Apprendre & Pratiquer le métier d'écrivain

L’écriture expressive

Quand on pense à écrire pour guérir, on peut aller plus loin que le journal de bord complété avec notre coach de vie. Il est plutôt question de laisser surgir ce qu’on enfoui, ce qu’on peine à affronter.

Seconde partie

Se soigner grâce à l’écriture expressive implique de restaurer la connaissance que l’on a de nous-même, car une expérience pénible peut redéfinir négativement notre estime de soi. Au point de remettre en cause ce que nous projetions de faire de notre existence. Quand un épisode traumatique ou une situation mal vécue nous renvoie une image dépréciée de notre véritable personnalité, il faut lui redonner son éclat d’origine terni par les ombres du passé. Et pour cela, s’armer de la lumière contenue dans les mots…

Savoir qui l’on est de manière apaisée

Le poids d’un traumatisme sur un projet de vie

La compréhension d’un traumatisme ou d’un problème important ne résout pas forcément toutes les conséquences qu’il a sur nous au quotidien. Cependant, la volonté de l’exprimer par écrit nous fournit l’occasion d’y réfléchir plus posément. Si on le considère comme un phénomène n’ayant pas connu de conclusion, ou du moins rien qui satisfasse notre besoin de boucler la boucle, il demeure à l’état de tâche inachevée. Cela génère bien plus que la frustration de ne pas être parvenu à y mettre un point final, pour la simple raison que cette absence de finitude, en ne nous laissant pas l’esprit en paix, nous empêche de passer à autre chose. Comme l’expliquent Pennebaker et Smyth, « […] un traumatisme, c’est d’abord ce qui entrave un projet de vie. ».

Ne pas rebâtir sur des sables mouvants

L’écriture expressive permet dans un premier temps de réorganiser ses idées. Si l’on veut traiter d’une situation nous affectant en cantonnant notre réflexion à un stade non verbalisé, le cours de nos pensées ne trouvera pas de point d’ancrage suffisamment stable pour les agencer de façon optimale. La déperdition créée par notre incapacité à les retenir leur retire de leur efficacité. Songez que si vos pensées étaient des feuilles volantes, il ne vous viendrait pas en tête de les réunir et les classer au beau milieu d’une pièce parcourue d’incessants courants d’air. C’est pourtant ce que l’on fait quand nos pistes d’introspection ne sont pas fixées de façon à être examinées au calme. On ne se reconstruit pas de manière viable sur les sables mouvants que sont les émotions qui nous submergent.

Les clefs de la mémoire

Il est important de pouvoir à loisir revenir sur des points précis de notre réflexion afin que cette dernière parvienne à maturation. De les écrire pour mieux se les approprier. On connaît tous ce sentiment agaçant d’avoir laissé échapper une pensée qui pourtant occupait notre cerveau la seconde d’avant. On a beau se concentrer, pas moyen de remettre le doigt dessus. Au contraire même, plus on tente de s’en rappeler, plus elle paraît s’éloigner. Ne plus savoir où se trouve nos clefs de voiture au moment de sortir de chez nous est un exemple classique parmi bien d’autres de ce genre de « perte de mémoire ». Mais pourquoi ça n’arrive qu’à moi ? se dit-on comme des millions de gens en pareil cas. Vous le saurez dès que j’aurai remis la main sur mon trousseau.

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Lutter contre la perte de nos repères

La logique désorientée

Persuadés d’avoir posé nos clefs à un endroit où elles ne se trouvent pourtant pas, nous sommes mentalement désorientés par ce qui s’apparente à une rupture de logique, car, de toute évidence, elles devraient y être. Eh bien non. Si à partir de l’instant où nous les avions eues en main nous avions noté chacun de nos faits et gestes jusqu’à ce que nous soyons devant la portière de notre véhicule, ça ne serait pas arrivé. Nous relire aurait suffi à dénicher l’emplacement inhabituel où, l’esprit parasité par une autre pensée, on les avait laissées. « Ah ben tiens, qu’est-ce qu’elles font dans le tiroir du buffet, je ne les range jamais là ? » est le genre de réaction qu’on a lorsqu’on les retrouve. Mais, comme chacun le sait, il ne faut jamais dire « jamais ».

Réaffirmer qui l’on est

Bien sûr, cela deviendrait vite infernal de devoir procéder de la sorte pour remédier à tous ces petits oublis quotidiens, mais encore heureux, passé un moment de flottement, l’objet de notre quête réapparaît comme par magie à un endroit où il n’était pas censé être. Dans le cas d’un désagrément autrement plus grave que la « disparition » momentanée d’un jeu de clefs, le puzzle mémoriel est parfois si dispersé, voire détérioré, qu’un tout cohérent ne peut être reconstitué sans l’aide de traces écrites. On doit alors recourir à des procédés éprouvés afin de réaffirmer qui l’on est et où l’on en est dans notre vie. Cela passe par la recherche d’éléments manquants qu’il nous faut ensuite intégrer à notre structure émotionnelle et cognitive.

