Apprendre & Pratiquer le métier d'écrivain

Se faire éditer

Se faire éditer

Depuis que je m’intéresse à la littérature, c’est-à-dire au moment où Johannes Gutenberg eut la curieuse envie d’avoir les doigts tachés d’encre, une question a toujours titillé les neurones de qui décidait prendre la plume : comment percer dans le milieu ? C’est un sujet qui revient régulièrement dans les rotatives, car les générations d’auteurs en herbe se renouvellent naturellement, et lorsqu’on débute dans le métier on est curieux d’en connaître les arcanes…

Du château en Espagne au château de sable

Se faire éditer, ou l’art d’être exemplaire(s)

L’exemple papier le plus récent dont je dispose est le guide hors-série du magazine Lire de juin-juillet 2021 dont le titre annonce on ne peut plus clairement la couleur : Écrire & se faire éditer. Nous allons voir comment se frayer un chemin jusqu’au Graal – ou pas. Eh oui, en cette période où la campagne présidentielle ne va pas tarder à battre son plein (le pauvre), l’expression beaucoup d’appelés peu d’élus trouve ici tout son sens… Pour commencer, quelques infos en vrac piochées dans Lire et sur le Net : les ventes d’un premier roman oscillent en moyenne entre 500 et 800 exemplaires, qu’on passe par l’édition traditionnelle ou par l’auto-édition. Ça fait pas bézef !

Prière d’essuyer vos illusions sur le paillasson

Si vous comptiez vous acheter une villa à Ibiza avec les ventes d’un primo-roman, il est donc vivement conseillé de plutôt vous rabattre sur une paillotte à l’Île de Ré. Voire vous contenter dans un premier temps de l’achat d’un paillasson « Bienvenue dans ma cahute » destiné à ce que vos invités se secouent les espadrilles avant d’entrer dans votre très petit chez-vous. Il faut savoir que l’immense majorité des auteurs débutants devront se contenter de revenus des ventes de leur livre tutoyant à peine le smic.

Se donner les moyens d’être au-dessus de la moyenne

Pas de quoi, dans un premier temps, se construire des châteaux autres que de sable. Ce n’est certes pas une raison pour baisser les bras. D’abord parce que ce n’est pas très pratique pour écrire, ensuite et surtout parce qu’il ne s’agit que d’une moyenne. Alors rien n’empêche de penser que votre œuvre publiée pourrait s’écouler en rajoutant un zéro à cette estimation. À 5000 ou 8000 exemplaires vendus, on bascule dans une autre dimension. Celle où des éditeurs commencent à observer ce que vous faites avec intérêt(s)…

La littérature et ses millions

Ne pas faire les choses à moitié

Je ne parle même pas des auteurs qui décrochent le jackpot dès leur entrée dans le monde littéraire. Ces rares « locomotives » faussent d’ailleurs mathématiquement les moyennes en question. Vous pouvez donc ranger ce tabouret et cette corde que je viens de vous voir sortir de votre placard après la lecture de mon premier paragraphe. À présent que je viens de vous remonter le moral, je vais m’empresser de vous le plomber en quelques lignes, l’ascenseur émotionnel étant excellent pour la circulation sanguine et le rythme cardiaque, ne me remerciez pas pour ce choc salutaire : selon le site Slate, « Plus de la moitié de la population française aimerait se tourner vers l’écriture. Pourtant, le livre est un produit en déclin et son marché, ultra-concurrentiel. »

Ils sont nombreux, mais pas tous valeureux

Je ne sais pas vous, mais la moitié de la population française, il me semble que ça faitp quelques millions de personnes désirant nous piquer la place qu’on ne s’est pas encore faite. Autant dire que ça n’incite pas à un optimisme débridé quant à la niche étroite qu’on pourrait se ménager dans le paysage éditorial. Mais pour de nouveau rouvrir les portes de l’ascenseur émotionnel sur des perspectives de septième ciel littéraire, il vous faut comprendre qu’énormément de ces pseudo-aspirants écrivains caleront au bout de trois paragraphes ou de deux chapitres parce qu’écrire exige beaucoup plus d’efforts qu’une toquade est capable d’en supporter.

