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La littérarité, la belle gueule du style

Cet article vous explique rendre votre style littéraire et accéder à la littérarité à travers des exemples concrets.

 

La belle gueule du style littéraire

Littérarité : Caractère d’un texte qui appartient à la littérature (Le Robert 2019).

Littérature : Les œuvres écrites, dans la mesure où elles portent la marque de préoccupations esthétiques (Le Robert 2019).

Littéraire : Qui répond aux exigences esthétiques de la littérature (Le Robert 2019).

Bien que le caractère succinct d’une définition soit censé laisser peu de place à l’interprétation, l’esthétisme a tôt fait de nous renvoyer au fameux « Les goûts et les couleurs… ». Soit à un débat que rien ne tranchera.

Si le « sens du beau » en littérature – comme dans chaque art – était une notion universelle, ça se saurait. Quand certains estiment qu’il est tout contenu dans Chateaubriand, d’autres rétorquent Flaubert sans en démordre. Ou bien l’on opposera Hervé Bazin à Henri Troyat. X à Y. Etc.

 

Progresser dans son écriture en s’éloignant de nos auteurs familiers

Cela étant, on peut trouver chez des auteurs ne forçant pas notre admiration des qualités qu’il serait dommage d’ignorer. En ne s’attachant pas qu’aux seuls styles nous enthousiasmant, il est possible de diversifier le nôtre en faisant l’expérience de procédés qui ne nous sont pas coutumiers.

Parfois, on déclare que tout ou presque est à jeter chez tel romancier ; c’est ce « presque » qu’il nous revient d’incorporer à notre méthode de travail. Quand l’aiguille a plus de valeur que la botte de foin, il n’est pas vain de tenter de la dénicher.

Accéder à la littérarité implique de faire preuve de curiosité. S’enfermer dans une lecture de confort (entendez qui ne réclame pas l’effort d’aller au-delà d’une satisfaction immédiate) peut nous priver d’outils susceptibles de nous tirer vers le haut.

Parfaire son écriture suppose aussi qu’avant d’être inclément vis-à-vis d’autrui, on doit se montrer d’une rigueur sans faille envers soi-même.

 

Devenez un joailler du style

Ces considérations à l’esprit, rechercher l’amélioration de chacune de nos phrases participe évidemment à la bonification d’un texte. La forme est le bijou rehaussant l’éclat du fond dont elle s’élève. Aussi chaque mot doit-il être choisi, et l’on va voir comment.

Imaginons une phrase simple que nous pourrions extraire du plus banal des romans :

Il dormait mal depuis une semaine, rongé par les soucis, n’adressant qu’un grognement à sa femme en guise de bonne nuit.

Le style est des plus neutres et la construction de la phrase à la fois passe-partout et cohérente : un constat, une cause, une conséquence.

En l’état, ce n’est ni bon ni mauvais. C’est avant tout informatif. Il faut bien que l’auteur tienne son lecteur au courant de ce que vivent et ressentent ses personnages. Des phrases telles que celle-ci sont indispensables à l’équilibre d’un texte.

 

Des ponts littéraires d’où l’on jette le lecteur

On peut les voir comme des ponts permettant à notre lecteur de traverser un paragraphe les pieds au sec (le style l’étant) pour mieux le plonger quelques lignes plus loin jusqu’au cou dans les flots chatoyants d’une écriture littéraire.

Si on ne proposait qu’une succession de phrases visant à créer un effet ou à déployer à l’infini nos plus belles formules, elles finiraient par s’annuler les unes les autres. Pire, notre discours sombrerait dans le ridicule des proses affectées, de celles qui ne sont pas conçues par les conteurs, mais par les vaniteux. Ceux qui se regardent écrire en exégète corrompu par leur ego.

De la variation naît l’harmonie quand la répétition accouche de la monotonie.

 

Travailler une phrase en osant l’argot

Revenons à notre phrase pour essayer de lui donner un peu de cachet : Il dormait mal depuis une semaine, rongé par les soucis, n’adressant qu’un grognement à sa femme en guise de bonne nuit.