L’espace-temps de notre mémoire

Accomplir une association d’idées exige parfois un effort bien supérieur à celui consistant à se remémorer un parcours dans un espace et un temps réduits – le cas typique où l’on revient sur nos pas et en pensées dans chacune des pièces d’une maison pour y retrouver un objet. L’écriture expressive permet de couvrir de plus vastes étendues tant physiques que mentales. Si vous avez été victime il y a quinze ans d’une situation traumatisante s’étant déroulée à des centaines de kilomètres de l’endroit où vous vivez, il va de soi que vous ne rembobinerez pas toutes les étapes vous y reconnectant grâce à votre seule concentration. Mais au fait, est-ce si souhaitable que cela de s’en souvenir ?

Les amnésies coupables

La réparation du schéma mental par l’écrit

On pourrait estimer préférable que ces amnésies traumatiques – ou amnésies dissociatives –, durent à jamais. Quel besoin aurait-on en effet de revivre des moments douloureux ? Comme souligné la semaine dernière dans la première partie de cet article, réécrire une situation, ce n’est pas la revivre, mais la recréer. Cette recréation vise à réparer une altération de notre schéma mental créant en nous une incertitude. Cette même incertitude qui provoque l’anxiété liée à une tâche non achevée ; celle entravant notre projet de vie. Voilà pourquoi il est souhaitable de se souvenir d’instants ayant entraîné divers blocages : pour rétablir la continuité de notre identité. Dis-moi ce que tu as vécu, je te dirai comment tu peux vivre mieux.

Globalité et courte vue

Par ailleurs, comme on peut le lire dans l’ouvrage Écrire pour se soigner : « En d’autres termes, l’écriture expressive fait du bien pour deux raisons : premièrement, parce qu’elle permet de mieux comprendre une expérience bouleversante, et deuxièmement parce qu’elle permet de lever l’inhibition qui pesait dessus et d’en parler aux autres. ». On ne peut lutter en profondeur contre les répercussions négatives d’une expérience stressante qu’en les abordant dans leur globalité. C’est-à-dire en ne se contentant pas de les évacuer par le déni sans appréhender quelle cause a produit quel effet. Sans quoi, on est condamné à errer éternellement dans la satisfaction trompeuse des solutions à courte vue. Hélas, les illusions ne nous guérissent pas.

L’inversion des torts

Porter un regard lucide sur ce qui a provoqué des troubles psychologiques en nous est le premier pas menant à l’acte libérateur consistant à s’en ouvrir à autrui. Analyser ce qui nous a meurtri diminue substantiellement la culpabilisation pouvant consciemment ou pas s’y rattacher. Tout le monde ou presque sait que des personnes à qui on a infligé des sévices ont pour une part non négligeable d’entre elles tendance à se reprocher de les avoir subis, même si ce n’est pas explicitement formulé. Mais comment en arrive-t-on à se blâmer de la sorte ? Nous allons malheureusement voir que ça peut advenir avec une simplicité effrayante…

Le vide

Les brèches de la nature humaine

Cela s’explique par le fait que faute de pouvoir donner du sens à une mauvaise expérience dont elles ont été victimes, ces personnes essaient de l’inscrire dans quelque chose conservant un semblant de cohérence. Puisque rien ne justifie qu’elles aient été confrontées à la violence ou à un choc existentiel plutôt que quelqu’un d’autre, il leur faut colmater une brèche induite par ce hiatus affectant une pensée logique. On dit que la nature a horreur du vide, et, dans un prolongement évident, la nature humaine l’exècre.

Les béances du « Pourquoi moi ? »

Pour se substituer à une béance rationnelle prenant la forme d’une question – pourquoi moi et pas un autre ? – ces victimes préfèrent à tort s’accuser de ce qui leur est arrivé, et ce dans des proportions variables. Ça peut couvrir un spectre allant de « Peut-être l’ai-je un peu mérité ? » à « C’est entièrement ma faute ». Aussi ahurissant que cela puisse paraître, ces ressentis complètement déconnectés de la réalité des faits ayant causé un traumatisme sont plus fréquents qu’on aimerait le croire. Qui paye ses dettes s’enrichit, dit-on, mais penser être tenu de régler les factures des autres alourdit injustement notre ardoise.

Les failles du mécanisme

Une question sans réponse est donc un de ces vides tant honnis que redoutés, et les personnes ne réussissant pas à poser des mots sur leurs affres créent sans le vouloir un gouffre sémantique dans lequel leur statut de victime est englouti. D’où l’importance d’étudier attentivement un mécanisme intellectuel conduisant à des conclusions totalement erronées. Pour mieux le démonter avant de le reconstruire une fois débarrassé de ses dysfonctionnements. D’où, aussi, la primordialité d’écrire les phrases empêchant que des failles s’ouvrent sous les pieds de celles et ceux dont la démarche est encore vacillante…

La revanche du calamar lumineux

Histoire de ne pas broyer du calamar, ce céphalopode décapode secrétant une encre noirâtre (comment ça, j’ai fait mes courses chez Wikipédia ? Ah oui, tiens.), je vais tenter d’achever ce ravissant article avec une pointe de lumière au bout du tunnel. Que j’avais caché sous ma Manche ? Non, pas du tout. Cette lueur d’espoir passera par ces revanches radieuses que l’écriture expressive nous offre dans les moments où l’on a besoin qu’elle éclaire notre route. Ces précieux instants où les mots jaillissent dans notre esprit comme des chandelles romaines illuminant d’un éclat neuf les cavités d’un passé jusqu’alors enténébré…

Alors colorez votre vie, écrivez !