Il faut être un peu marteau pour s’extraire de la masse

Alors dormez tranquilles, les courageux de la plume : seuls les vrais, les surmotivés, les plus marteaux de travail aussi, s’extirperont de cette masse velléitaire. J’espère donc pour vous que vous faites partie des gens décidés à vous coucher très tard ou à vous lever très tôt si le besoin s’en fait ressentir afin de boucler un passage qui sans coup férir en amènera un autre. Et que vous avez déjà envisagé les sacrifices plus ou moins grands nécessaires à l’élaboration d’une histoire pour qu’elle corresponde à ce que vous vous étiez promis d’en faire au départ. C’est-à-dire sans céder à la facilité dès l’apparition des premières difficultés (et soyez sûr que vous en rencontrerez au fil de votre narration).

L’effort paie, l’écrivain encaisse

Le baudet et le pur-sang

Écrire un bon texte n’est véritablement très dur que si on manque de la volonté et de l’ambition d’aligner les phrases les meilleures dont nous sommes capables. C’est parfois éprouvant, mais loin d’être impossible. Vous l’aurez compris, en littérature comme en tout, je prône la notion de mérite. Les intentions sans lendemain, le découragement au moindre paragraphe compliqué à négocier, l’absence d’efforts pour améliorer son écriture ne feront jamais d’un âne un cheval de course. Pour être clair, à de très rares exceptions, on ne se fait pas éditer en criant hi-han. Et c’est une tête de mule qui vous le dit.

Cette épuisante inspiration

Voyez, il est près de minuit et j’effectue après une assez longue journée des recherches pour donner un peu plus de chair à cet article. Oh, pas de quoi m’épingler la Légion d’honneur au revers du pyjama, hein, je fais juste mon taf. Comme, lorsque j’écris pour moi, je ne regarde pas ma montre (encore faudrait-il que j’en possède une) en me disant : « Ah tiens, il est 17h00, j’arrête ! ». L’acte d’écrire ne se conçoit pas ainsi, en tout cas pas de mon point de vue. Tant que l’inspiration rôde dans le secteur, on se doit d’honorer sa présence Bien sûr, quand la fatigue finit par l’emporter, il nous incombe de déclarer forfait pour se ressourcer mentalement et repartir de plus belle le lendemain.

La frustration de l’oubli

En derniers recours, quand l’heure d’aller me mettre dans les draps ne peut plus être repoussée, je note rapidement les idées sur lesquelles je pourrais rebondir dès le matin suivant, afin de limiter au maximum la déperdition. C’est, quand on souhaite se faire éditer, une manière comme une autre de mettre toutes les chances de son côté : s’assurer qu’il y ait le moins de matière effacée de notre esprit. Car on ne remplace pas un passage définitivement oublié par un autre. On n’en retrouve jamais ce qui en faisait la spécificité. Malgré tous les souvenirs que l’on convoque on ne parvient pas à en restituer la saveur. Et c’est très frustrant.

Idées et erreurs

On n’est jamais très loin d’avoir une excellent idée

J’ai un point de désaccord avec Stephen King à ce sujet, ce qui le privera à tous coups de sommeil s’il l’apprend et le plongera dans un état dépressif qui précipitera la fin de sa carrière. Euh, Steven, je plaisante, hein ? Toujours est-il qu’il a écrit un jour que si l’on oubliait une idée, c’est qu’elle ne valait pas le coup d’être exploitée. Une sorte de sélection naturelle de notre inspiration. Eh bien, je ne suis pas tout à fait de cet avis. Je pense qu’on puisse avoir l’idée du siècle et de passer à côté en raison du simple fait d’avoir été distrait par ces parasitages neuronaux que nous impose notre existence. Tenez, dans ma jeunesse, j’ai été à deux doigts d’inventer l’équivalent de Facebook et ça m’est sorti de l’esprit. Je n’ai pas trop suivi l’affaire, mais il me semble qu’un Américain en a repris le principe avec un certain succès.

