Apprendre & Pratiquer le métier d'écrivain

Le compte à rebours des conseils d’écriture en série

Les conseils d’écrivains à d’autres écrivains sont des enseignements précieux pour les auteurs. La variété de leurs présentations décuple l’intérêt. Il y a le conseil isolé, la lettre, le manuel, le discours tenus lors d’une dédicace, d’une émission de radio ou de télé, des échanges épistolaires, des posts publiés sur un blog. Les conseils d’écriture de Joël Dicker sont novateurs à bien des égards. C’est ce que vous explique cet article.

Une progression antéchronologique

Présentés en tête de chapitre, ces conseils d’écriture sont précédés d’un titre. La signification de celui-ci ne prend son sens que si on lit le chapitre en entier. Il n’existe pas de lien direct entre le titre et le conseil donné d’un ami à un autre ami.

Par curiosité, si on extrait ces conseils de l’œuvre afin de faire apparaître une continuité et d’en saisir le sens général, il se dévoile un ordre fragmentaire lié à la production de l’œuvre et des tourments de l’écrivain.

Cette structure enchâssée s’organise entre deux grandes parties : la maladie de l’écrivain (8 mois avant la sortie du livre) et La guérison des écrivains (rédaction du livre). Le sens s’inscrit dans la production de l’œuvre concomitamment avec les flux de conscience de l’auteur.

L’enchâssement de la structure

Le modèle de Dicker consiste en une imbrication de deux grandes parties d’un dialogue entre écrivains, l’un ayant l ‘expérience de la création et l’autre confronté à la difficulté de créer jour après jour. Le premier a quelques longueurs d’avance sur le second à l’image de la délivrance de ces conseils inscrits dans les titres de chapitre.

Le conseil d’écriture ne s’applique pas directement au chapitre développé. Il faut que l’auteur écrive afin d’en percevoir la valeur et le sens profond.

L’appropriation d’un conseil suppose des interactions nombreuses, diffuses, irrationnelles entre l’œuvre et la conscience du créateur. Ce n’est qu’après avoir écrit que cette expérience modifie, enrichit, altère la vision de l’auteur sur sa propre écriture.

Le compte à rebours

Le compte à rebours est donc celui de cette naissance, de la délivrance du livre au monde.

Tout écrit n’est pas une écriture ! Il ne suffit pas d’aligner des mots et des phrases pour composer un texte littéraire. Pour que le texte devienne une écriture d’un auteur, à lui de créer un sens particulier en reliant les mots et les idées, de façon à en créer de nouvelles.

Plus encore, pour Joel Dicker, l’écriture ne se situe pas sur le papier, mais dans ce qui se produit dans l’esprit du lecteur et cette aptitude à modifier sa conscience. Cette production de sens par le lecteur le rend à son tour créateur. Il s’agit des prémisses de la naissance d’un écrivain.

Il est donc tout à fait légitime d’adresser ces conseils d’écriture à des écrivains qui s’ignorent encore, à ces être en devenir. Ici l’ordre de la délivrance de conseils si particuliers est celui d’une naissance programmée. En cela Joël Dicker est simplement génial.

Des titres de chapitres de Joël Dicker

Le titre dévoile généralement la structure d’un texte. Ce qui est intéressant est que Joel Dicker n’en livre qu’une vision d’un élément caractéristique. Il s’agit d’un symbole mnémotechnique puissant qui utilise des images évoquées régulièrement dans le texte afin de les associer à une personne. Ce procédé est expliqué dans ses conseils (N° 15, voir ci-dessous).

Joël Dicker ne dévoile en rien son intrigue. Chaque titre agit comme un écho, du fait de la répétition des images dans les développements de son histoire. Ce procédé amplifie la dimension des éléments clés du récit. L’impression laissée dans l’esprit du lecteur est plus profonde.

Les titres agissent aussi comme ces vérités que l’on croit attraper. A chaque fois que la vérité semble se manifester, elle se dérobe. Les faits, les présomptions, la connaissance des faiblesses humaines, tous ces beaux raisonnements rationnels s’effondrent toujours face à la vérité des sentiments, le plus souvent enfuis. Ces secrets que l’on conserve comme des cadavres dans nos mémoires meurtries…

Comment transmettre cette idée que l’amour est un sentiment que l’on extrait de soi, à son insu parfois. Etrange, interdit, incontrôlable, dérangeant, indicible.  Ce message délivré de manière informative aurait été une platitude. Mais nourrir chaque jour « ses mouettes » (le sens que l’on confère aux mots), comme le personnage d’Harry Quebert est une manière d’être écrivain : entendre à travers ses mots piailleurs ses propres élans de vérité ?

