Apprendre & Pratiquer le métier d'écrivain

La métaphore, une figure de style puissante

La métaphore est une figure de style puissante : elle apporte au texte une tonalité, une couleur, du relief sous réserve de bien savoir l’utiliser. C’est ce que vous explique cet article.

Il est une chose parmi d’autres que mes années d’écriture m’ont appris : pour renforcer votre texte, l’éclairer d’une image est une solution très efficace, à condition bien sûr de la maîtriser parfaitement. Et de ne pas en abuser. Comparaisons, métaphores, etc., donnent un ton et une couleur à votre récit, quel que soit le registre dans lequel vous souhaitez l’ancrer. Voyons pourquoi il est si important qu’entre les lignes, votre lecteur ait une perception visuelle de votre imaginaire…

L’écrivain acclamé

Ce qu’il arrive passé minuit

Dans le livre Minuit 4 se trouve la longue nouvelle Le Policier des Bibliothèques, ou le court roman selon les standards de son auteur  – Stephen King, pour ne pas le nommer ; oui, encore lui. Dans cette nouvelle, le personnage principal, un agent immobilier nommé Sam Peebles doit tenir au débotté un discours lors d’une soirée du Rotary Club de son patelin. Et alors ? Et alors, ça ne l’enchante guère, mais il se colle tout de même à l’écriture de ce pensum pour rendre service à un ami. Une fois sa tâche accomplie, il soumet le résultat de sa cogitation à Naomi, la jeune femme travaillant occasionnellement pour lui.

Un peu sec, mais ça peut s’arranger (ceci n’est pas un bulletin météo)

Naomi l’assure que sa prose conviendra à l’assemblée à laquelle elle est destinée tout en émettant une légère réserve : « C’est un peu… comment dire ?… sec. » Voilà notre Sam un brin dépité, lui qui a veillé tard afin d’élaborer son laïus, mais elle lui apporte dans la foulée une solution pour le tirer d’embarras (enfin, façon de dire, vu ce qui suivra, mais ça, c’est une autre histoire) : se rendre à la bibliothèque afin d’y dénicher un de ces recueils de blagues ou de poèmes (voire les deux) dans le but d’agrémenter son petit discours, de le rendre moins aride. Ce qu’il fait, la bibliothécaire lui dénichant des ouvrages dont elle lui affirme qu’ils satisferont ses attentes : Le mémento de l’orateur et Les poèmes d’amour préférés des Américains.

Une ovation dans la poche

Et de fait, il rencontre un vif succès pour quelqu’un bombardé animateur de fin de banquet à la dernière minute. Dans l’un des livres empruntés, un chapitre s’intitule : « Pour les mettre dans votre poche ». Et au-delà de raconter une bonne histoire, que souhaite d’autre un écrivain ? Rien de plus que ce que sa poche soit aussi grande et profonde que possible. Afin d’y accueillir le plus de lecteurs qu’elle pourra en contenir. Voilà pourquoi les images, peu importe la façon dont elles sont élaborées, représentent des appuis solides pour un auteur désireux de se concilier l’intérêt de son lectorat. Dans Le Policier des Bibliothèques, Sam recourt entre autres à deux anecdotes et à un court poème pour soutenir son propos, ce qui lui procure beaucoup d’allant et lui permet de trouver les mots justes pour captiver son auditoire, et au final, se faire acclamer. Ce dont nous rêvons tous plus ou moins : qu’on nous réserve un clap clap clap de fin.

Les métaphores voraces

Les grignoteuses de paragraphe

Transposons les techniques de ce tribun, fut-il de circonstance, à celles d’un écrivain. Retenez bien le fait que non seulement on donne envie au lecteur de nous lire en lui soumettant des images au sens large du terme, mais aussi qu’en tant qu’auteur on éprouve une stimulation à les intégrer à notre texte lorsqu’on s’aperçoit qu’elles le valorisent. En veillant à ce qu’elles ne prennent jamais le pas sur ce qu’on a à dire. Je sais de quoi je parle : il est facile de se griser de métaphores au point de perdre le fil de son histoire. Jusqu’à quasiment les substituer à ce qu’aurait dû être la teneur d’un paragraphe. Jusqu’à ce qu’elles le grignotent. Ça revient à se lancer des fleurs en oubliant qu’elles étaient dans un vase : c’est casse-gueule (ah, tiens, une image !). 

