Apprendre & Pratiquer le métier d'écrivain

Pourquoi écrit-on ?

Pourquoi écrire est-il si important ? Qu’est-ce qui nous y pousse ? Pourquoi écrit-on ces mots, ces phrases, ces histoires ?

Chaque art possède une dimension tout sauf anodine. Qu’on soit peintre, sculpteur ou cinéaste, musicien, architecte ou écrivain, nous jetons des passerelles mystérieuses et parfois brinquebalantes sur lesquelles nous dansons pour surplomber la jungle de nos sens quand ce n’est pas pour s’y enfoncer jusqu’à s’y perdre. Ou trouver quelque chose qu’on n’était pas venu chercher, mais que l’on conserve jusqu’à la fin de nos jours, coincé entre le cœur et l’esprit. Qu’il s’agisse d’une raison de vivre, de réponses à des questions dont nous ne nous soupçonnions pas qu’on se les poserait un jour, de ce à quoi une phrase nous fait réfléchir pour la première fois, etc., je vous propose aujourd’hui d’aborder l’importance de ce ressenti protéiforme qu’est le fait d’écrire…

Un fatras de questions

L’harmonie et le chaos

Nous ne cherchons pas tous l’harmonie à travers l’écriture. Pas toujours. À certains moments, le désordre nous attire ; d’autres fois, la lassitude nous est d’un étrange réconfort. Comme on apprend à apprécier l’inspiration que nous apporte la plus banale des solitudes en parcourant le sentier brumeux d’une forêt. Ou à aimer qu’il y ait un bruit infernal en nous aussi bien qu’un silence profond s’installe dans nos pensées. Mis bout à bout, que la rumeur du monde qui s’écroule gronde à l’horizon ou que le miel d’une journée heureuse coule dans nos veines, un écrivain ressent d’une manière ou d’une autre le besoin de l’exprimer.

La chirurgie intellectuelle

Est-ce important ? Pour ceux craignant de s’empoisonner en avalant le contenu d’un encrier (qui sait quelle toxicité il recèle ?), non. Pour qui veut savoir ce que l’opacité liquide de notre vie dissimule, si. Car un écrivain met de la hardiesse à être curieux. Sans quoi, c’est un imposteur désirant uniquement se questionner non pas sur ce qu’il a écrit, mais sur ce en quoi ça pourrait le rendre séduisant. Appelons-ça la chirurgie esthétique intellectuelle. Celle qui masque les défauts d’un propos pour au final en faire ressortir la vacuité la plus laide. Quand un écrivain appelle un chat un chat, c’est pour qu’il miaule. Quitte à lui marcher sur la queue. Le plus fort possible, s’il le faut.

Écrire nos vérités incertaines

Est-ce à dire que l’écriture sincère ne serait que le révélateur de nos petites cruautés ordinaires ? Ou de la bienveillance que nous mettons pour reconstruire à cinquante ans ce que nous voulions détruire à vingt ? De la restauration de nos sentiments que trop de cris, de passion, de rancœur ou d’admiration ont ébranlés ? Une observation implacable de qui nous n’avons jamais pu être, d’avoir baissé les bras quand il aurait fallu lever le poing ? Ou bien écrire consisterait-il en la somme de nos interrogations non résolues et de la compréhension que jamais ô grand jamais nous ne détiendrons La vérité, mais une parmi tant d’autres, qu’elle nous satisfasse ou pas ? Ce fatras d’incertitudes est-il vraiment important ? Non. Il est primordial. Bon, peut-être pas pour la préservation de notre santé mentale, mais trop tard pour s’en préoccuper.

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L’écrivain et l’acte d’écrire

L’écrivain dans les entrailles du monde

Ceci posé, un peu en vrac car quand on réfléchit trop on se met à truquer notre propos, il me semble indispensable de dissocier l’écrivain de l’acte d’écrire. L’écrivain est qui nous sommes, occupant une modeste place, mais une place quand même, au sein de ce vaste monde balloté par nos mots. C’est aussi les idées que nous inspirent ce monde et les valeurs littéraires – mais par forcément morales – que nous tentons d’incarner en nous débattant dans les replis de ses entrailles fumantes qui font de nous un écrivain. Au point que notre personnalité pourrait se résumer au versant créatif du regard que nous portons sur ce qui nous entoure.

Le besoin de réinventer l’instant vécu

L’acte d’écrire, lui, revient pour l’essentiel à parfaire les contours de ce monde afin de conserver l’intensité d’un moment vécu. Et de l’enrichir différemment de ceux n’ayant pas l’intention d’en tirer un plaisir autre que celui de l’instant présent. À sa façon, l’écrivain ne se contente pas de revivre cet instant-là comme un souvenir fidèle, mais le réinvente à travers des considérations n’appartenant pas à sa seule mémoire : en les couchant sur le papier. Car même si rien ne l’y oblige, il ne sait pas faire les choses autrement. C’est de ce besoin qu’est en partie constitué l’acte d’écrire : une démangeaison irrépressible de la réalité nous faisant en gratter le vernis jusqu’au saignement de notre imagination.   