Ne soyez pas une source de migraine pour les éditeurs

Qu’attend un éditeur de notre part ? Un travail abouti. Des passages sur lesquels il n’aura pas à se prendre la tête parce qu’ils sont mal écrits, nébuleux, souffrent d’une orthographe défaillante ou sont d’une platitude exaspérante. Certaines maisons d’édition – Gallimard, entre autres, pour ne pas la nommer – reçoit jusqu’à 50 manuscrits par jour. Cinquante. Même si je suppose qu’une telle institution a un staff de lecteurs professionnels, il faut bien se rendre compte combien cela représente de pages à évaluer. Alors il faut se faire à cette réalité : les écrits passables finiront dans ce qui doit représenter le plus gros budget d’une telle maison : celui des corbeilles à papier.

Respectez les codes éditoriaux

Les erreurs à ne pas commettre pour éviter de se faire blackbouler de chez un éditeur sont connues, mais l’une des pires est peut-être d’ignorer le contenu de son catalogue. Envoyer un récit sentimental à une maison spécialisée dans le gore, et inversement, vous condamnera d’emblée à sombrer immédiatement dans ses oubliettes. Expédier un recueil de nouvelles à un éditeur ne publiant que des romans, et là encore inversement, aboutira au même résultat. J’ai volontairement forcé le trait, une fois de plus, pour qu’une évidence ne devienne pas un handicap au moment où votre tapuscrit entamera sa course folle vers les maisons d’édition. Ne pas tenir compte de leurs souhaits en matière de présentation de votre texte sera également rédhibitoire.

L’acceptation du refus

Évitez la casse moteur

Toujours sur Slate, on peut prendre conscience de ceci : « Le manque de réponse vient toucher directement à notre narcissisme, analyse Caroline Bernard, psychologue à Paris. Cela nous renvoie à un vide abyssal, réveille cette angoisse profonde qui nous hante sous la forme d’un “on ne veut pas de moi”. Pas simple en ce cas de se voir opposer une fin de non-recevoir. Les dégâts moraux peuvent être tels qu’on renonce à jamais à l’écriture. Notre ego, qui est l’un de nos plus puissants moteurs, peut se révéler en manque d’huile et faire un serrage irréversible.

Un parchemin dans une enveloppe

Aussi doit-on penser à se protéger, à ne pas mettre notre équilibre intellectuel en danger pour n’avoir pas été immédiatement accepté dans un monde où nous pensions être légitimes au regard de critères auxquels nous estimions répondre. Tout en visant le succès, il faut se préparer à l’échec. Je n’ai pas de chiffres quant aux auteurs débutants qui bien qu’étant réellement doués ont fini par renoncer, lassés de décacheter des enveloppes ne contenant pas la bonne nouvelle attendue. Mais comme le dit si bien ce fameux proverbe que je viens d’inventer à l’instant : « Sans persévérance, le talent n’a aucune chance ». Vous pouvez le recopier sur un parchemin et l’accrocher au-dessus de votre cheminée pour vous stimuler. À défaut de cheminée, un radiateur fera l’affaire.

L’utopie comme une étape

Je ne blague qu’à moitié en vous conseillant de cultiver un discours positif quant à l’idée de se faire éditer. En premier lieu, ça vous donnera une bonne énergie qui rejaillira dans votre écriture. Cela ne remplacera certes pas l’acquisition indispensable de l’essentiel des techniques littéraires, mais sentir de l’enthousiasme dans un texte, quel que soit le sujet dont il traite, est un plus indéniable. Je pense qu’augmenter ses chances de se faire éditer tient pour une part à un certain état d’esprit. À une foi inébranlable dans le fait que ce soit de l’ordre du réalisable, pas une utopie. Et pour finir sur un autre fameux proverbe fraîchement sorti de mon cerveau : « L’utopie, c’est l’étape qui précède un objectif qu’on ne pensait pas atteindre et qu’on a dépassé ». Je suis sûr qu’en y réfléchissant longuement, cette phrase doit avoir du sens, si ça se trouve…

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