Apprendre & Pratiquer le métier d'écrivain

Faites vous partie des lecteurs heureux ?

Les lecteurs heureux ont découvert la joie de lire. Si ce cheminement est personnel, il est toujours possible de partager ses expériences. Ces récits sont autant d’inspirations, d’invitations à essayer vous-aussi…

Un bon livre se révèle être une boîte à bonheur, sitôt qu’on l’ouvre. On ne mesure pas toujours de façon consciente tous les bénéfices qu’on en tire. Et c’est normal : un roman bien écrit, c’est une galaxie d’idées sur lesquelles notre regard s’attarde avec délectation sans mesurer la portée de chacune. Comme on contemplerait la voûte céleste sans parvenir à mettre un nom sur chaque étoile, mais dont la brillance de certaines nous ébahirait. Je vous propose aujourd’hui une petite revue de ce qui fait scintiller notre esprit…

(première partie)

Lire

Jouir

Vous souvenez-vous de vos premiers romans lus ? De l’effet qu’ils ont eu sur vous ? Pour ma part, même à l’âge où j’ignorais tout de ce que j’allais faire de ma vie, j’ai très vite compris une chose : je serai au moins lecteur. Il y avait un univers à côté de mon existence, et il était fait de papier sur lequel des mots s’agitaient. Bien sûr, je n’étais alors pas à même de détecter toutes les subtilités contenues dans une phrase, pas plus que je ne possédais le bagage intellectuel suffisant afin de comprendre la pensée de l’auteur dans toute sa profondeur. Mais s’abritant sous leur couverture afin de ne pas prendre froid, des phrases n’attendaient que je découvre leur charme, amantes syntaxiques dont mes pensées n’ont cessé de jouir. Ah, vous ne l’aviez pas vu venir, ma coquinerie littéraire ? Eh bien, voici où elle se situe !

Séduire

J’ai l’intime conviction qu’un auteur ne désirant pas séduire son lectorat d’une manière ou d’une autre, ça n’existe pas. Au-delà de la part d’ego entrant en jeu dans cette relation si particulière, ceux qui écrivent ont quelque chose à prouver : qu’ils sont capables d’attirer l’intérêt sur eux par le brio qu’ils mettent à exprimer leur vision du monde. Que ce soit par le biais des histoires qu’ils racontent ou des réflexions en étant induites. En tant que lecteur, c’est toujours pour moi une véritable joie de déceler la somme de travail investie dans la formulation d’une idée, pour qu’elle ne soit pas que ça, justement. Donner son avis est une chose : j’aime ceci, je n’aime pas cela. On est d’accord ou pas, et ça s’arrête là. Mais exprimer un ressenti de telle sorte qu’un lecteur s’interroge avec un vif intérêt sur ce dont l’auteur lui fait part réclame de chaque côté une activité intellectuelle dense. Une séduction relevant du concentré d’imagination qui chez certains auteurs relève de l’admirable.

Rire

Combien d’écrivains nous ont fait rire aux éclats ? Peut-être pas tant que ça, mais lorsque ça se produit… Il y a quelques années, je lisais Book of love de William Kotzwinkle, qui n’est pas le dernier des plaisantins. Je me souviens m’être bidonné sans retenue à la lecture d’un passage où toute sa verve humoristique s’exerçait. Vraiment, j’étais scié de rire. Alors, comme être joyeux n’est pas désagréable, j’ai relu ce passage plusieurs fois, avec le même effet ne s’atténuant qu’à peine à la cinquième ou sixième relecture. On aurait pu me croire brindezingue à me voir ainsi partir, tout seul assis à la table du salon, dans d’irrépressibles rigolades, secouant mon bouquin comme pour en évacuer l’hilarité qui ne me quittait plus !

Palpiter

Ah, mais quel merveilleux moment ç’a été ! Quel bonheur de rire de l’intelligence des autres lorsqu’elle s’esclaffe ! Si au cours de ce roman j’ai éprouvé bien des fois l’occasion de pouffer, l’une des dernières scènes les plus marquantes souligne comment l’adolescence peut se dépouiller de sa magie éphémère. Vous savez, quand toutes les conditions sont réunies pour que des sentiments forts naissent entre deux jeunes personnes et qu’un rien les gâche.  Une force bâtie sur des émotions fragiles s’écroulant dans un gouffre d’incompréhension sans le moindre espoir d’en sortir. De tels passages fendent le cœur de notre propre nostalgie en d’heureuses palpitations.

Se souvenir

Les traînées fantomatiques

Connaissez-vous Anna de Noailles ? Je l’ai rencontrée par poème interposé dans mes jeunes années, alors qu’il me fallait apprendre un de ses textes par cœur. Qui ne se souvient pas des terribles récitations, quand sans plus d’assurance que ça on s’avançait sur l’estrade où trônait le bureau de l’instituteur ? Avec comme arrière-plan un tableau noir où des règles d’orthographe mal effacées d’un exercice précédent laissaient des traînées fantomatiques ? Et avec pour devoir, sur cette intimidante scène, de déclamer un texte. Dans ce décor, cet espace codifié aux odeurs bien définies, il nous fallait débiter – ou plutôt ânonner, pour la plupart d’entre nous qui n’étions pas de bons élèves, quelques vers dont on ne saisissait  pas toujours le sens.

Le reproche du lecteur

Pourquoi parler de ça, à présent ? Parce qu’un vers du poème d’Anna de Noailles appris en cette occasion m’a accompagné toute ma vie, pour ne pas dire qu’il m’a hanté : « Byzance, consolée, inerte et bienheureuse ». Je suis à peu près sûr de l’avoir mentionné ainsi que l’attachement que je lui porte dans un autre article. Désolé, je ne saurais dire lequel. J’ai bien vérifié dans le Code de Bonne Conduite des Écrivains : il n’est pas interdit de reprendre le même exemple pour illustrer un propos différent. C’est écrit en toutes lettres au chapitre 4 s’intitulant : « Au cas où un lecteur vous reprocherait quelque chose ».

Entre les pages, une lueur ancienne

Si je ressens le besoin d’y faire encore allusion, c’est pour dire que le bonheur de lire s’inscrit dans le temps. Cinq mots m’ont accompagné durant des décennies avant que le Net me remette en tête l’entièreté du poème. Lire rend heureux autant par les textes en eux-mêmes que par les souvenirs qui y sont rattachés. Je me rappelle d’avoir fini la lecture de Shining dans un motel du Wyoming, après avoir passé une partie de la journée dans le merveilleux parc national de Yellowstone, et sur le retour d’avoir dû affronter une (petite) tempête de neige avant de me mettre à l’abri pour me plonger dans le roman de King. Je suis certain que votre mémoire est pleine de ces anecdotes où la fiction s’est greffée au réel. Où en refermant un livre, s’est glissée entre ses pages une de ces tranches de vie n’attendant qu’il soit rouvert pour ressurgir dans vos pensées et les éclairer de la lueur ancienne des jours passés…

Références

Book of love – William Kotzwinkle – Éditions Rivages/Noir.

Shining – Stephen King – Éditions J’ai Lu.

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