La promenade des neurones

Il y a peu, j’ai effectué une promenade en m’enfonçant dans un sentier forestier dont j’ignorais où il menait. Il était aux alentours de 8h30, il devait faire – 2°, et je me trouvais seul pour effectuer cette petite oxygénation matinale. Aller-retour, j’ai dû effectuer 6 ou 8 kilomètres, guère plus, mais on se dégourdit autant les jambes que les neurones durant ce temps-là, de quoi assouplir ses réflexions afin qu’elles effectuent quelques contorsions en tout cas, pas vrai ? J’ai fini par déboucher sur une route goudronnée ne présentant d’autre intérêt que de permettre aux véhicules d’y circuler, alors j’ai rebroussé chemin. Fin de l’histoire ? Non, encore heureux…

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Deux biches sur un coteau

Écoutez ma voix intérieure, elle parle de vous

Un préambule étant à l’écrivain ce que le raclement de gorge est à l’orateur, il fallait bien que j’éclaircisse mes idées afin que ma voix intérieure porte le plus clairement possible afin que ce qui suit soit parfaitement audible pour vous qui vous êtes donné la peine de rester jusque-là afin de comprendre là où je voulais en venir. Et, ma foi, si jamais vous n’aimez guère les charmes d’une forêt hivernale, j’espère au moins que vous trouverez votre compte dans une balade en vous-même.  Au passage, retenez cette vieille technique d’un écrivain : dites à votre lecteur que vous allez parler de lui, et il y a de fortes chances pour qu’il lise la suite. Par contre, il vous en voudra à raison si vous ne le faites pas.

L’inconsciente raison de la fuite

En revenant tranquillement vers l’endroit où j’avais garé ma voiture, j’ai aperçu deux biches gravir un coteau, ce qui pour le promeneur lambda est un spectacle certes charmant, mais provoquant rarement des suggestions métaphysiques. Car ce que l’écrivain en moi a vu, c’est la vie s’élancer avec la vivacité aérienne dont sont capables les biches. Mais pas que : cette impulsion à la fois insouciante et apeurée d’animaux bondissant vers le sommet en dérangeant à peine les feuilles pourrissantes qui tapissaient le sol au pied des arbres m’a évoqué la force de la jeunesse, quand enfant on semble pouvoir courir toute la journée sans effort en ignorant inconsciemment ce qu’on fuit. Ce que l’on fuit vraiment, je veux dire.

La jeunesse à portée de fusil

Lorsque, pour parler métaphoriquement, nous ne sommes pas encore en âge autrement que de façon intuitive de comprendre ce que signifie au loin la détonation du fusil d’un chasseur, une alarme clignote malgré tout en nous. On gambade, les joues rougies par les courses joyeuses de nos jeux incessants, sans pouvoir formuler, ou sans souhaiter y songer, qu’un coup de fusil nous attend, nous aussi, car nous ne sommes au fond qu’un gibier que la mort fauchera un jour ou l’autre. Sont-ce là des pensées morbides, alors que tout se prêtait à ne voir en ces biches qu’un des nombreux émerveillements que la nature nous réserve ?

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L’importance du regard du mannequin sur la réalité

Le flash de l’écrivain

Sincèrement, je ne le pense pas. Un cœur plus tendre aurait peut-être puisé dans cette vision la certitude de la force et de l’invincibilité des puissantes années où notre existence démarre à peine, les battements dans sa poitrine à l’unisson de ceux pulsant dans celles des biches. Vous voyez à présent pourquoi il est si important d’écrire ? Parce qu’il nous est vital de fixer sur une page la fugacité de ce que l’œil entraperçoit afin d’établir des connections autres que celles transmises par le seul aspect photographique d’un regard. Notre flash interne y apporte une lumière nouvelle.

Les vêtements du mannequin

À quoi bon écrire si c’est pour demeurer à la surface des choses ? J’ai vu deux biches gravir un coteau, point. La belle affaire. D’accord, c’est mignon. Mais ça ne fait pas une histoire. Ça ne raconte absolument rien d’original de signaler qu’elles étaient rapides, ou plutôt, c’est une information se limitant à ce seul mouvement. Je le rappelle, l’écrivain est qui nous sommes, et l’acte d’écrire est la façon dont nous voyons les choses en les confiant à notre lecteur. Pour employer une image simple : c’est un mannequin – nous – qu’on met en vitrine et le moyen de le mettre en valeur selon comment on décide de l’habiller. Toujours le même mannequin, jamais les mêmes vêtements.

Ce détail qui nous chiffonne

Pour vous comme pour moi, écrivains que nous sommes, l’existence est un exercice de style à la Raymond Queneau. Il y a ce postulat de deux biches grimpant le long d’un coteau ; puis les 99 façons d’interpréter cette vision. Entre le moment où j’ai vu crapahuter ces aimables quadrupèdes et celui où j’ai relaté ce que leur ascension avait provoqué comme pensées dans mon cerveau, des ramifications sont venues s’y greffer. Appelez ça processus créatif latent ou tambouille neuronale en train de mijoter, le résultat est le même concernant l’importance d’écrire : votre ressenti initial aura engendré un faisceau d’idées alors que vous étiez passé à autre chose. Sauf qu’en général, quand un écrivain passe à autre chose, c’est pour mieux y revenir comme s’il avait oublié un détail qui le chiffonne.

Notre vie a besoin de mots

Ce développement intellectuel se nourrira d’une scène figée dans un coin de votre cerveau (mes biches à flanc de talus) pour remuer en vous des questionnements ou des sentiments lointains qui semblaient n’attendre, blottis ailleurs dans votre esprit, que ce déclencheur-là. Les corréler relève d’un étrange mélange d’associations d’idées et d’intuitivité, de logique immédiate et de réminiscences non digérées, et que sais-je encore. La dissociabilité de l’écrivain et de l’acte d’écrire comporte un aspect paradoxal, selon moi. L’un et l’autre composent, si j’ose dire, un circuit fermé ouvert sur un monde ancré dans la part de réel du premier et dans le travail de réorganisation nécessaire de l’instant vécu du second. Il est important d’écrire, car c’est le seul apaisement accessible à ceux pour qui la vie est une longue phrase…