Un dialogue interrompu par la création de l’œuvre

Ces conseils d’écriture prennent la forme d’un dialogue intemporel entre Harry Quebert, mentor du jeune Marcus Goldman. On ignore tout du moment de ces confidences, du lieu de ces échanges. Ils existent en dépit du quotidien, des contingences matérielles comme la conscience d’un créateur : elles échappent au caractère discontinu des jours, aux interruptions incessantes qui sont autant de coupures et de fractures dans un texte.

Harry Quebert porte un regard inattendu sur des étapes cruciales de la construction d’une œuvre. Une forme d’enseignement qui consisterait à délivrer des idées en germes afin qu’elles prolifèrent d’elles-mêmes au fil des jours dans l’esprit de ceux qui créent. Il n’existe pas d’autre lien que ceux de la progression de l’œuvre elle-même inattendue, imprévisible.

Une belle ouverture d’un esprit à un autre, quand on sait à quel point des conseils peuvent se transformer en convictions, en règles et recettes à appliquer sans réflexion et contribuent ainsi à fermer les esprits et inciter à la paresse intellectuelle. Friedrich Nietzsche n’a-t-il pas écrit que « Les convictions sont des ennemis de la vérité plus dangereux que les mensonges. » Aucune idée novatrice ne peut naître et croitre dans un esprit étroit…

Evitons d’appliquer des conseils à la lettre : n’importe quels conseils, à n’importe quel moment. Le discernent se conjugue mal avec une application méthodique aveugle.

Le ton de confidence irrigué d’un sentiment d’amitié profond

Ce ton de confidence amplifie le rapprochement affectif avec le lecteur. Il apparait d’emblée touchant et séduisant. Point de voyeurisme dans une intimité délivrée au lecteur. Juste quelques secrets murmurés, des illuminations d’un écrivain aux prises avec les réalités de son existence. Des leçons de vie délivrées de manière paternelle à un fils spirituel afin de l’aider à vivre, à écrire et à devenir écrivain.

Il est bien connu que l’une des forces les plus vives en ce monde est celle de l’amour. La plus apaisante et accomplissant qui soit. C’est précisément l’objectif d’un écrivain de transmettre de tels sentiments… voir de vivre une histoire d’amour avec ses lecteurs.

C’est aussi ce que recherche un lecteur : ce point de convergence où l’on peut se sentir connecté à d’autres humains.

La loi des séries : la création d’une relation privilégiée avec ses lecteurs

L’écriture morcelée en fragments à suivre, sous forme d’une série, offre à chaque fois des rendez-vous avec ses lecteurs. Une bonne stratégie pour encourager à lire ce roman d’une belle longueur, 855 pages d’une intrigue passionnante.

Chaque conseil devient un moment de ressourcement pour le lecteur. Un peu comme un entraîneur de boxe dans un coin du ring qui épongerait la sueur de son lecteur ou panserait ses plaies. L’intensité de ce petit moment de complicité lui fournissant toute l’énergie et la rage de vaincre tout ce qui pourrait se dresser contre lui.

Voici comment ces conseils d’écriture deviennent des pépites…

deux hommes parlent sur un banc

Les conseils d’écriture de Harry Quebert à Marcus Goldman

Extraits du roman : La vérité sur l’affaire Harry Quebert de Joël Dicker

31

Dans les abîmes de la mémoire

« Le premier chapitre, Marcus, est essentiel. Si les lecteurs ne l’aiment pas, ils ne liront pas le reste de votre livre. Par quoi comptez-vous commencer le vôtre ?

—Je ne sais pas, Harry. Vous pensez qu’un jour j’y arriverai ?

— À quoi ?

— À écrire un livre.

— J’en suis certain. »

30

Le Formidable

« Votre chapitre 2 est très important, Marcus. Il doit être incisif, percutant.

— Comme quoi, Harry ?

