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Nouvelle à chutes alternatives

Écrire une nouvelle à chutes ? Vous avez bien lu, chutes au pluriel. Trouver une chute satisfaisante à une nouvelle est déjà une gageure en soi. Mais plusieurs, quel intérêt ? Je vais vous l’indiquer dès après ce préambule ayant le mérite de rimer avec vestibule, ce qui me semble une heureuse coïncidence pour vous accueillir dans cet article. Ah mince, ça sonne aussi comme canicule… bon, pas grave, branchez les ventilos, on va s’aérer l’esprit en examinant attentivement les bénéfices de proposer différentes fins à notre lecteur…

T’as pas bientôt fini ?

Finir ou mourir

Qu’espère un lecteur en arrivant au terme d’une nouvelle à chute ? D’être surpris. Oui, je fais les questions et les réponses, ça m’évite d’être contredit. Qu’espère un auteur en parvenant à ce dénouement ? Que son lecteur n’ait pas vu venir ladite chute et qu’il y plonge avec ravissement comme du haut d’un précipice. Ami(e)s suicidaires, merci de ne pas prendre cette image au pied de la lettre, car, comme d’habitude, je décline toute responsabilité quant au décès de celles et ceux voulant bien me faire l’amabilité de prendre connaissance des précieux conseils que je vous dispense avec une générosité n’ayant d’égal que ma modestie proverbiale.

La substitution de la chute

Si l’on y réfléchit, une chute n’est pas une fin en soi dans le sens où on peut lui en substituer une autre. C’est, si je puis dire, une sorte de finalité éphémère. Je présume que, comme moi, il vous est arrivé de vous dire : « Cornegidouille, me voilà frappé de stupéfaction en me rendant compte qu’une chute différente eût pu être meilleur. » Enfin, si jamais au cours d’un égarement cérébral le terme « cornegidouille », que l’on doit au brillant Alfred Jarry, vous traverse la caboche. C’était la minute servant de caution intellectuelle à cet article, alors je vous remercie par avance de la respecter comme une minute de silence dédiée à notre vocabulaire qui parfois part en quenouille. On constatera que je persiste dans la rime sans que ça nous avance à quoi que ce soit de concret. Quel monde.

Rien n’est moins figé qu’une phrase

Retenez néanmoins ceci : une chute n’est pas forcément figée. Certaines le sont, à l’évidence, puisqu’elles découlent d’un processus littéraire élaboré afin que toutes les idées contenues dans un texte n’aient été pensées que pour converger vers elles. Mais quand une nouvelle n’est pas corsetée jusqu’à lui interdire d’autres respirations imaginatives que celle prévue au départ, il y a moyen de s’offrir quelques gambades littéraires. Et entrevoir certaines bifurcations pour que notre inspiration vagabonde hors d’une cristallisation de notre destination initiale.

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Les raisons d’une fin alternative

Bah, à quoi ça sert ?

Question légitime que je vous remercie de m’avoir posée. Une fin alternative peut correspondre à de nombreuses motivations : celle consistant à se dire que notre sujet de base est riche de possibilités que l’unicité d’une chute ne peut satisfaire est peut-être celle qui prédomine. On a le sentiment de ne pas avoir tenu toutes les promesses en gestation dans notre cerveau au moment où on s’est attaqué à notre texte. De n’en avoir pas fait prospérer tous les développements envisageables. Et à partir de là, une petite musique commence à tourner en nous au point de s’apparenter à une démangeaison. Alors, il faut qu’on gratte plus profondément histoire de voir s’il n’y aurait, non pas une amélioration possible, mais un biais par lequel nous serions susceptibles de transformer notre propos.

Renversement de sens

Une fin alternative est à même de renverser totalement le sens de ce qui l’a précédée. C’est presque de la prestidigitation : au lieu de sortir un lapin de notre chapeau, c’est un rhinocéros qui en jaillit. Les spectateurs du premier rang ne seront sans doute pas enthousiastes en voyant débouler furieusement ce massif animal alors qu’ils venaient à peine de dévisser le couvercle de leur pot de moutarde en songeant à un délicieux civet (allez faire loger un rhinocéros dans une cocotte, vous), mais l’effet de surprise sera total. Pour les rescapés. Bref, si vous inscrivez un lagomorphe à votre menu et qu’en guise de supplément pour le dessert un gros mammifère cornu débarque, vous aurez remporté votre pari : celui de perturber la logique de votre texte tout en restant cohérent avec la structure mise en place.

Comment bouleverser une histoire en une phrase

Voilà. Vous venez de finir votre nouvelle et sa chute colle parfaitement avec ce que vous aviez envie d’exprimer. Vous ne pourriez pas en écrire une meilleure. Vraiment ? C’est à cet instant où il nous faut reprendre le fabuleux « Et si… ? ». Et si ce texte pouvait accomplir un brusque virage ? Vous avez été focalisé sur une fin bien précise, et bizarrement, une autre vous titille. Une autre ? Voyons, vous manquez d’ambition. J’ai pour ma part écrit une nouvelle qui en comptait huit. Ça m’a fait comprendre que l’on peut explorer sans cesse de nouvelles pistes. Au point de parvenir à changer de genre en quelques mots. Partir sur une nouvelle sentimentale pour l’orienter vers une acmé horrifique est un des pouvoirs que l’écrivain détient. Et vice versa. Délaisser l’horreur le temps d’un tendre baiser fonctionnera tout autant.

Maîtriser la dualité

Il ne suffit pas d’opposer une chose à son contraire pour qu’un texte soit stable. Tenez, je vais vous donner un devoir de vacances. Choisissez une de vos nouvelles parmi celles que vous avez en stock. Non, pas celle-là. Bon sang, vous devez avoir du mieux en réserve, pas vrai ? Ah oui, justement, ce texte que vous chérissez par-dessus tout. Vous y avez mis tout votre cœur, n’est-ce pas ? Et vous n’en déplacerez aucune virgule, je vous connais. Alors quant à ne serait-ce qu’en effleurer la chute… C’est pourtant ce que je vous suggère : pensez autrement la direction définitive de votre nouvelle. Et n’y allez pas de main morte. Cet exercice vous apprendra qu’en écriture, un point de vue sur lequel on s’arc-boute est un rétrécissement de notre intelligence…

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