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L’emphase

L’emphase est un procédé littéraire participant, selon la définition de Georges Molinié dans son Dictionnaire de rhétorique, « […] de l’ornement du style (de l’élocution). Elle vise à renforcer l’expression pour lui donner plus de vivacité… ». Autant dire qu’en ne recourant pas de temps en temps à l’emphase, votre écriture sera morne, plate, anémique, bref, qu’elle augmentera le taux de dépression parmi votre lectorat. Alors dynamisons tout ça en voyant comment s’y prendre pour vitaliser son style !

Une vague idée

Des flots de mots

Il y a peu, alors que j’entendais à la radio qu’une cinquième vague menaçait – distrait comme je suis, j’ai pensé qu’il s’agissait d’une compétition de surf à Hawaï –, je me suis demandé comment on pouvait insuffler à son style la puissance d’une vague. Soudainement frappé par une révélation rhétorique à m’en déchirer les tympans, je me suis écrié : « Bon sang, mais c’est bien sourd ! L’emphase, mon gars (quand je subis un choc, il m’arrive d’être assez familier avec moi-même), l’emphase, la voilà, ta vague ! ». Fort de cette certitude, je me suis précipité l’écume aux lèvres dans mon bureau pour surfer sur cette idée – tout se tient.

Les domaines de l’emphase

Ma grande découverte en tête, je me suis assis devant mon ordinateur (une longue expérience m’ayant appris que s’asseoir derrière rendait l’accès au clavier compliqué) et une interrogation est née dans mon esprit : par quel domaine couvert par l’emphase commencer ? Car il faut bien dire qu’il s’agit d’un procédé touche-à-tout, ou du moins, permettant d’aborder différents registres bien spécifiques afin de leur conférer du relief. J’apporte cette précision, car telle figure de style conviendra pour rehausser un passage quand telle autre ne lui sera d’aucune utilité, voire lui nuira. C’est pourquoi nous allons effectuer un petit tour d’horizon afin de déterminer là où l’emphase se révèle la plus appropriée.

Ayez-vous du flair !

Un des exemples parmi les plus célèbres me vient à l’esprit pour illustrer l’emphase : la « tirade du nez » de Cyrano. À l’occasion, relisez-là (ce que je viens de faire) : ce pourrait être le mètre étalon de ce procédé littéraire. Ou comment plaire à son auditoire en faisant preuve d’une autodérision prenant sa source dans une disgrâce physique exaltée par le don de l’exagération subtile, du pompeux débarrassé de ses complexes. Et en l’occurrence, dans l’objectif de désarçonner quelqu’un de discourtois n’ayant d’autres ressources que de se rabattre sur une piètre insulte au faciès avant de devoir en rabattre lui-même devant une telle moquerie langagière. « Aucun vent ne peut, nez magistral, T’enrhumer tout entier, excepté le mistral ! ». Merci, Monsieur Rostand, pour cette admirable démonstration.

Des partenaires dans les cercueils

Vous ai-je cité cet exemple au hasard ? Que nenni. Ah, comme il est agréable d’exhumer ces vieilles expressions ! N’étant pas profanateur de sépultures pour autant (un clin d’œil au passage à Jack Finney est toujours bienvenu), je demeure persuadé que l’emphase prend racine dans des cercueils. Là où les plus belles plumes ont fini par s’assoupir, après nous avoir laissé des trésors d’intelligence. J’ai cité Rostand comme j’aurais pu en nommer cent autres. Vous les connaissez, tous ces écrivains jubilant d’ajouter une exagération à une autre ! Et ne s’en privant qu’un instant pour mieux reprendre leur souffle afin d’agréger au bon mot son ou sa partenaire.

Les bébés de l’emphase

L’intensité du pif, du tarbouif, du tarin

Quand on parle d’emphase, on aborde les figures de l’intensité. Rien que ce dernier terme est porteur d’une force littéraire désignant la puissance qu’un auteur doit infuser à son discours pour marquer l’esprit du lecteur. Dans l’espoir d’y parvenir, il faut construire un assemblement de mots tels qu’ils produiront un effet drolatique sans les dépouiller d’une solennité grâce à laquelle ils seront soutenus dans leur rôle d’épater la galerie. S’il y a dans l’emphase un peu d’esbroufe, celle-ci ne doit pas tourner au ridicule l’ensemble du propos. Pour en revenir à « la tirade du nez », Rostand ne fait pas autre chose que de mettre dans la bouche de son Cyrano des paroles amplifiant la taille de son tarin pour mieux le glorifier, laissant son détracteur bredouille de critiques.

Être en phase avec l’écriture

Ce serait un grand tort d’imaginer que cet exercice est facile. C’est pour moi l’une des techniques d’écriture les plus difficiles à manipuler. Il faut faire preuve d’une forme de joyeuseté entourée d’un cadre strict, et d’une volonté d’impressionner sans pour autant se prendre au sérieux. L’emphase a bien des bébés : de l’euphémisme à l’énonciation, en passant par la litote, elle déploie ses membres textuels dans toutes les directions. Je vous assure qu’il est intéressant – et formateur – de s’y essayer. En plus d’être une figure de style très amusante à fabriquer, malgré son côté difficultueux, c’est une façon de manier le vocabulaire ne pouvant qu’être profitable à chaque auteur. Alors si vous me permettez de vous donner un conseil : tentez le coup !

Sénèque et Rostand sur la Lune

Je vous entends d’ici : « Ah, il est marrant celui-là ! Mais comment s’y prendre ? ». C’est assez simple. Oui, je sais, je viens de vous dire que c’était un des trucs les plus compliqués à mettre en œuvre, mais tant qu’aucune loi n’interdira d’être contradictoire, je ne vous épargnerai pas mes dérives intellectuelles. Pour conférer un peu de cohérence à la fin de cet article, je me dois de préciser ma pensée : il est simple de se référer à des modèles comme « la tirade du nez » afin de s’en inspirer (expirez !), d’avoir une solide base de travail, mais ce sera toujours délicat de parvenir à le reproduire. Cependant, comme le disait si bien Sénèque, « Ce n’est pas parce que les choses sont difficiles que nous n’osons pas, mais parce que nous n’osons pas qu’elles sont difficiles. ». Je savais qu’à force de citer Rostand, ce billet finirait par prendre une tournure lunaire !

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