Apprendre & Pratiquer le métier d'écrivain

De la nouvelle au roman ?

Bien que la structure de la nouvelle diffère de celle du roman, n’y aurait-il pas moyen de s’inspirer de l’une pour réaliser l’autre ? D’y piocher quelques ingrédients ? En regardant de plus près ce qui les oppose comme leurs points de convergence, il y a fort à parier que si. La complémentarité naît parfois d’éléments ne se correspondant pas naturellement, ou, comme le dit cette vieille formule à propos d’un peu tout et n’importe quoi, les contraires s’attirent

Nuances

Quand la grande jauge la petite

Certains considèrent la nouvelle comme un galop d’essai précédant l’écriture d’un roman. Pas une étape incontournable, mais un « exercice » permettant d’évaluer à l’aune d’une « petite » histoire notre capacité à en écrire une « grande ». Or, la nouvelle possède peu ou prou autant de différences avec un roman que celles existant entre un sprint et un marathon. Dans les deux cas, il s’agit de courir à pied, mais les techniques mises en œuvre pour rallier la ligne d’arrivée ne sont absolument pas les mêmes. Fréquence des foulées, moment d’accélérer, stratégie de course, position du corps, gestion de la respiration, etc., sont adaptés à chacune de ces disciplines. Si vous avez été attentif, vous avez dû percevoir la détonation du pistolet du starter donner le départ officiel de cet article.

Les portes de sortie

La nouvelle et le roman sont de la même façon deux genres littéraires à part entière, aussi distincts que le sprint l’est du marathon. Mais la finalité des deux est la même : on part d’un point A pour arriver à un point B. Ce que la vie peut être simple, quand on y pense. Comme de jouer à établir les connexions et les changements d’aiguillage de ces deux genres, à commencer, pourquoi pas, par la fin. Ou la chute. On constate déjà l’existence de deux portes de sortie pour une même issue alors que chacune d’entre elles a la même fonction : fermer une histoire et jeter la clef. Voyons en quoi les aboutissements propres à deux processus littéraires ont chacun leur particularité.

Le distinguo temporel

La nuance entre la chute d’une nouvelle et la fin d’un roman est à mon sens bien réelle. J’évoquais un aboutissement trois lignes au-dessus comme vous pouvez le vérifier en levant les yeux sans vous faire une torsion des paupières. Ce terme me semble le plus approprié pour un roman, car il contient la notion tacite d’un résultat obtenu après un long effort. Ça ne signifie pas un travail moins acharné pour venir à bout d’une nouvelle, mais on admet généralement que ce format court nécessite un moindre investissement temporel. Ce temps long que suppose l’écriture d’un roman est donc à mettre face à celui plus ramassé de la nouvelle pour opérer un distinguo dans la manière dont la fin est préparée.

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Temporalité de la chute

L’éclat des certitudes

La fin d’un roman n’est pas d’ordinaire le moment où toutes les sous-intrigues de l’histoire sont résolues, puisque la plupart d’entre elles le sont au cours du récit. Chacune de ces résolutions permet à l’intrigue principale de se développer tout au long du roman et de trouver sa conclusion une fois tout ce qui l’a construite expliqué au fil des chapitres. Je parlais il y a peu de Lumière pâle sur les collines, dont la fin va pour ainsi dire à l’encontre de ce qu’on avait cru comme acquis, mais les romans ainsi structurés constituent plus l’exception que la règle. L’aboutissement d’un roman apparaît comme progressivement débarrassé de ses zones d’ombre. Il brille en partie de l’éclat des certitudes qui l’ont précédé. La part d’inconnu de la touche finale d’un roman tient souvent à un choix de son auteur reposant sur une logique d’ensemble.