— Comme à la boxe. Vous êtes droitier, mais en position de garde c’est toujours votre point gauche qui est en avant : le premier direct sonne votre adversaire, suivi d’un puissant crochet du droit qui l’assomme. C’est ce que devrait être votre chapitre 2 : une droite dans la mâchoire de vos lecteurs. »

29

Peut-on tomber amoureux d’une fille de quinze ans ?

« J’aimerais vous apprendre l’écriture. Marcus, non pas pour que vous sachiez écrire, mais pour que vous deveniez écrivain. Parce qu’écrire des livres, ce n’est pas rien : tout le monde sait écrire, mais tout le monde n’est pas écrivain.

— Et comment sait-on que l’on est écrivain, Harry ?

— Personne ne sait qu’il est écrivain. Ce sont les autres qui le disent. »

28

L’importance de savoir tomber

« Harry, s’il devait ne rester qu’une seule de toutes vos leçons, laquelle serait-ce ?

— Je vous retourne la question.

— Pour moi, ce serait l’importance de savoir tomber.

— Je suis bien d’accord avec vous. La vie est une longue chute, Marcus. Le plus important est de savoir tomber. »

27

Là où l’on avait planté des hortensias

« Harry, j’ai comme un doute sur ce que je suis en train d’écrire. Je ne sais pas si c’est bon. Si ça vaut la peine…

— Enfilez votre short, Marcus. Et allez courir.

— Maintenant ? Mais il pleut des cordes.

— Épargnez-moi vos jérémiades, petite mauviette. La pluie n’a jamais tué personne. Si vous n’avez pas le courage d’aller courir sous la pluie, vous n’aurez pas le courage d’écrire un livre.

— C’est encore un de vos fameux conseils ?

— Oui. Et celui-ci est un conseil qui s’applique à tous les personnages qui vivent en vous : l’homme, le boxeur et l’écrivain ; si un jour vous avez des doutes sur ce que vous êtes en train d’entreprendre, allez-y, courez. Courez jusqu’à en perdre la tête : vous sentirez naître en vous cette rage de vaincre. Vous savez, Marcus, moi aussi, je détestais la pluie avant…

— Qu’est-ce qui vous a fait changé d’avis ?

— Quelqu’un .

— Qui ?

—En route. Partez maintenant. Ne revenez que lorsque vous serez épuisé.

— Comment voulez-vous que j’apprenne si vous ne me racontez jamais rien ?

—Vous posez trop de questions, Marcus. Bonne course. »

26

Nola

« Si les écrivains sont des êtres fragiles, Marcus, c’est parce qu’ils peuvent connaitre deux sortes de peines sentimentales, soit deux fois plus que les être normaux : les chagrins d’amour et les chagrins de livre. Ecrire un livre, c’est comme aimer quelqu’un : ca peut devenir très douloureux. »

25

À propos de Nola

« Au fond Harry, comment devient-on écrivain ?

— En ne renonçant jamais. Vous savez, Marcus, la liberté, l’aspiration à la liberté est une guerre en soi. Nous vivons dans une société d’employés de bureau résignés, et il faut, pour sortir de ce mauvais pas, se battre à la fois contre soi-même et contre le monde entier. La liberté est un combat de chaque instant dont nous n’avons que peu conscience. Je ne me résignerai jamais. »

24

Souvenir de fête nationale

« Mettez-vous en position de garde, Marcus.

— En position de garde ?

— Oui. Allez-y ! Levez les poings, placez vos jambes, préparez-vous au combat. Que ressentez-vous ?

— Je… Je me sens prêt à tout.

— C’est bien. Vous voyez, écrire ou boxer, c’est tellement proche. On se met en position de garde, on décide de se lancer dans la bataille, on lève les poings et on se rue sur son adversaire. Un livre, c’est plus ou moins pareil. Un livre, c’est une bataille. »

23

Ceux qui l’avaient bien connue

« Et les personnages ? De qui vous inspirez-vous pour vos personnages ?

— De tout le monde. Un ami, la femme de ménage, l’employé au guichet de la banque. Mais attention : ce ne sont pas ces personnes elles-mêmes qui vous inspirent, ce sont leurs actions. Leur façon d’agir vous fait penser à ce que pourrait faire l’un des personnages de votre roman. Les écrivains qui disent qu’ils ne s’inspirent de personne mentent, mais ils ont bien raison de le faire ; ils s’épargnent ainsi quantité d’ennuis.

