Apprendre & Pratiquer le métier d'écrivain

The Irishman, le tueur qui avait la confiance de Jimmy Hoffa

The Irishman, écrit par Charles Brandt, avocat de Frank Sheeran, relate les confessions de cet ancien tueur au service de la Mafia. Il a tué Jimmy Hoffa, l’un des chefs de la pègre américaine. Numéro un de la liste des best-sellers du New York Times, son livre J’ai tué Jimmy Hoffa a été adapté en film par le maître du genre, Martin Scorsese, sous le titre The Irishman.

À quel moment devient-on un tueur ? Que faut-il endurer pour être amené à loger sans frémir une balle dans le crâne d’une personne ? Être soi-même rescapé d’une mort qui a rodé autour de vous durant d’interminables nuits ? Le roman The Irishman répond en partie à ces questions troublantes à travers l’histoire d’un homme comptant plus de cadavres derrière lui qu’une conscience ne peut en supporter…

Comment un dur de dur est devenu le diable

De l’amitié à la mort

The Irishman est un livre écrit avec un flingue. On le doit à Charles Brandt, qui fut l’avocat de Frank Sheeran, un des tueurs les plus redoutés des « familles » américaines qui s’occupaient de divers business dont le socle était le syndicat des camionneurs façonné par le tempétueux Jimmy Hoffa. C’est une histoire où l’amitié finit par entraîner la mort. Ça raconte peut-être quelque chose d’une Amérique qui n’existe plus, en tout cas pas comme ça. Celle où un type cassait la gueule à un kangourou, imaginez-vous ça. Rien que pour ce passage, ce livre vaut d’être acheté, c’est vraiment tordant.

L’assassinat de l’Amérique

Celle aussi où on assassinait un président ou celui en passe de le devenir. Ce n’est pas l’Amérique qu’on regrette, mais celle qui a marqué les consciences. Ce livre n’est pas parfait dans le sens où sa narration se révèle parfois bordélique. J’ai eu l’impression qu’il n’avait pas été correctement relu, qu’il y avait tant de choses à dévoiler, tellement de noms à citer, que l’intrigue s’évaporait dans quelques inutilités. Pourtant, il m’a tenu en haleine de la première à la dernière page. Pas par son style, somme toute classique. Mais par ce qu’il dit de ce qu’un homme peut être, avec ses travers inacceptables. Et par ce qui les explique sans les excuser.

Le plus loyal des salauds

Sheeran était un dur de dur et un parfait salaud, mais également un gars loyal. Son existence valait bien ce roman, tout effaceur de témoins ou de balances qu’il ait pu être. Ses valeurs étaient nourries de plomb. La violence qu’il avait accumulée au cours de sa jeunesse a rejailli sur toute sa vie. Il est devenu le rouage essentiel d’un système qui broyait les gens, après avoir fait la guerre et vu ses amis mourir. Certaines révélations de ce bouquin m’ont laissé sur les fesses. Moi qui suis pourtant assez curieux de l’Amérique, je ne me doutais pas que de telles choses aient pu avoir lieu. Qu’un homme comme ça ait vécu dans un tel enfer dont il s’est de temps à autre révélé le diable.

Vingt-cinq meurtres, ces morts qui font une vie

Le meurtre en peinture

Quand vous lirez ce livre, il se peut que vous ressentiez une petite pointe d’admiration pour cet Irlando-américain qui compte plus de vingt-cinq meurtres à son actif. Que vous le compreniez. Car c’est écrit de telle sorte qu’on veuille entrer dans son cerveau, qu’on essaie de saisir ses motivations. Il n’a pas refroidi des enfants de cœur, lui-même n’en étant pas un. C’était le mec à qui on disait : « Frank, va repeindre cette maison. ». Comprenez : va faire gicler le sang sur les murs. Alors il prenait son flingue et allait faire le sale boulot. Si ce roman n’était que ça, une suite d’exécutions sommaires, il n’aurait aucun intérêt. Il me semble que c’est avant tout un questionnement sur la nature humaine. Sur ce qui nous guide et nous amène à commettre des erreurs. Sur la source de nos regrets, même s’ils ne sont pas formulés clairement.

Le moteur intellectuel du tueur

Il est parfois difficile de faire la part des choses entre ceux qui sont capables du pire et les gens qui désiraient être meilleurs. Vingt-cinq morts en un quart de siècle, d’une certaine manière le compte est rond. Quand des doigts sont prolongés par un pistolet, la question se pose de savoir ce qui l’a placé là. Le cheminement intellectuel de Sheeran est passionnant car il traite de problèmes dépassant la vengeance tout en en faisant le moteur de sa vie, sans qu’elle le concerne directement. Il a tué pour satisfaire celle des autres, soit par rancœur, soit parce que les circonstances l’exigeaient.