La littérature en temps réel

La cohérence globale d’un roman offre plusieurs possibilités là où la chute d’une nouvelle peut faire appel à d’autres ressorts, comme on va le voir illico presto. Des nouvelles telles que celles de Sternberg, par exemple, sont généralement très courtes. Aussi leur dénouement sera-t-il dans tous les cas la conséquence directe d’un fait récent du point de vue de la temporalité du lecteur, même si ce n’est pas celle de l’histoire. La chute peut ainsi intervenir au bout de deux pages d’une narration couvrant un siècle de façon évidemment ramassée. À l’inverse, la chute pourrait survenir en temps réel, c’est-à-dire que le temps estimé pour lire ces mêmes deux pages correspondrait à celui du déroulement de l’action.

Deux minutes immersives

Admettons qu’il vous faille deux minutes pour lire ces pages et que la nouvelle débute ainsi : « À 10h00, il entra dans la chambre en souriant » ; et s’achève de la sorte : « Il était 10h02 quand il quitta la pièce sans avoir une seconde cessé de sourire, laissant six cadavres derrière lui. ». En tenant compte du facteur temps afin d’optimiser l’immersion du lecteur dans l’histoire, l’auteur aurait joué de la brièveté de son texte. Ce procédé pourrait-il s’appliquer à un roman ? Sur la longueur, en utilisant cette même méthode du temps de lecture estimé (variable pour chacun, certes, mais une moyenne permettrait de coller au plus près pour conférer ce réalisme temporel), ça semblerait compliqué. Et l’intérêt de la chose tiendrait plus de l’exercice oulipien que d’une performance littéraire, même si Perec avec La disparition est parvenu à concilier les deux.

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La transposition d’une technique

L’accélération artificielle

Néanmoins, on peut imaginer transposer cette technique narrative à un roman en le terminant par un chapitre resserré au maximum, pour accélérer artificiellement le rythme du dénouement. Mettons que l’on conserve ce format de deux pages qui, après les trois cents ou quatre cents pages précédentes créerait une subite rupture de ton. Il s’agirait donc bien d’un chapitre de deux pages – pas d’un épilogue, entendons-nous bien – dans lequel tout se résoudrait, ou plutôt, tout se déciderait. Contrairement à une nouvelle dont ces deux pages constituerait l’entièreté, cette fin de roman à bride abattue contiendrait en elle les trois cents (ou quatre cents) pages essentielles à sa compréhension. Là où la nouvelle bâtie sur le même modèle était autosuffisante, les ultimes lignes du bouquin dépendraient des milliers ayant été écrites auparavant. Oui, des milliers. Je sais, ça fait peur.

Le long chemin d’une fin proche

Qu’est-ce que cela implique ? Dans le cadre de la nouvelle, le lecteur est plongé presque aussitôt, deux pages plus tard, vers la fin de l’histoire à peine après y être entré. Dans celui du roman, il sort d’un long chemin littéraire dont il va enfin voir le bout. L’état d’esprit dans lequel il se trouve sera donc forcément tout autre. D’autant plus si cette fin/chute du roman était exactement la même que celle de la nouvelle. Au mot près. Elle entrerait bien sûr en parfaite résonance avec le reste du roman, la différence étant que l’homme qui pénètre puis sort de la chambre en souriant après avoir refroidi six personnages qui n’étaient pas en quête d’auteur, cet homme-là pourrait être apparu dès la page une du roman et avoir imprégné chaque chapitre de sa présence. Ça constitue une différence de taille, non ? Je crois bien que si.

Urgence et confort d’une fin

Tenter de caser une fin « format roman » pour boucler une nouvelle serait en revanche la condamner à un déséquilibre fatal. La nouvelle, c’est l’art du bref, de la fulgurance, le roman celui de l’installation narrative, de l’intérêt qui dure. Nuance, encore. En s’appuyant cette fois sur l’exemple d’une nouvelle de quinze pages, on imaginerait tout de suite le caractère encombrant d’une fin qui en prendrait cinq pour faire l’état des lieux avant de conclure. Ce serait davantage un coup de frein à la vivacité exigée par le genre qu’un ultime coup de turbo pour finir l’histoire en trombe. Il faut de la place pour tout le monde dans un texte, et la nouvelle on s’y entasse plutôt comme dans une classe économique qu’on y étendrait les jambes dans la classe affaire d’un roman. L’urgence n’aime pas le confort.