— Comment ça ?

— Le privilège des écrivains, Marcus, c’est que vous pouvez régler vos comptes avec vos semblables par l’intermédiaire de votre bouquin. La seule règle est de ne pas les citer nommément. Jamais de nom propre : c’est la porte ouverte aux procès et aux tourments. A combien en sommes-nous dans la liste ?

— 23

— Alors ce sera le 23e, Marcus : n’écrivez que des fictions. Le reste ne vous attirera que des ennuis. »

22

Enquête de police

« Harry, comment être sûr d’avoir toujours la force d’écrire des livres ?

— Certains l’ont, d’autres pas. Vous, vous l’aurez, Marcus. Je sais que vous l’aurez.

— Comment pouvez-vous en être aussi certain ?

— Parce que c’est en vous. Un peu comme une maladie. Car c’est la maladie des écrivains, Marcus, ce n’est pas de ne plus pouvoir écrire : c’est de ne plus vouloir écrire mais d’être incapable de s’en empêcher. »

21.

De la difficulté de l’amour

« Marcus, savez-vous quel est le seul moyen de mesurer combien vous aimez quelqu’un ?

— Non

— C’est de le perdre. »

20

Le jour de la garden-party

« Harry, est-ce qu’il y a un ordre à tout ce que vous me raconter ?

— Oui, absolument…

— Lequel ?

— Eh bien, maintenant que vous posez la question… Peut-être qu’il n’y en a pas en fait.

— Harry ! C’est important ! Je ne vais pas y arriver si vous ne m’aidez pas !

— Allons, peu importe mon ordre. C’est le vôtre qui compte au final. Alors à combien sommes-nous, là ? 19 ?

— Au 20.

— Alors 20 : la victoire est en vous, Marcus. Il vous suffit de bien vouloir la laisser sortir. »

19

L’affaire Harry Quebert

« Les écrivains qui passent leur nuit à écrire, sont malades de caféine et fument des cigarettes roulées, sont un mythe, Marcus. Vous devez être discipliné, exactement comme pour les entraînements de boxe. Il y a des horaires à respecter : gardez le rythme, soyez tenace et respectez un ordre impeccable dans vos affaires. Ce sont ces trois Cerbères qui vous protègent du pire ennemi des écrivains.

— Qui est cet ennemi ?

— Le délai. Savez vous ce que signifie un délai ?

— Ça veut dire que votre cervelle, qui est capricieuse par essence, doit produire en un laps de temps délimité par un autre. Exactement comme si vous êtes un livreur et que votre patron exige de vous que vous soyez à tel endroit à telle heure très précise : vous devez vous débrouiller, et peu importe qu’il y ait du traffic ou que vous soyez victime d’une crevaison. Vous ne pouvez pas être en retard, sinon vous êtes foutu. C’est exactement la même chose avec les délais que vous imposera votre éditeur. Votre éditeur, c’est à la fois votre femme et votre patron : sans lui vous n’êtes rien, mais vous ne pouvez pas vous empêcher de le haïr. Surtout, respectez les délais, Marcus. Mais si  vous pouvez vous payer ce luxe, jouez avec. C’est tellement plus amusant. »

18

Martha’s Vineyard

« Dans notre société, Marcus, les hommes que l’on admire sont ceux qui bâtissent des ponts, des gratte-ciel et des empires. Mais en réalité, les plus fiers et les plus admirables sont ceux qui arrivent à bâtir l’amour. Car il n’est pas de plus grande et de plus difficile entreprise. »

17

Tentative de fuite

« Vous devez préparer vos textes comme on prépare un match de boxe, Marcus : les jours qui précèdent le combat, il convient de ne s’entraîner qu’à soixante-dix pour cent de son maximum pour laisser bouillonner et monter en soi cette rage qu’on ne laissera exploser que le soir du match.

— Qu’est-ce que cela veut dire ?

— Que lorsque vous avez une idée, au lieu d’en faire immédiatement l’une de vos illisibles nouvelles que vous publiez ensuite en première page de la revue que vous dirigez, vous devez la garder au fond de vous pour lui permettre de mûrir. Vous devez l’empêcher de sortir, vous devez la laisser grandir en vous jusqu’à ce que vous sentiez que c’est le moment. Ceci sera le numéro… À combien en sommes-nous ?

