Apprendre & Pratiquer le métier d'écrivain

Créez une connivence avec votre lecteur

Parvenir à créer une connivence avec ses lecteurs reste sans doute le graal de l’écrivain. C’est ainsi que se construit la fidélité et le succès. Qui d’entre-vous n’a pas acheté l’ensemble des livres de son auteur préféré ?

Première partie

Établir une relation de confiance avec son lecteur n’est pas chose aisée. Ne pas le laisser s’éloigner plus loin que la portée d’un clin d’œil réclame une vigilance de tous les instants. On doit lui donner le sentiment que l’histoire à laquelle vous l’invitez à prêter une oreille attentive, vous pourriez la lui raconter au cours d’une belle et chaude soirée d’été. En buvant des boissons fraîches autour d’une glaciaire vous servant de table. Entre potes. Comment parvenir à instaurer cette complicité ? Suivez le guide…

Se montrer – ou pas – à travers ses écrits

Tous les écrivains ne sont pas ventriloques

Si vous êtes proche de votre lecteur, il le sentira. Tout comme il se rendra compte de votre choix de se livrer le moins possible à lui. Certains auteurs ne laissent rien transparaître de qui ils sont. Non pas qu’ils soient dépourvus de la moindre attention vis-à-vis de leur lectorat, ou ne disposent pas de points de vue tranchés sur des sujets sociétaux le concernant, mais ils ne les mentionneront jamais par la bouche de leurs personnages. Ils n’useront pas de ventriloquie avec leurs marionnettes de papier pour qu’elles véhiculent un quelconque message. Ma foi, ce n’est gênant en rien de ne pas connaître leurs inclinations, tant qu’ils demeurent de bons conteurs. Ce ne sont évidemment pas ceux qu’on qualifierait de chaleureux, mais ils font aussi bien leur job que des écrivains plus débonnaires.

L’écrivain derrière l’histoire

Qu’importe en effet si l’écrivain s’efface totalement derrière son histoire si celle-ci, ne comportant aucun jugement entraînant des controverses, propose à son lecteur des péripéties passionnantes, un humour débridé, un suspense insoutenable, une intrigue prenante, une romance enivrante, etc. Le tout servi par une écriture de qualité. On peut se divertir sans se poser à chaque paragraphe des questions sur les implications d’arguments avancés par l’écrivain dans le cadre de son histoire. Ou sur les pistes de réflexion contenues dans le sous-texte quand il y en a un. Pour transposer à la littérature la phrase que Jean Gabin emprunta au cinéaste Julien Duvivier : « Il faut trois choses pour faire un bon roman : d’abord une bonne histoire, puis une bonne histoire, et enfin une bonne histoire. » C’est un bon début en même temps que c’est une excellente fin, non ? Alors trouvez une histoire où le premier mot sympathise avec le dernier. Et faites en sorte que votre lecteur se lie à son tour de sympathie pour l’ensemble.

Toutes les routes mènent à l’empathie

Il en faut pour tous les goûts, et j’ajouterai, pour chaque moment de l’existence. Il y a des fois où l’on veut simplement se faire plaisir en dévorant un bouquin bien ficelé s’accommodant à la perfection d’une narration basique. Et d’autres occasions où l’on est plus client d’une littérature qui, débarrassée d’un manichéisme assumé (en gros, le gentil est habillé en blanc, le méchant en noir), réclame une lecture plus exigeante offrant de longer des chemins intellectuels vers lesquels on n’avait jamais songé à s’aventurer car nul auteur ne nous avait fourni la boussole en indiquant la direction. Qu’on se situe sur une route balisée ou bien que l’on emprunte un sentier dont on découvre juste l’existence, la connivence peut s’y inviter de la même manière : par le degré d’empathie dont est imprégné le texte proposé.

Quand l’auteur vous regarde droit dans les yeux

Ces écrivains qui vous agrippent par l’épaule

Certains imprègnent donc leur texte de leur personnalité, qui si elle se révèle sympathique – ne cessez jamais de penser à l’être quand vous écrivez, ça déteint avantageusement sur les mots – finit par résonner agréablement dans notre esprit. On sent non seulement ces auteurs vivre à travers leur écriture, mais aussi, d’une manière ou d’une autre, s’adresser personnellement à qui les lit. Du moins est-ce l’impression que ça laisse chez ces écrivains ayant ce talent-là, car c’en est un ; il permet de provoquer une sorte de tête-à-tête entre lui et vous. Parmi ceux excellant dans ce domaine, quelques-uns donnent même la sensation de considérer leur lecteur tel un confident. Comme s’ils le prenaient par les épaules, et le regardant droit dans les yeux, déclaraient : « j’ai un truc à te dire, mec. » Cette phrase fonctionne aussi en remplaçant mec par poupée. Enfin, vu l’époque actuelle, j’ai comme un doute quant à cette dénomination. À part quand Ken s’adresse à Barbie, évidemment.