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Persorom et personouv

Le persorom

Ce n’est pas parce que vous n’avez pas de nouvelles des personnages qu’il faut en faire tout un roman. En version décodée : le personnage du roman (persorom) se sent à l’étroit dans la nouvelle, quand celui de la nouvelle (personouv) se perd dans le roman. Le persorom a le temps de prendre ses aises, de cogiter longuement, d’accomplir des choses dont la compréhension de l’histoire pourrait se passer mais dont on prend connaissance avec plaisir. S’il doit mener une enquête, il aura le soin de consulter toutes les personnes pouvant le renseigner, même si cela suppose de le voir fouiner d’un paragraphe à l’autre durant plusieurs chapitres. Il est comme ça, le persorom.

Le personouv

Le personouv, lui, a l’œil rivé sur sa montre, est rarement ralenti par des atermoiements, et ne consacre le peu de temps dont il dispose qu’à des tâches strictement nécessaires. Dans l’éventualité où il devrait résoudre une énigme, s’il est occupé ailleurs, il chargera un personouv secondaire (il n’aura pas l’embarras du choix, les personouv secondaires n’étant pas légion) de le rencarder dans les plus brefs délais. Faut pas lui dire de s’arrêter au feu orange, le personouv. Alors selon vous, est-ce que l’un pourrait évoluer dans l’univers de l’autre ? Aussi tourneboulant que ça puisse paraître la réponse est oui. À certaines conditions que nous allons nous empresser d’étudier d’un œil averti, qui pour le coup en vaudra deux.

Redimensionner les personnages

Une fois observées, identifiées et pour ainsi dire classifiées, les caractéristiques respectives du persorom et du personouv ne demandent qu’à être redimensionnées afin de s’adapter à leur nouvel environnement de papier, si l’on décide qu’il en soit ainsi. Je vous laisse entrevoir les nouvelles possibilités qui se présenteraient à un personouv déboulant au beau milieu d’un roman. Avec des manières à ne pas s’attarder entre les lignes, ce personouv reconverti en persorom conserverait la redoutable efficacité du premier mise au service du second : un sprinteur avec un souffle de marathonien… Cette évolution, il faut le souligner, va plus souvent dans le sens nouvelle-roman que l’inverse. À ce propos, j’ai la chance infinie d’avoir un jour fait l’acquisition de l’édition augmentée du chef-d’œuvre de Daniel Keyes, Des fleurs pour Algernon. Vous le saviez ? En tout cas, vous devriez…

Dites-le avec des fleurs

Je vous ai effectivement déjà parlé de ce roman à la faveur d’un autre article, et il se trouve qu’il se prête à merveille pour illustrer celui-ci également. Je ne sais pas si c’est la vie qui est bien faite ou ma bibliothèque qui est garnie avec un goût extraordinaire. Je ne peux pas écarter la première hypothèse sans risquer de passer pour quelqu’un dont la modestie ne serait pas l’une des plus éclatantes vertus, si ? Toujours est-il que par la grâce d’un achat inspiré doublé d’un sens du rangement dont mes étagères ne peuvent que s’enorgueillir (et moi avec elles, oui, vous avez raison), j’ai justement ce must à portée de main. Et le moins que je puisse vous en dire, c’est que je vais vous en dire plus.

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L’augmentation de Charlie

La non-garniture

Des fleurs pour Algernon, donc. Par édition augmentée, il faut comprendre le roman et la nouvelle originale qui l’a inspiré. Ah ! Ce n’est plus une pépite, mais une mine d’or que nous avons là ! Et ce n’est pas tout les amis : il figure aussi dans cet assez copieux ouvrage (plus de cinq cents pages) l’essai autobiographique Algernon, Charlie et moi – Trajectoire d’un écrivain. À part y ajouter des tranches de non-fromage (j’ai nommé la mozzarella), je ne vois pas comment ce bouquin aurait pu être plus riche. Un conseil avant de le lire – car je n’ose envisager que vous ne pourriez pas en effectuer l’achat si jamais vous ne l’avez pas encore en votre possession –, avant de le lire, donc, je vous recommande vivement d’enfiler un ciré, modèle Breton au pied du phare. Car le talent, ça éclabousse.

