Apprendre & Pratiquer le métier d'écrivain

Les écrivains sont-ils heureux ?

Suite à de nombreux appels reçus via ma hotte line, je me demandais quels cadeaux je pourrais bien mettre dans mon traîneau, cette année. Mais non, je ne me prends pas pour un autre. Ho ho ho. À moins que, souffrant d’insomnies ces derniers temps, il se pourrait qu’un dédoublement de personne alitée ait eu lieu, vous croyez ? Quoi qu’il en soit, placé sous le signe d’un sérieux inébranlable, cet article va vous rappeler, si besoin était, ce qui fait qu’il soit possible de réellement aimer écrire…

Et pourtant…

La colère format A4

À force de se poser toutes les questions imaginables sur l’écriture, il en est une que l’on oublie souvent de mettre en avant : est-ce qu’écrire nous rend heureux ? Car après tout, combien de jours – ou de nuits – avons-nous passés à pester à cause d’une phrase ne voulant pas se plier à notre volonté ou d’un paragraphe refusant de s’achever de façon satisfaisante ? Des centaines ? Des milliers ? J’ai pour ma part cessé le compte depuis bien longtemps, tant les motifs de frustration n’ont cessé d’éclore au fil des années tandis que je lançais des regards peu amènes à ma feuille de papier, 21 x 29,7 cm de colère rentrée. Et pourtant…

Face à soi

Passer du A4 à l’écran d’ordinateur n’a pas diminué mon envie d’insulter cet interlocuteur silencieux n’étant autre que moi-même. Puisque, si le support me permettant d’écrire avait changé, moi, j’étais resté le même. C’est donc toujours à soi que l’on s’adresse en maudissant un texte qui nous résiste ; à soi que l’on reproche qu’écrire se révèle parfois une telle épreuve qu’on voudrait bazarder dans la benne la plus proche tout notre matériel d’écrivain. Pour en finir une bonne fois pour toutes avec ces adjectifs rétifs et ces participes présent récalcitrants. Et pourtant…

Rage intellectuelle

Et pourtant, une fois le dernier mot enfin mis à notre histoire, on est content. On en a bavé comme pas possible, on a rêvé que la fin du monde survienne afin d’apaiser nos tourments, on a proféré des jurons dans toutes les langues connues, les accès de rage intellectuelle et les périodes de défaitisme mental n’ont pas arrêté de se succéder, les pages de notre dictionnaire ont bien des fois valsé en vain, mais au bout du compte, après s’être infligé tous ces sévices, et conscient d’avoir été notre propre tortionnaire durant des mois, on comprend pourquoi on est prêt à retourner au charbon. Tout simplement parce qu’à un moment donné ou à un autre, on se retrouve tous dans la fameuse phrase de Paul Morand : « Je n’aime pas écrire. J’aime avoir écrit. »

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De la complexité d’être satisfait

Jusqu’à la dernière goutte d’encre

Cette formule de Morand doit être l’une de celles résumant le mieux la complexité de ce qui constitue l’acte d’écrire, et notre engagement absolu à l’accomplir. Des mots simples traduisant les affres de qui a décidé un beau matin – mais quelle mouche nous a piqué, ce jour-là ? – que parler ne suffisait pas. Qu’on se saignerait jusqu’à la dernière goutte d’encre. L’expression se livrer corps et âme à une activité trouve là, selon moi, tout son sens. Le dos raide et la nuque douloureuse d’avoir passé des heures dans un fauteuil même le plus confortable, les pensées irritées d’avoir été triturées sans relâche afin qu’une idée prenne forme, oui, chères Françaises et chers Français (il faut que j’arrête de regarder les débats politiques, moi), nous, écrivains, sommes masochistes et heureux de l’être !

Le bonheur, enfin

Mais souffrons-nous tant que ça de persister à écrire contre vents et marées ? Non. Car en dépit du chemin de croix que peut représenter ne serait-ce que boucler un paragraphe, y parvenir nous procure une satisfaction intense. Il ne s’agit pas uniquement de la récompense de nos efforts, mais bien d’un sentiment confinant au bonheur, quand ce n’est pas le bonheur lui-même qui nous envahit. Vous le connaissez, ce moment particulier. Celui où, après avoir relu quinze ou vingt lignes, nous nous réjouissons qu’elles correspondent – enfin ! – à ce que nous avions en tête.

