent sur leur passage les arguments les plus délicats en faisant montre d’une lourdeur intellectuelle. Il va sans dire qu’ainsi imposées, elles seront mal accueillies, voire moquées pour leur manque de subtilité. C’est pourquoi quelque cornac littéraire peut se révéler utile afin que chemine notre propos en liant un ton imposant à un style aérien. Affutée par la lecture d’auteurs ayant déjà réfléchi à des sujets dont on souhaite s’emparer, notre pensée incisera d’autant mieux la peau épaisse du superflu.

La clarification par l’écrit

Les romans comme les nouvelles, les journaux aussi bien que les revues spécialisées, tout ce dont le contenu est gorgé de l’encre de plumes expertes est un vivier d’idées. J’entends par plume experte celle dont l’irréprochabilité de l’écriture rend justice à la parfaite connaissance du sujet qu’elle traite. C’est ancrée dans ce socle solide que l’idée de départ d’un livre jamais ne vacille. Si notre vécu permet la même assise quant à la pertinence du propos qu’on développe, une écriture qualitativement en retrait le desservira en dépit de notre légitimité à en parler. Une expérience s’exprime par l’idée qu’on souhaite en transmettre mais ne se valorise que par la clarté avec laquelle on l’écrit.

L’art des idées

Une palette d’idées

Trois tableaux sont accrochés aux murs de mon bureau. J’aimerais que vous compreniez l’impression qui s’en dégage et la façon dont elle agit sur mes idées, et donc sur mon écriture. Ce qu’ils représentent me flattent l’œil, aussi je peux passer de longues minutes à observer avec quelle minutie le peintre a exercé son talent. Savourer la grâce dans le mouvement rendu par un coup de pinceau ou trouver de la beauté là où un ombrage se pare de savants contrastes est un enchantement. Mais si ce qui figure d’artistique sur ces toiles a pu m’inspirer, la création de ce qui n’est pas directement montré m’a également valu nombre d’idées d’histoire.

L’idée dissimulée

Il y a un point commun entre ces trois tableaux : chacun d’entre eux dissimule quelque chose dans sa composition et l’ambiance qui en découle. Cette particularité a, systématiquement, motivé mon achat. Deux de ces œuvres campent un personnage de dos face à un imposant bâtiment d’une verticalité vertigineuse occupant seul un horizon désertique, sorte de vide orangé hostile. L’un des hommes paraît immobile, figé dans la contemplation de ce qui semble symboliser la fin d’un très, très long voyage ; l’autre s’y dirige résolument, manifestement en route pour affronter son destin. Avec quelle idée en tête ?

La naissance d’une idée

En fait, ces deux personnages se côtoyant sur le même mur ne font qu’un et illustrent un thème similaire, celui du héros confronté à l’ultime épreuve dressée, ici au propre comme au figuré, sur son chemin. On ne voit pas leur visage ; on ignore ce qu’ils vont trouver là, et si cela va répondre à toutes les questions qui les ont hantés du début de leur quête jusqu’à son achèvement, quelle que soit la façon dont elle va se conclure. Mais si eux incarnent  une forme d’évidence dans leur attitude, ce qui les a conduits en ce lieu se soustrait au regard pour mieux s’offrir à l’imagination. Les idées naissent du concret comme de l’intangible, et ce que font ressortir traits et couleurs masquent le dessin d’une réalité alternative.

Des idées dans le faisceau d’un phare

L’énigme

Le troisième tableau ne laisse aucune opportunité de se projeter dans ce qui anime un personnage : il n’y a pas âme qui vive dans le décor. Le regard se pose sur une construction, un phare et ses dépendances s’élevant au sommet d’une éminence herbeuse. Un ciel d’un bleu tendre s’accroche quasiment aux quatre coins du cadre. Des trainées nuageuses blanches s’étirent, selon toute vraisemblance soufflées là par le vent du large. Mais pas plus de mer proche que de côtes lointaines en vue. C’est un tableau idéal pour susciter une rêverie intriguée, une énigme à portée d’idée.

De l’autre côté du phare

L’œil, attiré par des parois frappées de soleil, des angles qui y jettent leur flaque sombre, est fasciné par cette puissance figée lui faisant obstacle. Le phare et les quelques corps d’habitation l’entourant constituent une fabrique à idées. Celle naissant de la curiosité : quel paysage se déploie de l’autre côté ? Quels sont les mystères roulant sur le versant opposé ? Comme je ne le sais pas et l’ignorerai toujours, j’esquisse un univers fictif différent selon mon inspiration du moment. Elle finit toujours par se mettre à gravir cette colline afin de voir ce que m’offrira la vue une fois son faîte atteint…

Les idées sont dans l’air

Un jour je découvre une scène insolite se déroulant sur une plage déserte ; un autre, une armada menaçante fend les flots dans un bourdonnement de grandes voiles noires prises dans de violents embruns ; à certaines heures de la journée, j’imagine entendre des battements de tambour en provenance d’une crique ; ou bien, le son d’une conversation mêlé du bruit têtu du roulis des vagues atterrit, portée par la brise marine, dans un de mes dialogues. Et tandis que la silhouette du phare s’amenuise derrière moi, j’avance dans cet air gonflé d’idées…