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A quoi sert la littérature ?

Comment écrire un texte littéraire si on ne sait pas à quoi sert la littérature ? Cet article apporte un début de réponse.

Tout en continuant à se délecter de l’étude d’extraits où la littérarité s’exerce sous diverses formes, sûrement est-il grand temps de se poser la seule question – peut-être – qui vaille : l’écriture littéraire, à quoi ça sert ? On va ainsi se demander si elle a pour unique intérêt d’embellir un texte, ou si sous la couche de phrases ciselées nappant une histoire, d’autres raisons justifient qu’on s’évertue à améliorer sans cesse notre style…

Qu’attendre d’une écriture littéraire ?

L’histoire oubliée derrière le paravent

Il me semble, pour apporter un début de réponse à cette interrogation, qu’il est important de ne pas considérer l’écriture littéraire comme une fin en soi. Sans quoi, on admettrait implicitement que cette finalité doit être atteinte au détriment, voire à l’exclusion du but premier de l’écriture pour ce qui nous concerne : raconter une histoire qui soit si possible porteuse d’idées. Si dire d’un livre qu’il est très bien écrit revenait à ne prendre que la forme en compte, à quoi bon s’embêter avec l’élaboration d’une intrigue ou la construction d’un personnage ? Quel intérêt aurait-on à nourrir une réflexion en partant de la certitude que seule importe la joliesse du style ? L’écriture littéraire ne doit pas être un magnifique paravent derrière lequel on a oublié son histoire.

Le vernis du projecteur

L’écriture littéraire autosuffisante ou estimée comme telle a tout d’une quête vide de sens. En l’absence d’une réelle interaction avec le contenu, celui-ci ne bénéficiera qu’à la marge de son aura. En revanche, destiner le plus beau des vernis littéraires à la mise en valeur du propos d’un auteur me paraît plus judicieux, tout en conservant à l’esprit que ce bel éclat ne peut sauver un texte de la ternissure. Au contraire, plus le fossé qualitatif se creuse entre le style et la pensée, plus cette dernière révèle ses manques. On croit parfois – à tort – qu’une écriture littéraire dissimulera la fadeur d’un propos là où en fait elle éclaire le moindre de ses défauts. Un style, aussi brillant et puissant soit-il, n’agit somme toute qu’à la manière d’un projecteur : il ne détermine pas les qualités ou les défauts de ce qui est pris dans son faisceau, mais les souligne.

Papillons et réverbères

Cependant, selon qu’elle sera soutenue par une mise en mots étincelante ou par des tournures d’une banalité grisâtre, la même idée ne provoquera pas chez le lecteur un attrait égal, probablement au point de ne pas l’étudier avec une attention similaire, voire tout bonnement de l’ignorer. Exactement comme si vous exposiez un article identique en tous points dans deux vitrines différentes : entre une engageante devanture lumineuse et une façade sombre jusqu’à l’austérité, l’envie de découverte connaîtra une stimulation évidente dans le premier cas et suscitera peu d’empressement dans le second. Les papillons ne volent pas vers les réverbères éteints, c’est ainsi.

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Conserver l’équilibre pour ne pas perdre sa couronne

Quand un cadeau ne nous emballe pas

Pour autant, il faudra veiller à ce que la forme ne soit pas aveuglante à telle enseigne qu’elle éclipserait l’idée qu’on soumet au lecteur, ou en réduirait la portée. En tout art, la virtuosité, c’est en partie de la maîtrise. En littérature comme dans beaucoup de domaines, le déséquilibre n’est jamais bon – ce ne sont pas les funambules qui me contrediront. Qu’une des composantes du texte prenne le pas sur l’autre, et ni votre histoire ni votre lecteur n’y gagneront. Alors, pour employer une image de circonstance, veillez à ce que l’emballage ne fasse pas plus d’effet que le cadeau. On n’en est pas encore au point où l’on refourgue sur un site de revente en ligne une idée qui a déçu faute de n’avoir pas su  convaincre ou séduire, mais méfiez-vous quand même !