Écrire façon Raspoutine

Le poison est dans l’excès, dit-on. On devient rarement de façon spontanée un Raspoutine des images en n’abreuvant ses textes que de doses ne le mettant pas en danger littérairement parlant. Aussi doit-on, une fois que l’on maîtrise à peu près cette figure de style, être vigilant à ce qu’elle ne se déploie pas comme un lierre grimpant étouffant votre histoire (ah, encore une image ? ça commence à faire trop !). L’une des causes de cette fâcheuse prolifération vient du fait qu’un auteur débutant se montre souvent très réticent, s’il trouve deux métaphores pour désigner la même chose, à l’idée d’en supprimer une. Quitte à placer la seconde à distance suffisante  de la première – croit-il –, il la conservera.

Une petite voix plus persuasive qu’un hurlement

Même si la logique lui dicte de trancher, c’est un choix qu’il a le plus grand mal à effectuer. L’évidence lui hurle que cela surcharge son texte, mais une petite voix parvient tout de même à se frayer un chemin dans son esprit pour lui murmurer : « Oh, pour cette fois, tu peux conserver les deux… » Le hic étant que ce sera la même chose la fois suivante. Pour la simple raison que prises séparément, ces images possèdent leur propre magie, un ensorcèlement faisant qu’on ne se soucie pas toujours de ce que leur multiplication peut avoir de néfaste pour l’histoire. Pourtant, mal gérées, elles entravent la narration, alourdissent le style, font passer l’essentiel au second plan…

L’histoire avant les procédés

Les métaphores neutralisées

Alors, de quelle manière les utiliser au mieux ? Comme indiqué précédemment, en accomplissant des choix. Il est vain qu’une phrase accouche de jumeaux, pour dire les choses sans pouponner. Certes, il est toujours compliqué de se résigner à une telle sélection, puisque conscient – ou persuadé sans autre certitude que son propre jugement – d’avoir écrit des formules correspondant exactement à ce que l’on souhaitait souligner métaphoriquement. Deux pour le prix d’une, jackpot ! Eh bien non, mauvais calcul. L’une des formules affaiblira l’autre, pour ne pas dire qu’elles se neutraliseront.

La justesse plus que la force

Je sais qu’on redoute perdre une précieuse trouvaille en n’en retenant qu’une. Ce sera peut-être le cas si vous écrivez avec pour seule ambition de « faire joli ». Et encore, la joliesse, à mon goût, supporte mieux un style épuré que surabondant qui tournerait à la démonstration de force. L’écriture ne doit pas montrer ses muscles, mais frapper juste (vous êtes bien certain qu’il s’agit d’une image de plus ?). Mais dans l’hypothèse où ce qui vous tient le plus à cœur est avant tout de proposer à votre lecteur une intrigue qui le subjugue, je pense que le sens des priorités finira par s’imposer naturellement à vous. Comprenons-nous bien : je considère les images indispensables au relief de l’écriture. Si dans mes propres textes je m’en sers, c’est pour accentuer l’intensité d’une scène, ou en exagérer l’effet drolatique en forme de clin d’œil, par exemple.

Une métaphore ne remplace pas un développement

Toutefois, j’essaie la plupart du temps de n’en user qu’avec parcimonie, la condition sine qua none pour que cela demeure un atout. Certains auteurs pensent – à tort, croyez-le bien – que leur propos ne saurait être mieux renforcé qu’à l’aide d’une image. Comme une alternative commode à son développement. C’est là une erreur à ne pas commettre : si, selon le proverbe chinois une image vaut mille mots, ce ne seront probablement pas ceux qui vous permettront d’expliciter votre pensée dans sa globalité. Il faut régir son écriture à l’aide de procédés la mettant en avant, plutôt que de faire la part belle à ces mêmes procédés au détriment de l’écriture en question.