— À 18.

— Non, nous en sommes à 17.

— Pourquoi me demandez-vous, si vous le savez ?

— Pour voir si vous suivez… Faire des idées…

— … des illuminations. »

16

Les origines du mal

« Harry, combien de temps faut-il pour écrire un livre ?

— Ça dépend.

— Ça dépend de quoi ?

— De tout. »

15

Avant la tempête

« Qu’est-ce que vous en pensez ?

— C’est pas mal. Mais je crois que vous accordez trop d’importance aux mots.

— Les mots ? Mais c’est important quand on écrit, non ?

— Oui et non. Le sens du mot est plus important que le mot lui-même.

— Que voulez-vous dire ?

— Eh bien, un mot est un mot et les mots sont à tout le monde. Il vous suffit d’ouvrir un dictionnaire, d’en choisir un. C’est à ce moment-là que ça devient intéressant : serez-vous capable de donner à ce mot un sens bien particulier ?

— Comme ça ?

— Prenez un mot, et répétez-le dans un de vos livres à tout bout de champ. Choisissons un mot au hasard : mouette. Les gens se mettront à dire, en parlant de vous : « Tu sais bien, Goldman, c’est le type qui parle aux mouettes. » Et puis, il y aura ce moment où, en voyant des mouettes, ces mêmes gens se mettront soudain à penser à vous. Ils regarderont ces petits oiseaux piailleurs et ils se diront : « Je me demande ce que Goldman peut bien leur trouver. » Puis, ils assimileront bientôt mouettes et Goldman. Et chaque fois qu’ils verront des mouettes, ils penseront à votre livre et à toute votre œuvre. Ils ne percevront plus ces oiseaux de la même façon. C’est à ce moment-là seulement que vous savez que vous êtes en train d’écrire quelque chose. Les mots sont à tout le monde, jusqu’à ce que vous soyez capable de vous les approprier. Voilà ce qui définit un écrivain. Et vous verrez, Marcus, certains voudront vous faire croire que le livre est un rapport aux mots, mais c’est faux : il s’agit en fait d’un rapport aux gens ».

14

Un fameux 30 août 1975

« Vous voyez, Marcus, notre société a été conçue de telle façon qu’il faut sans cesse choisir entre raison et passion. La raison n’a jamais servi personne et la passion est souvent destructrice. J’aurais bien de la peine à vous aider.

— Pourquoi me dites-vous ça, Harry ?

— Comme ça. La vie est une arnaque.

— Vous allez finir vos frites ?

— Non, servez-vous si le cœur vous en dit.

— Merci, Harry.

— Ça ne vous intéresse vraiment pas ce que je vous raconte ?

— Si beaucoup. Je vous écoute attentivement. Numéro 14 : la vie est une arnaque.

— Mon Dieu. Marcus, vous n’avez rien compris. J’ai parfois l’impression de converser avec un débile. »

13

La tempête

« Le danger des livres, mon cher Marcus, c’est que parfois, vous pouvez en perdre le contrôle. Publier, cela signifie que ce que vous avez écrit si solitairement vous échappe soudain des mains et s’en va disparaître dans l’espace public. C’est un moment de grand danger : vous devez garder la maîtrise des situations en tout temps. Perdre le contrôle de son propre livre, c’est une catastrophe. »

12

Celui qui peignait des tableaux

« Apprenez à aimer vos échecs, Marcus, car ce sont eux qui vous bâtiront. Ce sont vos échecs qui donneront toute leur saveur à vos victoires. »

11

En attendant Nola

« Frappez ce sac, Marcus. Frappez-le comme si toute votre vie en dépendait. Vous devez boxer comme vous écrivez et écrire comme vous boxez : vous devez donner tout ce que vous avez en vous parce que chaque match, comme chaque livre, est peut-être le dernier. »

10

A la recherche d’une fille de quinze ans

« Harry, comment transmettre des émotions que l’on n’a pas vécues ?