Les choix amoraux

Ce parcours qui l’a entraîné si souvent à presser la gâchette nous livre la redoutable leçon d’un homme qui a cru bien agir en abattant son prochain. À lire absolument pour savoir où se niche la noirceur d’une âme tout en saisissant quelle lumière la baigne. Jimmy Hoffa a été l’une des figures les plus importantes de son époque, et si Sheeran a grandi dans son ombre, elle recouvrait toutes les confidences que le syndicaliste a faites au tueur à gages. The Irishman ne parle donc pas uniquement de comptes qu’il faut régler ou de luttes de pouvoir, bien que le roman tourne autour de ces enjeux. Il dépeint ce que sont les existences d’hommes ayant à faire les plus durs des choix sans que la morale ait son mot à y dire.

Quand un flingueur se faufile sous le déluge

Les gouttes d’acier

Le langage coloré de Sheeran donne une note décontractée à ses actes les plus répréhensibles, ce en quoi il peut apparaître sympathique. Le fait qu’il ait vécu jusqu’à un âge assez avancé, compte tenu du milieu où il évoluait, est une anomalie. La logique aurait voulu qu’il finisse avec plus de plomb dans le crâne qu’il n’en aurait souhaité sur un trottoir de Philadelphie ou à la sortie d’un bar de Brooklyn, mais ça n’a pas été le cas. Il est passé entre les gouttes. De très grosses gouttes d’acier, parfois. Dans ce bouquin, il n’est ni glorifié ni jugé comme le plus blâmable des hommes.

Un colosse dans un scanner

Véritable force de la nature, être détestable par bien des aspects et respectable par quelques autres, c’est le personnage de roman par excellence. Le genre de personne dont on n’aurait pas aimé croisé son chemin s’il avait un grief contre vous. Et à côté de ça, s’il était dans votre camp, on ne pouvait rêver meilleure assurance-vie. Sheeran est un symbole de ceux qui fascinent par la possibilité qu’ils se sont octroyée de choisir qui doit vivre ou mourir. Au-delà de l’Histoire qui a vu naître l’Irlandais et se décupler ses forces, s’affermir sa poigne sur un univers où il fallait être sans pitié pour s’imposer, c’est le passage au scanner d’une société que propose ce roman.

Le bras armé du cancer

On y observe ses fibromes dont chaque tissu est corrompu, sans rémission possible. On a dû dire des millions de fois de la mafia – plutôt appelée la pègre, ici – qu’elle était le cancer du monde. À sa façon, Sheeran en a représenté l’une des métastases les plus virulentes. Ce livre démontre quelle place on peut occuper à condition d’avoir un chargeur plein et la capacité de dégainer rapidement. Il n’y a évidemment aucune règle de vie à en retirer, sauf de considérer qu’il vaut mieux y réfléchir à deux fois avant de divulguer une information qui pourrait se révéler embarrassante pour des caïds susceptibles, ou de contrarier quelqu’un possédant un calibre et sachant s’en servir.

La grandeur qui mesure les hommes

Un destin fait de tueries

Parvenu au bout de ma réflexion quant à ce que Sheeran incarne de tous les maux dont le monde nous accable, je me suis dit la chose suivante : il a tué pour vivre, comme autrefois les néanderthaliens sortaient de leur grotte pour chasser, si jamais cette image d’Epinal possède le moindre fond de vérité. Lire The Irishman, c’est suivre à la trace un homme brutal qui s’est posé beaucoup de questions en y apportant des réponses proportionnées à sa nature belliqueuse. Entre deux bitures, il s’interrogeait avec une certaine finesse d’esprit sur ce qui régentait son destin fait de tueries.

La vérité qui rétrécit l’Histoire

Charles Brandt a passé des années au contact de Sheeran, et on peut dire qu’il a été un brillant confesseur. Tout ce qu’il raconte dans son bouquin est vrai, vérifié par différentes sources, ce qui en fait un objet littéraire qui donne le tournis lorsqu’on songe à quels événements majeurs le tueur a été impliqué. Sheeran n’était pas qu’un homme qui dessoudait à tout-va : il possédait l’intelligence de ceux qui survivent quand beaucoup vous espèrent mort.  Brandt n’a eu de cesse de traquer la vérité, celle qui donne toute sa grandeur à l’Histoire, mais qui ne grandit pas ceux qui l’ont faite…

En savoir plus sur The Irishman

La bande annonce du film : The Irishman Avec Robert De Niro, Al Pacino, Joe Pesci, Harvey Keitel

Une critique du film Irishman par Dirty Tommy

Le livre The Irishman

Les confessions d’un ancien tueur au service de la mafia, adaptées au cinéma par Martin Scorsese.

Charles Brandt a été procureur général du Delaware et avocat de Frank Sheeran au moment de son arrestation en 1975. Numéro un de la liste des best-sellers du New York Times, J’ai tué Jimmy Hoffa a été adapté en film par le maître du genre, Martin Scorses, et compte parmi les nouveautés Netflix les plus attendues de 2019.

Cet article peut vous intéresser