Métaphores et rebondissements

La respiration des métaphores

Avant de rédiger cet article, et c’est pour une part ce qui m’en a inspirée l’idée, j’ai repensé aux centaines de romans lus au cours de mon existence et aux délectables métaphores, aux comparaisons d’une exquise audace qu’ils abritaient. Aux milliers de pages dont le contenu était rehaussé par l’inventivité et la finesse des écrivains les ayant écrites. Et si tant de tournures imagées me sont restées en mémoire, c’est bien parce qu’elle n’était pas noyées dans la masse. Qu’elles respiraient. Ce n’est pas parce qu’on ne manque pas d’air qu’on doit pomper celui des autres, comme on dit (enfin, j’imagine que quelqu’un a dû un jour dire un truc de ce goût-là).

Lorsque le regard rebondit

Un style imagé, afin qu’il produise tous ses effets, dépend de beaucoup de critères : on a abordé l’un des principaux, éviter la surenchère. Il n’existe hélas pas de méthode infaillible pour atteindre un équilibre assurant une fluidité d’ensemble à notre écriture. Toutefois, à force d’aligner les chapitres, on parvient presque intuitivement à sentir quand le trop-plein guette. Si en vous relisant vous constatez que votre regard s’attarde plus volontiers sur une image que sur les rebondissements de l’intrigue, le verdict est sans appel : il faut déblayer le terrain en désencombrant chaque phrase des métaphores ou des comparaisons y ayant fait leur nid.

Quand la métaphore est un frein

N’oubliez pas qu’un roman doit raconter des péripéties, et que ces dernières peuvent très bien se dérouler durant quelques pages sans recourir à des images telles que celle qu’on pourrait par exemple trouver dans une scène de western mettant aux prises – je vous le donne en mille – des cowboys et des Indiens : « Le Sioux décochait ses flèches aussi vite qu’un séducteur décoche des œillades » ; sans parler du côté plus que tiré par les cheveux, pour ne pas dire ridicule, de cette comparaison, on s’en sortira mieux en se tenant à narrer ce qui se passe sans ralentir l’action : « Le Sioux décochait ses flèches à une vitesse stupéfiante. » Au passage, comme je viens de le prouver avec brio (mais si), ne vous aventurez pas dans des images qui feront s’asphyxier de rire votre lecteur quand le but était de l’impressionner par votre maestria.

De la construction au positionnement

Par le passé, j’ai rédigé un article sur les métaphores, mais il était surtout axé sur leur construction. Je souhaitais aujourd’hui rappeler leur réel apport tout en mettant en garde contre leur pouvoir de séduction vénéneux. Alors faites-vous plaisir tout en songeant à leur propension à envahir votre prose au point de l’étouffer. L’écriture d’un roman ou d’une nouvelle comporte bien des aspects stratégiques. Celui consistant à positionner les métaphores le plus judicieusement possible en est un dont l’importance n’est pas à négliger. Pour autant, hors de question que je nous prive de quelques images avant de mettre un terme à ce billet, histoire d’en augmenter la valeur…

« Je me demande aussi avec appréhension ce qu’il adviendra lorsque la seule amie que j’aie jamais eue, la seule a tout savoir sans avoir jamais rien demandé, laissant derrière elle une femme méconnue de tous, l’ensevelira de cet abandon sous un linceul d’oubli. »

L’élégance du hérisson – Muriel Barbery – Éditions Gallimard.

« La plus délicieuse vision que mes yeux aient jamais contemplée », aimait-t-il à dire aux nouveaux venus, en étirant le mot ‘‘délicieuse’’ comme une cuillerée de caramel chaud. »

Underground railroad – Colson Whitehead – Éditions Le Livre de Poche.

« Me remettre à écrire. Il me semble n’avoir jamais exercé ce métier. Toucher à une histoire me ferait aujourd’hui l’effet de caresser le cadavre d’un chien. »

Kennedy et moi – Jean-Paul Dubois – Éditions du Seuil.

« Venise ne se nomme pas pour rien ‘‘cité des masques’’ : une courtisane parée de soieries et de rubans, mais déjà rongée par la vérole. Elle pourrit de l’intérieur, sans jamais se départir d’un sourire éclatant. »

Notre-Dame-aux-Écailles – Mélanie Fazi – Éditions Bragelonne.

« On aurait dit que quelque chose empêchait le soleil, devenu rouge, de se coucher derrière les collines, une cale aurait maintenu son dôme au-dessus de la ligne de crête. »

Mademoiselle Chambon – Éric Holder – Éditions J’ai lu.

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