Sobre

Pour les uns, cela se traduit par un soupir de soulagement grâce auquel s’évacue la tension qui les habitaient et dont ils ne prennent conscience qu’à cet instant-là. Pour d’autres, ce peut être un sourire plus ou moins large, un hochement de tête approbateur, des paupières qui se ferment quelques secondes pour savourer brièvement cette victoire provisoire sur les difficultés rencontrées, etc. Pour ma part, je fais dans la sobriété lorsque je parviens à venir à bout d’un passage m’ayant réclamé une somme importante d’efforts. Je me contente d’une danse de la joie, de courir dans toute la maison en jouant du clairon, et, s’il fait nuit, de hurler à la lune en me frappant le torse. Sobre, je vous dis.

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Une lutte perpétuelle

La dichotomie de l’écrivain

Au-delà de mon cas personnel, qui est certes l’une des choses les plus intéressantes au monde, j’ai pu constater en discutant avec des amis qui eux aussi maniaient la plume que cette dichotomie animant un écrivain était très répandue. Qu’en toute connaissance de cause, on s’installait à notre table de travail en s’attendant à batailler férocement avec les mots. Et que la plupart du temps, nous n’avions aucune certitude d’en sortir vainqueur. Pas tous les jours, en tout cas. Mais que, dans le même temps, dans un autre coin de notre esprit, on demeurait persuadé d’aboutir à un résultat dont chacun pourrait être fier. Ce qui me fait me poser la question suivante : les pensées contradictoires peuvent-elles rendre un écrivain heureux ? Réponse chez le voisin du dessous.

Un métier de choix

Je pars du principe que personne ne nous force à écrire (enfin, je l’espère pour vous), et qu’il s’agit, hors du côté passionné, d’un métier choisi après en avoir mesuré les avantages et les inconvénients. Et, pour les plus avisés, la capacité à l’exercer de façon lucide, c’est-à-dire en tenant compte d’une évidence : on n’accède au plaisir de l’écriture, à la plénitude que cette dernière procure, qu’au prix d’un apprentissage réel, effectué avec sérieux. C’est un art exigeant, où rien n’est acquis tant qu’on ne retrouve pas ce qu’on a appris dans chacune de nos phrases, de même qu’on n’atteint pas le bonheur dans notre vie de tous les jours si l’on n’y applique pas les préceptes qui, de notre point de vue, y président.

Les défauts de fabrication

Afin qu’un écrivain soit heureux, il lui faut accepter d’être en lutte perpétuelle avec lui-même pour ne pas renoncer à l’effort supplémentaire qui lui permettra d’améliorer son texte. Car il est très facile d’écouter la petite voix lui assurant que les phrases qu’il vient d’aligner sont parfaites tout en fuyant du regard les « défauts de fabrication ». Peut-être suis-je trop vertueux par rapport à ça (j’ai failli écrire « trop chiant », mais je tenais à ce que cet article conserve une excellente tenue jusqu’à la fin), mais j’estime qu’un auteur ne mettant pas tout en œuvre afin de gommer le maximum de défauts que ses aptitudes lui permettent de débusquer est un escroc.

La fiabilité littéraire

Oui oui, vous avez bien lu : un margoulin pur jus. Je ne vois pas d’autre mot pour désigner quelqu’un vous vendant un objet dont il sait pertinemment qu’il recèle des vices cachés. Et qu’est-ce qu’un livre dont, par paresse, on ne s’est pas assuré de la fiabilité littéraire, sinon une escroquerie intellectuelle ? En conclusion, les écrivains sont heureux quand leur lectorat l’est, et pour parvenir à cet équilibre, ils doivent ne pas rechigner à accumuler les savoir-faire et à les mettre en pratique pour offrir le meilleur d’eux-mêmes. Dans le même temps, le lecteur a la charge de se montrer sélectif afin de ne pas encourager des auteurs qui, en matière de rigueur, ne sont vraiment pas des cadeaux…

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