Apprendre & Pratiquer le métier d'écrivain

La concision

La concision revient à donner du sens à une idée sans mobiliser plus de mots qu’il n’en faut pour qu’elle soit claire. La surcharger la fait se marcher les mots sur les autres, annihilant leur signification propre. La concision s’exprime dans les raccourcis, pas dans les détours. Comme souvent en écriture, c’est une question de choix, celui consistant à départager lequel des deux termes éclairera au mieux ce que l’on veut dire. Le fond s’impose par la parfaite compréhension de ce que l’on souhaite souligner, quand la forme en est ce qui la met en valeur. Plutôt que de rallonger la sauce, l’enjoliver revient à la lier en y incorporant les meilleurs ingrédients sans en abuser. Oui, j’ai faim…

L’aridité de l’arbre généalogique

Clovis et Tarzan

L’absence de concision reviendrait à détailler à un ami l’arbre généa1ogique de votre famille depuis Clovis afin de lui présenter votre sœur dont le prénom est Jane. En de rares circonstances, cela pourrait se révéler passionnant, mais la plupart du temps se résume à : « Moi Tarzan, toi Jane. » C’est un peu rudimentaire, seulement ça exclut de démêler un tas de lianes inutiles pour aller à l’essentiel. Le mariage de l’efficacité et de la joliesse est une recherche d’équilibre permanente. Il faut sentir le moment où l’une risque qu’une prenne le pas sur l’autre. Sans cette vigilance constante, le plateau de la balance penchera d’un côté qui ne rendra pas justice à votre phrase. Et vous laissera un goût amer sur le palais.

Une phrase concise ne s’assèche pas

La concision n’implique pas l’aridité du propos quand la brièveté pourvoit à sa fulgurance. Une phrase peut être jugée longue tout en demeurant d’une concision exemplaire. Si l’idée maîtresse est respectée, que rien ne vient en détourner la concentration du lecteur, qu’il n’y a pas une pièce à y ajouter ou à en retirer, le principal apparaîtra dans toute son évidence. Cette clarté soutenue par un rythme servant votre phrase de façon impeccable est un motif de satisfaction quand on est conscient de l’avoir atteint. Une récompense. Selon le sage conseil d’Antoine Albalat : « En un mot, il ne faut pas qu’on puisse dire d’une manière plus concise les choses que vous avez dites. »

Différentes mais pas ennemies

L’aridité n’est cependant pas l’ennemie de la concision. Leur différence réside pour la première à racler la phrase jusqu’à l’os, de n’offrir qu’une sécheresse littéraire pour qu’une dureté de ton ou une austérité narrative s’installe, bien que l’humour n’en soit pas exclu. La seconde vise l’harmonie sans rien refuser à l’emprunt de ce que le style a de plus scintillant s’il est à même de mettre en exergue le sens profond du propos qu’il véhicule. La frontière entre les deux peut apparaître ténue. Leurs différences sont toutefois bien réelles et ne suivent pas le même chemin littéraire pour aboutir  à l’effet espéré.

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Les liens du suspense

La richesse de l’échange silencieux

L’auteur éprouve la satisfaction d’avoir soumis à son lecteur une phrase dont il estime que sa construction répond à l’attente de ce dernier. Elle enrichit l’échange silencieux entre l’écrivain et celui qui apprécie les efforts effectués en sa direction. On ne s’en rend peut-être pas assez compte, mais il s’agit bel et bien d’une marque de respect qu’on lui témoigne. En lui montrant, « preuves » à l’appui, la construction étudiée dont il est friand. Le soin apporté à la concision au cours des paragraphes afin que l’auteur tente systématiquement d’en tirer le meilleur créé un véritable lien. Non, vous n’êtes pas obligés de vous tailler les veines afin de vous joindre les poignets pour établir un pacte de sang. Évitez, même.

Les mots dont on doit user le moins possible

Je ne crois pas vous prendre en traître en vous déconseillant de fuir comme la peste les adjectifs et les adverbes. Sales bêtes (non, je ne m’adressais pas à vous, mais aux coupables pointés du doigt dans la phrase précédente). Il ne s’agit pas d’un combat neuf pour moi, vous le savez. Parmi mon arsenal destiné à lutter contre ce fléau littéraire, il est une arme tout ce qu’il y a de plus facile d’emploi. Mieux encore, qui ne demande aucune compétence particulière. Mais qu’est que cela pourrait bien être, nom d’une pipe en bois (j’aime bien ces expressions employées par les djeun’s. Ça me donne l’impression d’être encore un peu dans le coup) !