— C’est justement votre travail d’écrivain. Ecrire, cela signifie que vous êtes capable de ressentir plus fort que les autres et de transmettre ensuite. Ecrire, c’est permettre à vos lecteurs de voir ce que parfois ils ne peuvent voir. Si seuls les orphelins racontaient des histoires d’orphelins, on aurait de la peine à s’en sortir. Cela signifierait que vous ne pouvez pas parler de mère, de père, de chien ou de pilote d’avion, ni de révolution russe, parce que vous n’êtes ni une mère, ni un père, ni un chien, ni un pilote d’avion et que vous n’avez pas connu la révolution russe. Vous n’êtes que Marcus Goldman. Et si chaque écrivain ne devait se limiter qu’à lui-même, la littérature serait d’une tristesse épouvantable et perdrait tout son sens. On a le droit de parler de tout, Marcus, de tout ce qui nous touche. Et il n’y a personne qui puisse nous juger pour cela. Nous sommes écrivains parce nous faisons différemment une chose que tout le monde autour de nous sait faire : écrire. C’est là que réside toute la subtilité. »

9

Une Monté Carlo noire

« Les mots c’est bien, Marcus. Mais n’écrivez pas pour qu’on vous lise : écrivez pour être entendu. »

8

Le corbeau

« Qui ose, gagne, Marcus. Pensez à cette devise à chaque fois que vous êtes face à un choix difficile. Qui ose, gagne. »

7

Après Nola

« Chérissez l’amour, Marcus. Faites-en votre plus belle conquête, votre seule ambition. Après les hommes, il y aura d’autres hommes. Après les livres, il y aura d’autres livres. Après la gloire, il y a d’autres gloires. Après l’argent, il y a encore de l’argent. Mais après l’amour, Marcus, après l’amour, il n’y a que le sel des larmes. »

6

Le principe Barnaski

« Vous voyez, Marcus, les mots c’est bien, mais parfois ils sont vains et ne suffisent plus. Il arrive un moment où certaines personnes ne veulent pas vous entendre.

— Que convient-il de faire alors ?

— Attrapez-les par le col et appuyez votre coude sur leur gorge. Très fort.

— Pourquoi ?

— Pour les étrangler. Quand les mots ne peuvent plus rien, allez distribuer quelques coups de poing. »

5

La fillette qui avait ému l’Amérique

« Un nouveau livre, Marcus, c’est une nouvelle vie qui commence. C’est aussi un moment de grand altruisme : vous offrez, à qui veut bien le découvrir une partie de vie. Certains adoreront, d’autres détesteront. Certains feront de vous une vedette, d’autres vous mépriseront. Certains seront jaloux, d’autres intéressés. Ce n’est pas pour vous que vous écrivez, Marcus. Mais pour tout ceux qui, dans leur quotidien, auront passé un bon moment grâce à Marcus Goldman. Vous me direz que ce n’et pas grand-chose, et pourtant, c’est déjà pas mal. Certains écrivains veulent changer la face du monde. Mais qui peut vraiment changer la face du monde ? »

4

Sweet home Alabama

Lorsque vous arriverez en fin de livre, Marcus, offrez à votre lecteur un rebondissement de dernière minute.

— Pourquoi ?

— Pourquoi ? Mais parce qu’il faut garder le lecteur en haleine jusqu’au bout. C’est comme quand vous jouez aux cartes : vous devez garder quelques atouts pour la fin.»

3

Election Day

« Votre vie sera ponctuée de grands événements. Mentionnez-les dans vos livres, Marcus. Car s’ils devaient s’avérer très mauvais, ils auront au moins le mérite de consigner quelques pages d’histoires. »

2

Fin de partie

« Parfois le découragement vous gagnera, Marcus. C’est normal. Je vous disais qu’écrire c’est comme boxer, mais c’est aussi comme courir. C’est pour ça que je vous envoie tout le temps battre le pavé : si vous avez la force morale d’accomplir les longues courses, sous la pluie, dans le froid, si vous avez la force de continuer jusqu’au bout, d’y mettre toutes vos forces, tout votre cœur, et d’arriver à votre but, alors vous serez capable d’écrire. Ne laissez jamais la fatigue ni la peur vous empêcher. Au contraire, utilisez-les pour avancer. »

1

La vérité sur l’affaire Harry Quebert

« Le dernier chapitre d’un livre, Marcus, doit toujours être le plus beau. »


La vérité sur l’Affaire Harry Quebert – Prix Goncourt des lycéens 2012 et Grand Prix du Roman de l’Académie française 2012

> Extraits de la  série sur TF1

https://www.tf1.fr/tf1/la-verite-sur-l-affaire-harry-quebert