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La légèreté dans l’écriture, 2ème partie

On aime ces personnages qui par on ne sait trop quel miracle semblent parés de l’élégance aérienne des mots. Ils sont là, presque vaporeux, n’existant que du bout des lèvres de l’auteur, comme nés d’un soupir. Et pourtant, ô combien présents ! Pourquoi s’y attache-t-on ? Quel sortilège a fait qu’on les a pris en affection ? Peut-être parce qu’ils sont un brouillard dans lequel on rêve. Une perfection éthérée née d’un style léger, car, tout d’un vent souriant vêtus, ils tutoient l’euphémisme et clignent de l’œil à la litote. Gracieux sous le poids des mots. Mais pas seulement.

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Les codes du décollage

La légèreté assumée

On sait qu’il y a mille façons (je viens de recompter) de dépeindre un personnage et de raconter une histoire. Les aborder en ayant en tête un souci d’écrire avec légèreté doit être un choix assumé auquel il faut réfléchir avant de se lancer. Car il ne s’agit pas d’un style dont on ne se sert que ponctuellement si l’on veut qu’il produise son plein effet. Cela demande une préparation intellectuelle rigoureuse de maintenir une direction sémantique de la première à la dernière ligne. Si j’apporte cette précision, c’est que le risque existe de ne pas s’y tenir, créant de fâcheux hiatus dans ce qui doit s’accomplir en un ensemble cohérent. Léger un jour, léger toujours ! Non, ce n’est pas mon slogan de campagne. Bien que j’y vive. À la campagne. J’arrête là, sinon je vais finir par être drôle.

Écrire comme Zorro

Donc, nous voilà fermement décidés à conserver notre cap. Qui a dit : « Comme Zorro ? ». Sortez. Seulement, comme tout style dépendant de ses codes, celui où la fantaisie le dispute à l’audace possède ses exigences. Faire sourire de choses tristes sans recourir au cynisme, par exemple, réclame un humour particulier, de la malice dans les yeux sans qu’ils soient fardés de procédés trop visibles. Légèreté rime ainsi autant avec aspérité qu’avec subtilité. Olivier Bourdeaut, l’auteur de En attendant Bojangles, l’un des livres brandi comme un porte-étendard de la littérature feel-good, est fréquemment pointé du doigt par ses détracteurs parce que son récit s’appuierait sur une mécanique narrative redondante et superficielle.

Faire la cour à l’extravagance

Sans les rejoindre, je peux les comprendre tout en n’y voyant pas les grosses ficelles littéraires qu’ils dénoncent, puisque l’auteur semble les avoir affichées d’une façon volontairement apparente. Mais pas envahissantes à partir du moment où le lecteur se prête de bon gré à une suspension consentie de l’incrédulité tant les événements décrits dans le livre courtisent l’extravagance. Ce qui lui confère son originalité, aussi « fabriquée » puisse-t-elle paraître. J’estime donc que le procédé employé fonctionne à merveille :

« mon père […] se mit à écrire des livres. Tout le temps, beaucoup. Il restait assis à son grand bureau devant son papier, il écrivait, riait en écrivant, écrivait ce qui le faisait rire, remplissait sa pipe, le cendrier, la pièce de fumée, et d’encre son papier. Les seules choses qui se vidaient, c’était les tasses de café et les bouteilles de liquides mélangés. Mais la réponse des éditeurs était toujours la même : ‘‘C’est bien écrit, drôle, mais ça n’a ni queue ni tête.’’ Pour le consoler de ces refus, ma mère disait :

— A-t-on déjà vu un livre avec une queue et une tête, ça se saurait ! »

Le poids des mots, la légèreté des chocs

On sent à travers cet extrait combien Bourdeaut aime faire s’entrechoquer les mots dans des carambolages affectueux, baignés de sourires. Tout son livre est à l’avenant, même lorsque la détresse pointe son museau chagrin. Cela n’atténue pas la charge émotionnelle des scènes les plus poignantes, peut-être même la retenue avec laquelle elles sont traitées les exalte-t-elles. L’euphémisme joue à plein dans ces moments-là, sauf que cette prise de distance avec l’événement relaté relève d’une pudeur ne minimisant pas l’ampleur du choc. On est parfaitement conscient de ce dont on nous parle, et si l’auteur vise le cœur en ayant auparavant pris soin de nous revêtir d’un gilet pare-balles, on en subira quand même l’impact.

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L’envol des paroles

La légèreté hors du feel-good

Si j’évoque la littérature feel-good, il ne faudrait pas voir dans ce genre l’unique refuge de l’écriture légère. Pour ne citer que l’un des écrivains maîtrisant la facétie intellectuelle adossée à la plus sérieuse des histoires, et non des moindres, je vais pour quelques lignes vous laisser entre les mains d’Oscar Wilde :

« ‘‘Mais mon cher Basil, c’est justement pour cela que je puis le comprendre. Ceux qui sont fidèles ne connaissent de l’amour que sa trivialité ; ce sont les infidèles qui en connaissent les tragédies.’’

Et, frottant une allumette contre un délicat étui d’argent, Lord Henry se mit à fumer une cigarette, de l’air fier et satisfait d’un homme qui, dans une phrase, vient de résumer l’univers. »

Quand la légèreté fait la part des choses

Derrière le ton un tantinet suffisant de Lord Henry perce l’amusement, celui de qui sait manier les mots comme les idées et les expose en souriant intérieurement du côté farce que les relations amoureuses recèlent. Pour autant, il ne se limite pas à l’ironie des choses pas plus qu’à sa bonne formule, y incluant l’aspect tragique que les sentiments peuvent générer. Dans le même temps, Wilde se moque gentiment, presque avec tendresse, de son personnage. De la part de l’auteur, c’est un peu l’arroseur qui prend plaisir à s’arroser, raillant Lord Henry sans lui faire perdre de sa superbe : par l’excès (« vient de résumer l’univers ») comme par la banalité (le geste commun de s’allumer une cigarette, même s’il est effectué, on le devine, avec classe), Wilde ne le dément pas tout en soulignant le côté pompeux ou affecté de son propos.

Cette légèreté qui nous élève

En passant par Wilde pour aller chez Bourdeaut, et sans les comparer ni établir de ponts, on voit depuis des siècles la légèreté s’inviter de bien des manières dans l’écriture. On peut en trouver Thrace chez les philosophes grecs ou à dos de tortue la voir cheminer chez La Fontaine sans que ça lève un lièvre. Perchée comme un Baron pour prendre de la hauteur, elle frissonne dans les feuillages d’Italo Calvino et se fait secrète quand James Thurber nous conte les délires incessants de Walter Mitty. Tant d’auteurs pour autant de bonheurs. Jusqu’à cette Élévation si poétiquement imaginée par Stephen King, donnant à sa plume le plus beau des envols…

Livres cités dans le texte :

En attendant Bojangles – Olivier Bourdeaut – Éditions Finitude.

Le portrait de Dorian Gray – Oscar Wilde – Éditions Le livre de poche.

Les Fables de La Fontaine – Jean de La Fontaine – Éditions Philippe Auzou.

Le Baron perché – Italo Calvino – Folio.

La vie secrète de Walter Mitty – James Thurber – Librairie Mollat.

Élévation – Stephen King – Éditions Le Livre de Poche.

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