La maestria du gestionnaire de retardement

Vous sentez comme la tension monte, là ? J’espère que l’attention de mon lecteur grimpe avec une égale intensité. Au passage, vous pouvez admirer avec quelle maestria je ménage le suspense avant de vous apprendre le secret qui va changer votre approche des phrases afin de les rendre concises. Cette gestion du retardement d’un élément censé fournir un surcroît de crispation à votre lecteur est un bonus non prévu à l’origine dans cet article et que je ne vous facturerai pas pour autant. Oui, je sais, ma bonté me perdra. Je vous laisse reprendre votre respiration avant de filer au paragraphe suivant pour qu’enfin vous sachiez de quoi il retourne.

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Quand les adverbes se greffent par manque de surveillance

Réfléchir dans l’immédiateté

On va se passer des roulements de tambour, vu le prix de la baguette, hein : la réflexion instantanée. La voilà, la clef magique qui vous permettra de fermer à double tour votre phrase aux mots envahissants. De leur claquer la porte au nez. Oust, adverbes et adjectifs ! « Hors d’ici tout à l’heure, et qu’on ne réplique pas. Allons, que l’on détale de chez moi, maître juré filou, vrai gibier de potence. » Ah, cette chère E.L. James, la romancièrede Cinquante nuances de Grey, quelle prosatrice de talent… Hum ? Molière, vous êtes sûrs ? Je les confonds toujours, désolé. Bref, histoire de vous prouver par l’exemple la notion de combiner à l’acte de réfléchir celui de l’immédiateté, je vais à présent vous en démontrer la pertinence. Mais si, je vais y arriver.

Un bon adverbe est un adverbe qui sert de piédestal au mot qu’il souligne

Allez, on commence par se régaler avec les adverbes ? L’italique les signale, au cas où. Plantons le décor vite fait : un policier a fini par faire avouer à un homme l’assassinat de sa femme. Oui, autant s’appuyer sur un exemple dont les moins de huit ans vont raffoler : « Vous, , celui qui enfin daignez tant bien que mal reconnaître que vous avez a priori tué votre femme, à tort ou à raison je dois vous dire que je m’en fous. Ensuite, vous avez découpé son corps et l’avez ensaché puis enterré – mais  ? – par portion de 200 grammes avec assez de précision, je dois le reconnaître ; certes, c’est moche, mais heureusement pour  moi, vous avez hérité du juge vegan le plus retors de la ville. »  

Version allégée

Un petit sabrage dans la joie et la bonne humeur pour débusquer les mots évitables dans cette phrase à l’apparence bien construite (et dans l’absolu, elle l’est), mais qui s’avère un véritable nid d’adverbes. Seuls ceux dont la fonction valorise les mots auxquels ils sont liés justifient leur présence. Côté concis, voici ce qu’il en reste après de vigoureux coups de katanas : « Vous, celui qui daignez reconnaître avoir tué votre femme, je dois vous dire que je m’en fous. Vous avez découpé son corps et l’avez ensaché puis enterré – mais  ? – par portion de 200 grammes précises ; c’est moche, mais vous avez hérité du juge vegan le plus retors de la ville. » Réfléchir dans l’immédiateté, c’est-à-dire au moment où vous effectuez ces combinaisons-là, en supprime d’autorité une bonne part. Si dans un premier temps ce jeu intellectuel réclamera une attention soutenue, il deviendra pour ainsi dire automatique jusqu’à ce que vous ressentiez de la fierté à embellir votre prose dans l’instant.

Une pilule dure à avaler

Histoire de détailler un peu, afin de boire le calice jusqu’à la lie, toujours à l’aide de l’italique : Vous, (Adv de lieu), celui qui enfin (Adv de temps), tant bien que mal (Adv de manière) que vous avez a priori (Adv de doute) tué votre femme, à tort ou à raison (Adv de manière) mais où ? (Adv interrogatif) avec assez de précision (Adv de quantité) certes (Adv de liaison)  c’est moche, mais heureusement (Adv modal). Mais non, je n’y ai pas passé ma matinée, qu’est-ce que vous allez vous imaginer là ? Vous voulez combien de comprimés de paracétamol dans votre verre d’eau, au fait ?