Une technique basique consiste à remplacer un mot usuel par l’un de ses synonymes moins employé. Plusieurs niveaux de langage sont envisageables selon le ton général de l’histoire, qu’on veuille par exemple faire résonner des accents argotiques ou établir un registre soutenu

Ainsi, on pourra substituer « pioncer » ou « s’assoupir » au verbe dormir. Le reste de la phrase doit bien entendu être au diapason.

« Il pionçait mal depuis une semaine, le caberlot plein de mouscaille, n’accordant à sa rombière rien de plus en fait de bonne nuit qu’un pet d’ours mal lâché. »

J’imagine des fronts qui se plissent et des sourcils se froncer en me voyant introduire l’argot dans un article consacré à la littérarité : je pars du principe que l’esthétisme a sa place dans la gouaille, et que la sonorité et la truculence, tout bruit de casserole qu’ils soient, peuvent rivaliser avec le tintement cristallin de nos vocables les plus précieux.

Ce qui est bien entendu subjectif. Mais l’article suivant dit tout le bien que je pense de l’argot, aussi ne vais-je pas m’étendre sur ce sujet.

« Par ailleurs, l’emploi à compte d’auteur de l’argot n’implique pas l’utilisation du néo-français (comme on peut l’observer chez Céline, Queneau, Boudard…) mais n’exclut pas davantage le beau style ni le vocabulaire noble »

https://www.persee.fr/doc/colan_0336-1500_1975_num_27_1_4224

Dans un style plus châtié, à la limite d’être (volontairement) ampoulé :

« Depuis une semaine il ne parvenait plus même à s’assoupir, l’esprit obstrué de tracas qu’il couvrait d’un drap le soir venu, le ‘‘bonne nuit’’ dont il se délestait à l’usage de son épouse résonnant comme un juron étouffé. »

 

Se passer de ponctuation pour faire le point

Il ne manque pas d’entre-deux pour singulariser son discours :

« Son sommeil aux abonnés absents en raison de tracasseries mordillant ses neurones voyait dans l’espace confidentiel du lit le bref bonsoir de sa femme claquer comme une porte dans son dos. »

Bannir les virgules, oublier le point d’exclamation… Il ne faut pas hésiter à cueillir le lecteur d’une frappe sèche ; le mettre un instant groggy fera qu’il s’intéresse à votre propos. Le regard que vous l’obligerez à porter sur votre travail est sans doute la part la plus infime de la littérarité, mais tout compte.

À noter que pour cette phrase, j’ai terminé par un changement de point de vue, un moyen comme un autre de varier, puisque la littérarité peut aussi user de contrepieds et jouer sur la ponctuation (aucune virgule ici, contre deux lors des exemples précédents).

Tout n’est pas que mots, donc, mais subtils arrangements, parfois.

Certes, le vocabulaire est roi, et je mesure combien le poids de sa couronne pèse sur un texte. Je ne cesse d’ailleurs jamais d’encourager les écrivains en herbe de se barricader derrière des remparts de dictionnaires : là repose un trésor, et quand j’en ouvre un, j’entendrais presque geindre les charnières d’un vieux coffre-fort.

Pour finir et aller un peu plus loin, il me faut aborder la façon dont une prose chante : vous voyez comme on se sent devant le miroir d’une cabine d’essayage en se demandant si le haut va bien avec le bas ? Si tel coloris ne jure pas trop par rapport à l’autre ?

Les mots sont ainsi, avec leurs incompatibilités et leurs connivences. À chacun de faire la poussière dans son propre gueuloir flaubertien, et de bien assembler ce qui peut l’être du vocabulaire en désordre peuplant nos étagères.

À chacun de se dire que remplacer un mot par un autre revient à déplacer une pièce sur le fragile échiquier de nos pensées. Pour renverser le Roi et sa couronne.

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