Apprendre & Pratiquer le métier d'écrivain

Comment écrire une nouvelle à chute en une page

J’en entends déjà certain(e)s penser (oui, je suis télépathe) : « Ah chouette, une nouvelle à chute en seule page, ça va me faire moins de boulot ! ». Ha ha ha ! Veuillez me pardonner ce subit accès d’hilarité. Car en fait, l’art de la brièveté réclame de la simplicité, de la clarté – qualités littéraires ayant déjà fait l’objet d’articles précédents –, ainsi que de la concision, dont je traiterai prochainement. Et si la nouvelle de poche ne nécessitait que cela, ça se saurait…

Houdini au bout du chemin

Du paresseux au guépard

Un chemin ne peut-être écourté au maximum que si l’on sait exactement où l’on va. Question bon sens, vous pouvez compter sur moi. Pour ce qui nous intéresse ici, se lancer dans l’écriture d’une nouvelle d’une page sans posséder une idée claire de sa chute reviendrait à configurer le GPS de sa voiture sur les coordonnées de la lune. Autant dire que vous n’êtes pas rendu. Si un roman de trois-cents pages est susceptible d’évoluer en fonction du temps qu’on y consacre et des nouvelles possibilités se profilant au fil de sa rédaction, une nouvelle très brève ne peut se permettre ce genre d’atermoiements. Déjà qu’un roman ne supporte qu’à grand peine les changements de dernière minute, un texte des plus courts n’a pas le luxe de s’offrir de multiples changements de direction. Un roman, c’est un paresseux, une nouvelle d’une page, c’est un guépard. Je reste moi-même pantois de la pertinence de cette métaphore animalière.

La mort de la digression

En ayant votre chute ancrée dans votre esprit, vous avez effectué le tiers du chemin. Il n’existe aucune source ou étude inattaquables confirmant ce que j’affirme, il s’agit juste de mon ressenti. Rien de plus fiable qu’un intuitif, car il ne s’appuie sur aucune donnée sérieuse remise en cause par une autre donnée sérieuse. Bref. Il vous reste à accomplir les deux tiers vous menant en droite ligne jusqu’à la fin de votre nouvelle. Là, il convient de ne pas s’égarer en route. Il faut flinguer à vue la moindre digression pointant le bout de son nez. Être en permanence concentré sur le but à atteindre qui ne doit se résumer qu’à une idée. Vous pouvez en trouver une meilleure au fur et à mesure, mais en ce cas, elle doit graviter dans le périmètre proche de votre chute initiale. Sans quoi, ce ne sera plus la nouvelle prévue à l’origine, mais quelque chose s’y rattachant de plus ou moins loin et qui exigera de votre part de reconsidérer l’essentiel de votre stratégie narrative. Un mauvais calcul, donc.

Houdini dans vos flots

N’oubliez pas une chose : vous n’avez qu’une page à votre disposition. Une page pour caser une rapide introduction, construire un développement à la fois réduit et intéressant laissant fuiter le moins possible d’indices – mais il en faut au moins un – quant à votre chute. Tout cela en entretenant une atmosphère un brin intrigante. Sans oublier de donner de la consistance à votre ou vos personnages si jamais votre texte en comporte. Et enfin, prendre votre lecteur à revers en le gratifiant d’une fin qu’il n’aura pas vu venir si vous vous y être bien pris tout en faisant en sorte qu’il la comprenne. Mes dons de télépathe évoqués dans mon introduction m’indiquent que finalement, ceux qui avaient crié « youpi » dans ma proposition de n’avoir à écrire qu’une page commencent à se faire des tas de nœuds dans la tête. Ne vous inquiétez pas. Je suis chargé d’être votre Houdini textuel. Bon, je sais, il a mal fini, mais j’espère bien ne pas me noyer dans le flot de vos interrogations.

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Ne pas perdre votre temps pour en faire gagner à votre lecteur

Un coup de pied dans la porte

Après vous avoir prodigué ces merveilleux conseils, voyons comment les mettre en œuvre. Dans un texte si court, l’introduction peut se résumer à une phrase du type « Il ouvrit la porte d’un violent coup de pied et les dévisagea les uns après les autres. ». On sent tout de suite la bonne ambiance qui va suivre, pas vrai ? L’important est que votre lecteur ait envie d’en savoir plus tout en se demandant comment dans un format réduit on va lui raconter une véritable histoire. Votre accroche doit l’interroger en même temps qu’elle lui promette la résolution de votre entrée en matière. Les premiers mots doivent être pensés pour résonner avec cette chute dont je ne cesse de vous rebattre les oreilles depuis le début de cet article.

Avec des mots préparer le terrain

Le développement, compte tenu du peu d’espace dont on bénéficie pour l’exposer, ne doit recourir qu’à des choses essentielles visant à définir le contexte. Chaque phrase méritera plus que jamais qu’on s’y penche avec la plus vive attention afin que sa simplicité annonce la finalité de l’intrigue. Le moindre mot doit préparer le terrain pour qu’en dernier lieu on en saisisse l’importance. Du mot, pas du terrain. Sauf si vous avez des projets immobiliers en tête. Cela signifie l’exclusion de grandes envolées lyriques, tout en préservant le côté littéraire de votre prose. Un style peut être fécond en phrases ciselées sans virer à la logorrhée. Il y a des personnes qui écrivent de manière si compliquée qu’en les lisant on aurait envie de gifler le premier Gutenberg qui se présente.

De Matheson à Sternberg

Une fois votre développement exécuté avec concision, et après vous être assuré que l’enjeu a été bien aménagé pour donner toute sa vivacité à la chute, il faut introduire celle-ci comme on enfoncerait le dernier clou dans une planche pour s’assurer que l’ensemble du texte est bien fixé. C’est-à-dire que tout ce que vous avez préparé en amont doit être condensé dans une ou deux phrases maximum. Le champion en ce domaine est Richard Matheson, qui parvint à le faire en une lettre dans sa nouvelle Escamotage. Elle fait certes plus d’une page, mais au niveau du procédé final, c’est un modèle du genre. Je m’enflamme peut-être, seulement c’est pour moi l’une des meilleures  trouvailles littéraires jamais imaginées. Bien sûr, Jacques Sternberg a aussi été un maître du raccourci ramené à son rôle de fulgurance. 

De la tartine à la stèle

Ce qu’il faut retenir de tout ça ? Qu’une page est le plus petit espace où peut se loger un monde. Qu’il ne faut pas craindre d’être peu disert mais redouter de trop parler. Que l’éloquence peut tenir en quelques mots. Qu’on peut asséner un « merde » à quelqu’un sans dévider tout le rouleau de papier-toilette, comme aurait pu le dire Frédéric Dard. Qu’une histoire doit se passer de nos hésitations. Et notre discours de la parlote. En conclusion, si j’étais moi, et il se trouve que j’ai l’immense chance de l’être,  je vais vous filer un dernier tuyau : ne doutez jamais que vous soyez capable d’étaler le beurre de votre imaginaire sur la plus petite des tartines. Ouais, je vous donne l’autorisation de broder cette formule sur un canevas ou de la graver sur une stèle en marbre…

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