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Une oie dans un champ

Le gavage de la phrase

Voilà donc six ou sept adverbes supprimés vous permettant de trancher dans le vif (si j’ose dire, étant donné le sujet) ; d’aérer votre prose, de gaver votre phrase moins que son foie ne pourrait le supporter (je ne serais pas en train de confondre avec une oie, moi ?), bref, d’en rendre l’idée accessible d’un seul coup d’œil. Et ce, sans être obligé de désherber un champ lexical dissimulant les écueils sur lesquels buttent notre lecture. Pour les adjectifs, c’est la même chose, à ceci près qu’on ne les dénomine pas de la même manière que les adverbes. Vous en trouverez des listes exhaustives sur le Net et pourrez accomplir le même travail que je viens d’effectuer avec les adverbes si l’envie vous en… Hé, revenez au lieu de vous enfuir en courant, je ne vais pas parler à une salle vide, tout de même !

Ouvrez l’œil et le bon

Revenons à nos boutons, comme disent les acnéiques. Avant de faillir m’égarer dans un méandre adverbial, j’évoquais avec audace au fait de réfléchir dans l’immédiateté.  Je vous répète que c’est d’une simplicité dont je m’étonne moi-même qu’elle ne soit pas plus compliquée ! Servez-vous d’un adverbe ou d’un adjectif susceptible de renforcer la portée de votre propos sans y sacrifier l’aspect concis de votre phrase. Et gardez çà en tête à chaque phrase. À force de persévérance, vous repérerez ce qu’il vous est indispensable de conserver pour qu’une cohérence d’ensemble demeure ou, au contraire, remarquerez l’inefficacité de votre procédé.

La Parure (merci à Guy de mot passant)

Son côté redondant, voire ostentatoire, vous occasionnera une sensation de trop-plein, telle une femme qu’on couvrirait de tant de bijoux que le plus beau d’entre eux disparaitrait dans la lourdeur de sa parure. Maupassant ayant été évoqué dans mon intertitre à mots couverts (rien ne vaut l’argenterie du style quand elle le rend brillant), autant en profiter pour voir que, chez lui, le recours aux adjectifs est mesuré et précis, fin gourmet de l’abondance au point que la condition modeste de l’héroïne de La Parure ressort avec autant d’élégance que de virtuosité :

« Elle songeait aux antichambres muettes, capitonnées, avec des tentures orientales, éclairées par de hautes torchères de bronze, et aux deux grands valets en culotte courte qui dorment dans les larges fauteuils, assoupis par la chaleur lourde du calorifère. »

Ici, la concision compose avec l’opulence, de telle sorte que ce qu’on pourrait retirer ne doit pas l’être, pour garder la richesse du style tout en en conservant la minutie.

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Quand Baudelaire nous convie à l’excellence aérienne

Un fond trop poudré dont la forme masque la vacuité

 Si l’on décidait ne pas recourir aux adverbes et aux adjectifs, en quoi nous manqueraient-ils ? Je sens bien que je vais créer un conflit cognitif en vous répondant : nous ne pourrions tout simplement pas écrire. Les poètes en tête, peut-être. Un extrait de Baudelaire, La solitude, contenu dans le célébrissime Le spleen de Paris, nous prouve que rien n’est lourd si on n’a pas à en éprouver le poids :

« Je sais que le Démon fréquente volontiers les lieux arides, et que l’Esprit de meurtre et de lubricité s’enflamme merveilleusement dans les solitudes. Mais il serait possible que cette solitude ne fût dangereuse que pour l’âme oisive et divagante qui la peuple de ses passions et de ses chimères… »

Des adverbes et des adjectifs ont forcé les murs d’enceinte de ce poème, pas vrai ? Non, Baudelaire les y a invités en les triant sur le volet, raturant plus d’une fois à n’en pas douter ceux dont il leur refusait son hospitalité. « Trop empotés ! ». « Trop fardés ! ». « Trop clinquants ! ». C’est pourquoi son écriture est légère comme du fil de soie. À la fois sensible et forte. Trouvant dans sa légèreté à nouer ses mots la solidité de la concision.

La multiplicité des cibles

J’ai choisi mes cibles en désignant les adverbes et les adjectifs fautifs en premier lieu d’alourdir le style. Mes expériences de correcteur d’édition, de formateur révisant des textes d’auteurs en herbe et, bien sûr, de lecteur m’ont convaincu que majoritairement ils sont conçus tels des Lego qu’on assemble en ne cherchant aucunement à les structurer. Uniquement pour construire une jolie phrase-objet même si elle ne ressemble à rien. Ou quand le refus de concision enterre le fond sous la forme. Les relectures nous aident à bouter de notre prose les ultimes indésirables. Et là, j’élargis tout ce qui éteint l’énergie d’une phrase manquant de cohérence, de clarté, de simplicité, de fluidité, de naturel, de musicalité, d’originalité, et, aujourd’hui, de concision. J’avoue que pour cette dernière, j’aurais pu faire plus bref…