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Comment être drôle ? L’humour se construit…

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L’humour dans un texte, deuxième partie
On peine parfois à élaborer un bon mot, et force est de constater qu’il n’existe pas à proprement parler de méthode pour fabriquer de l’humour. Eh bien tant pis, si aucune usine du rire n’est à ce jour sortie de terre, je suis certain que chacun d’entre nous est capable de bricoler deux ou trois plaisanteries artisanales. Je veux bien vous prêter ma caisse à outils s’il vous en manque : de la pince-sans-rire au tournevis comica, vous devriez trouver votre bonheur…

> lire la première partie

Quand l’humour avance masqué

Une punchline née d’une comparaison fonctionne souvent très bien. Cela peut consister à amorcer une phrase par une image forte et valorisante qui s’impose immédiatement à votre lecteur pour mieux la tourner en dérision dans un second temps. Par exemple, une femme à son amant vantard : « Incroyablement puissant, oui, tu l’es, comme ces éléphants dont on finit par transformer l’ivoire en un pendentif ridicule. » La virilité sous-entendue ramenée à une babiole qui pendouille, voilà de quoi dégonfler le plus gros… des egos.

Louer une pseudo qualité afin de s’en moquer dans la foulée est aussi efficace : « Mon cher, tu es si peu avare de bons conseils que tu n’en gardes aucun pour toi. » Variante : « Ma chère, tu es dotée de ce genre de beauté rendant la jugeote superflue, ce qui dans ton cas tombe plutôt bien. » Selon que ces échanges reflètent une complicité basée sur le fait de se mettre plaisamment en boîte ou traduisent une relation tendue, on oscillera entre gentille taquinerie et raillerie féroce. À l’auteur de faire en sorte que le lecteur sache à quoi s’en tenir.

Dissimuler la finalité d’une phrase pour provoquer l’amusement s’apparente à la technique d’un prestidigitateur déviant l’attention dans le but de surprendre. En plus de la qualité d’un bon mot, le sourire naît aussi de l’inattendu. Il faut donc construire sa phrase avec l’intention d’y inclure un point de basculement à partir duquel on fera glisser l’esprit du lecteur. C’est parce qu’une comparaison ne s’articule pas d’ordinaire avec un second segment s’opposant à celui qui débute la phrase que cette construction inhabituelle suscite un effet comique.

 

Altération du mot, glissement du sens, confusion des définitions : l’humour, cet art du désordre

« Un chef-d’œuvre de la littérature n’est jamais qu’un dictionnaire en désordre. » Jean Cocteau (1)

Cette délicieuse formule de Cocteau s’applique à chaque composante d’une histoire et tout particulièrement à l’humour, qui jaillit parfois d’une bousculade sémantique. Il ne faut donc pas craindre de mettre votre lecteur chaos d’un bon crochet textuel que vous tricoterez un mot à l’endroit, un mot à l’envers, à la façon hilarante de Simon Leigh : « Quand j’étais petit, j’étais dyslexique, mais maintenant tout est KO. » (2). Difficile de faire montre de plus de concision drolatique que cette inversion de deux lettres retournant la phrase en un clin d’œil !

Je vous invite dès maintenant à vous livrer à ces facéties lexicales et autres blagues censées faire un tabac. Je vous en soumets quelques-unes de mon cru en espérant qu’elles stimuleront votre fantaisie :

« Ce qu’il est condescendant !
– Et encore vous n’avez rien vu, attendez qu’il remonte… »

Ici, l’astuce est facile : descendre et remonter les marches de la drôlerie avec la connerie en guise d’escalier.

« Il n’est personne ni nulle part, ni homme ni présent. »

Plus fort que le don d’ubiquité : une omniprésence reposant sur l’absence !

« En relisant un paragraphe écrit hier soir, j’ai découvert avec stupeur que madame Sel de Guérande avait tué monsieur Une douzaine d’œufs et compris que par étourderie j’avais confondu ma liste de personnages avec celle des courses. »

Quand une distraction devient distrayante.

 « Un homme s’est furieusement mis à aboyer en attendant le bus après être resté trop longtemps à l’arrêt. »

Bien qu’il ait du chien, ce jeu de mots ne va pas provoquer les meutes.

« Évasion à l’asile : un plombier devenu complètement siphonné après avoir fumé un joint a pris la fuite en plein exercice d’évacuation. » *

* L’astérisque du métier !

Vous aurez remarqué mon choix de rebondir sur mes propres plaisanteries : ce n’est pas innocent. Je tenais à souligner le pouvoir entraînant de l’humour pour attirer votre attention sur le fait qu’il pourrait rapidement contaminer des parties de votre texte que cela desservirait. Certains passages, messages, actions ou pensées verraient leur portée initiale réduite, affaiblie  – quand elle ne serait pas anéantie -, par l’envie irrépressible de placer un trait d’esprit.

Une envie non pas guidée parce qu’il servirait notre propos, mais simplement par le fait que nous en soyons satisfait. Un puzzle ne supporte pas une pièce sans rapport avec son motif, aussi belle et parfaite soit-elle. Alors notre bon mot – aussi tordant, brillant et que sais-je encore, soit-il -, rejoindra le fichier spécial « répliques/petites phrases/jeux de mots/traits d’esprit » évoqué dans la première partie de cet article. Et le jour voulu vous l’emploierez à bon escient, dans un paragraphe qui le mettra en valeur en même temps que votre trait d’esprit rehaussera à coup sûr ledit paragraphe.