Poo, poo, pee, doo ! ♪♫

Il aura fallu près de sept ans de réflexion pour que la nouvelle Des fleurs pour Algernon devienne un roman. De la quarantaine de pages initiales, Daniel Keys aboutira à un livre en comptant près de trois cents. La stratégie narrative, basée sur des comptes rendus rédigés par Charlie Gordon (le personnage principal) à la demande de son docteur, est la même dans les deux versions. L’évolution de ce héros malgré lui également. Alors, qu’est-ce qui justifiait donc de rallonger la sauce ? L’absence de sauce de la nouvelle, précisément. Si d’indéniables saveurs littéraires préexistaient bel et bien, il fallait que la courbe spirituelle de Charlie mijote, associée à celle de son intelligence. Il fallait que Daniel Keyes redimensionne son personouv en un persorom. La façon dont cette mue s’est réalisée est contenue dans Algernon, Charlie et moi, ces deux cents pages où Keys nous autorise à lire par-dessus son épaule. On aurait bien tort de s’en priver.

Des piécettes pour un processus

J’ai lu pas mal de bouquins où des écrivains parlaient de leur travail, et j’ai rarement été déçu par ce que j’ai découvert en ces occasions-là. C’est passionnant, vraiment. Et aussi stimulant que si une étrange énergie vous poussait à écrire à votre tour. C’est aussi vrai de la lecture plus « commune » des romans ou des recueils de nouvelles écrits par nos auteurs préférés, je ne vous apprends rien quant à ce phénomène d’émulation. Mais cette édition augmentée de Des fleurs pour Algernon, je dois vous avouer que je serais presque tenté de la voir comme un geste littéraire indispensable pour nous accompagner dans la compréhension d’un très long processus d’écriture dont le résultat final est admirable. Alors n’hésitez pas à dépenser quelques piécettes pour vous l’offrir !

Combien ?

Pour finir, comptons nos mots, si vous le voulez bien. Bien qu’il n’existe pas à proprement parler une longueur précise du nombre de pages pour être dans les clous de l’un ou l’autre genre, des repères sont proposés. Comme vous le savez, et si jamais ce n’était pas le cas je serais ravi de vous apprendre quelque chose, la novella s’intercale entre la nouvelle et le roman, rien que pour les embêter, à tous les coups. Le court roman peut aussi faire son intéressant en faisant une queue de poisson à la novella, ce qui ne va pas fluidifier le trafic, j’en ai bien peur. Et le gros roman peut dans un moment de folie doubler le roman « classique » par la droite. Si on n’a pas un carambolage avec tout ça… Maintenant, voici le point littéroutier en quelques chiffres s’exprimant en mots. Oui, bah désolé, ce n’est pas moi qui établis les unités de mesure de la taille des bouquins, ça se saurait ! À titre indicatif, la première page de cet article compte 448 mots.

– Nouvelle : entre 12 000 et 16 000

– Novella : entre 16 000 et 40 000

– Court roman : entre 40 000 et 50 000

– Roman : entre 50 000 et 75 000

– Gros roman : entre 75000 et 100 000

Au-delà, vous êtes automatiquement poursuivi pour persécution envers votre lecteur.

Pour apporter un brin de précision dans ces fourchettes aléatoires, comptez environ 300 000 signes pour 50 000 mots. Non, pas sur vos doigts.

Bien que d’une source à l’autre ces données varient quelque peu, vous pouvez vous caler sur ces ordres de grandeur pour déterminer avec une certaine sûreté dans quelle catégorie vous boxez. Quand je vous disais qu’il ne fallait pas compter sur vos doigts : avec les gants, vous n’arriverez à rien !