Il ne faut pas confondre joyaux boueux et boyaux joyeux

L’écriture littéraire est pour un texte telle une couronne pour un roi : mieux elle resplendit et s’orne de joyaux, plus on a tendance à manifester de l’intérêt au monarque qui l’arbore. On verra plus loin dans le commentaire de l’extrait de Claude Pujade-Renaud que les mots n’ont toutefois nul besoin de scintiller pour exercer une profonde fascination sur le lecteur, et que pour boueux, brutaux ou gluants qu’ils paraissent, ils nous accaparent et nous émeuvent avec la même intensité que s’ils crachaient mille feux. Grâce, notamment, à une recherche constante d’équilibre tant au niveau du vocabulaire que de la ponctuation.

Le roi ou la couronne ?

Maintenant, je vous invite à vous poser cette question éminemment philosophique : qu’est-ce qui est le plus ridicule, un roi sans couronne, ou une couronne sans roi ? Un texte dépourvu d’écriture littéraire, ou une littérarité privée d’histoire ? Je vous laisse la longueur d’un règne pour y répondre. S’il s’agit de celui d’Elizabeth II, vous avez du temps devant vous. Si on parle de celui de Louis XIX, ne tardez pas trop : vous ne disposez que de vingt minutes ! Je ne vous surprendrai pas en vous conseillant de relire attentivement le titre de cette fabuleuse deuxième partie afin de connaître ma réponse. ?

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Claude Pujade-Renaud ou l’abcès au cœur d’une rose

« Oui bien sûr, j’ai voulu croire, fausse naïve, qu’un enfant sans père me donnerait cet ancrage si longtemps cherché, sans le savoir, du côté d’Eglantine mais reprend en dedans de moi ce remuement de labours retournés, cette luisance grasse et tressautante, de l’écume de terre gicle et roule sous le soc étrave, un bondissement sans cesse retombe et se tasse, un centre s’écarte, sous le sol travaillé des architectures souterraines s’effondrent en silence. »

Un si joli petit livre, Claude Pujade-Renaud, éditions Actes Sud.

Les peintures de guerre du texte

Cet extrait me semble tout indiqué pour illustrer une littérarité que n’entravent pas des mots dont le poids pèse pourtant à chaque franchissement de virgule. À dessein, dans cet exemple précis, ce qui n’est pas toujours le cas chez des auteurs qui, voulant donner de la consistance à leur texte, en rendent la lecture indigeste. Ici, derrière un style faussement encombré et au rythme heurté, on sent palpiter la pensée de l’auteur avant qu’elle ne nous apparaisse au terme d’une démangeaison organique. Elle mûrit ainsi tel un furoncle sous la peau tendu d’un texte  fardé de peintures de guerre lexicales.

La défiguration par l’excès

C’est par cet excès qu’elle impressionne, par ce jaillissement en gestation qu’elle s’impose. Je vous accorde que le recours à la métaphore d’une rose prête à éclore aurait fait naître des images plus ragoûtantes dans votre esprit, mais vous allez le voir de suite, mon raisonnement l’exigeait ! L’erreur serait de ne considérer que le pus du furoncle en oubliant ce qu’il est chargé de défigurer : l’esthétisme littéraire lisse et interchangeable d’écrivains reproduisant les codes d’une écriture superficielle. Cette dernière a un prix, celui du manque total d’originalité, dans le meilleur des cas.

La glaise cérébrale

À l’inverse, les lignes de Pujade-Renaud ne reproduisent pas les traits refaits d’une littérature répondant aux canons de beauté du moment. Elles réclament qu’on s’accorde à leur tempo, étudié pour que les mots s’agglomèrent en une glaise cérébrale offerte à chacun de ses lecteurs comme à autant de pétrissages. C’est un matériau abouti dont l’achèvement n’empêche pas qu’on se l’approprie, bien au contraire…

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