 

Du sketch à l’apparition d’un nouveau personnage, ou l’humour parallèle

Bien sûr, tant qu’à officier dans l’absurde, autant vous conseiller de vous frotter les zygomatiques à l’ami Devos : en m’inspirant bien modestement de ce maître de la pirouette langagière et de la pensée nonsensique, j’ai imaginé une petite scène où le client d’un restaurant commanderait un plat ne figurant pas au menu. Il y est encore question d’un pachyderme. Là aussi, je vous propose d’en faire de même avec l’humoriste de votre choix pour coller au plus près de son style et repérer ses procédés afin, dans la mesure du possible, de vous les approprier.

De mon côté, j’avoue avoir eu l’embarras du choix en parcourant les étagères de mon bureau : de Pierre Dac à Jean Yanne en passant par Coluche, Pierre Desproges, Laurent Baffie ou Guy Bedos (3), il m’a fallu du temps avant que je me décide. Ce fut donc finalement Devos, et voici ce qu’il m’a inspiré :

«  Hier, au restaurant, j’ai consulté le menu sans trouver ce que je cherchais et m’en suis étonné auprès du serveur qui patientait :
– Vous ne servez plus de trompe d’éléphant cuite sur la braise ?
– Monsieur, les éléphants sont désormais des animaux protégés !
– Alors si je comprends bien… vous prenez leur défense ?
– Bien sûr que oui !
– Vous savez que c’est interdit, de prendre leurs défenses ?
– Mais je ne parlais pas d’ivoire !
– Ah, ça n’a rien à voir ?
– Rien, à moins que je me trompe, m’a-t-il répondu en me lançant un regard de braise ! »

 

En toute histoire l’humour s’invite

Évidemment, je l’ai présenté sous la forme d’un mini-sketch, et s’il n’est pas vraiment possible d’écrire un roman ainsi, c’est une parenthèse souriante qu’il est aisé d’insérer dans une histoire. Il peut s’agir d’un spectacle donné dans un endroit où deux personnages ont rendez-vous et servant de fond sonore à leur conversation, voire l’alimente. Ou d’un texte de scène anxieusement répété par un saltimbanque en présence de l’héroïne qu’il espère éblouir. D’un extrait passant à la radio et sur lequel l’attention d’un de vos protagonistes se porte, bref, de nombreuses situations se prêtent à caser les lignes de votre invention.

Cela apportera une petite touche originale à un chapitre ou/et marquera une rupture dans la narration, diluera un suspense, et pourquoi pas, permettra d’introduire un nouveau protagoniste dans votre récit en la personne de ce chansonnier d’arrière-plan finissant par occuper le devant de la scène. Rien n’est interdit en matière de rire, car il s’invite partout.

Nous allons finir sur quelques sourires, bien que l’actualité ne s’y prête guère – mais s’y prête-telle jamais ? C’est toutefois grâce à cette dernière que nous viennent des perles de la rue. En effet, la boutade, même quand elle nous monte au nez, ne fait jamais grève :

 « Les cheminots font une grève au-dessus de mes moyens de transport ! » (Un monsieur dans une épicerie qui cherchait des pièces dans son porte-monnaie, et bien que très énervé ne manquait pas d’humour).

« On est prêts à chercher du travail jusqu’à 64 ans ! » (Une banderole tenue par deux jeunes hommes dans une rue de Poitiers le lendemain des annonces du Premier ministre).

« À force de marcher dans Paris, je me suis sculpté un corps de grève » (formule d’une auditrice entendue à la radio).

Et comme on sait le défi que représente en ce moment pour beaucoup le fait de trouver une place dans les transports en commun, cette merveille d’humour absurde que l’on doit à Groucho Marx :

« Je vous céderais bien ma place, mais elle est occupée. »

Bon, s’il vous prend l’envie de la réutiliser dans une rame de métro bondée où des gens debout, tassés les uns contre les autres, se lancent des regards furibards, ne dites pas que c’est moi qui vous l’ai soufflée…

 

Sources de l’article et bonus

(1), (2) : Dictionnaire amoureux de l’humour – Jean-loup Chiflet, Éditions Plon.

(3) : un petit bonus, comme sur les DVD ! Une citation de chaque auteur de cette liste : avouez que ce serait dommage de s’en priver !

Laurent Baffie : « Offre récompense à toute personne qui pourrait m’expliquer pourquoi mon jardinier a planté mes cyprès si loin. » Mes petites annonces drôles, poétiques ou franchement limites, Éditions Kero.

Guy Bedos : « Au ministère des Handicapés, ils ont mis un handicapé. Celui-là, au moins, on pourra pas dire que pour devenir ministre il a fait des pieds et des mains. » Petites drôleries et autres méchancetés sans importance, Éditions Seuil.

Coluche : « J’ai lu ça dans un journal à grand tirage… très pratique pour allumer le feu. » Pensées et anecdotes, le cherche midi éditeur.

Pierre Dac : « Si Galilée revenait sur terre il s’écrierait devant une mauvaise comédienne de cinéma : ‘‘Et pourtant elle tourne !’’ » Les pensées, Éditions Saint-Germain-des-Prés.

Pierre Desproges : Distraction : « Une lettre d’un auditeur tellement en colère qu’il a oublié de signer… Je ne sais pas si vous l’avez remarqué comme moi, c’est fou le nombre d’étourdis qu’il y a parmi les gens courageux ! » Fonds de tiroir, Éditions Seuil.

Jean Yanne : « J’en connais qui seraient capables de tuer pour avoir le prix Nobel de la paix. » J’me marre, Éditions J’ai lu.

 

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