Le talent ne se décongèle pas à l’eau tiède

Si l’on veut le choyer, ce lecteur – n’oublions pas qu’il a dû verser une certaine somme pour savoir ce dont on est capable, littérairement parlant –, et qu’à juste titre il compte en avoir pour son argent, il vous faut vous souvenir de son existence. Et qu’il s’en aperçoive. Attention, je ne dis pas qu’il faille écrire pour lui, mais dans tous les cas, pas sans lui. Jamais. Une nuance à peine plus fine qu’un trait d’humour d’Oscar Wilde, mais revêtant une sacrée importance. Je m’explique : si vous écrivez avec retenue, voire avec une dose de complaisance visant à ne surtout pas froisser votre lecteur en craignant qu’il se braque au moindre mot ne l’agréant pas, autant changer de métier. Enfin, sauf si vous n’avez pas d’autre ambition que d’écrire une monographie sur l’eau tiède.

Il vaut mieux braquer un lecteur qu’une banque

L’objectif est que nos écrits soient favorablement accueillis par notre lecteur sans que ce soit au détriment de la sincérité de notre discours. À aucun moment la crainte de voir la teneur de votre propos déplaire ne doit vous guider dans votre écriture. Si vous ne faites pas preuve d’agressivité verbale ni ne vous montrez insultant quand vous exposez vos idées, bien intolérant serait celui qui refuserait de les examiner ou, pire, vous les reprocherait au seul prétexte qu’elles diffèrent des siennes ! Si malgré tout tel était le cas, ne vous demandez-pas qui de celui maniant la plume ou de celui critiquant avec animosité les pages qu’elle a noircies est des deux le plus sot… En résumé, il vaut mieux braquer un lecteur qu’une banque, car il est préférable qu’une personne ne vous lise pas plutôt qu’une autre vous lise vos droits !

La connivence sans compromission

Dites ce que vous avez à dire

Blague à part, la connivence avec son lecteur ne doit pas être soumise à ses états d’âme, ni entraver votre liberté de penser. Dans la limite du raisonnable, tout peut se dire quand on est animé par une conviction, pourvu que l’habileté littéraire en efface les excès, voire l’arrogance que des certitudes non réfléchies peuvent conférer à certains de nos propos. L’essentiel est que notre parole soit sinon acceptée, du moins entendue. Ce n’est jamais un problème de susciter une divergence d’opinions avec son lecteur quand vous lui exposez votre point de vue, pas plus qu’il n’est obligé d’y adhérer. Il m’arrive d’être en total désaccord avec la pensée d’un auteur tout en lui reconnaissant une honnêteté qui l’honore. Vous serez d’autant plus respecté et susceptible de créer du lien avec votre lecteur s’il se rend compte que votre démarche intellectuelle en sa direction est sincère. Mais soyez également persuadé qu’il s’apercevra si à l’inverse, sous des dehors flatteurs, vous le prenez de haut…

L’importance de la passion

Ce qu’on a au fond de nous, on doit le coucher sur le papier, sans quoi, je vous le redis, laissez tomber la plume. Ce serait quand même dommage que vous ne preniez pas votre envol pour cause de frilosité intellectuelle, non ? Et que vous n’embarquiez pas à votre bord des passagers conscients de votre bienveillance à leur endroit. À présent que je vous ai suggéré comment ne pas vous faire un ennemi de votre lecteur sans qu’il y ait de compromission de votre part, voyons comment vous en faire un ami ! Vous allez voir, c’est très simple : il suffit de se rappeler qu’on n’est rien sans lui. Et de lui témoigner notre reconnaissance sans être lèche-bottes, mais en s’adressant à lui en sachant que partageant une passion commune, l’écriture, il nous revient de l’entretenir. Avoir conscience qu’on a un rôle à jouer dans la vie de quelqu’un, aussi minime soit-il – mais il me semble que celui-là ne l’est pas tant que ça, je le dis sans me hausser du col, car à travers ma petite personne, ce sont de tous les manieurs de phrases dont je parle –, c’est important, pas vrai ? Oui. C’est important. Je sais que je prêche des convertis.

Le clin d’œil déstructuré

J’approfondirai par la suite l’image où l’auteur, par un artifice de son choix, prend son lecteur à part et lui murmure – ou lui hurle aux oreilles : « Faut qu’on cause, toi et moi ». Pas à chaque page, évidemment, car vous n’allez pas passer votre temps à l’interpeller, puisque l’écriture d’un livre n’est pas uniquement constituée de ce substrat qu’est le rapport auteur/lecteur, loin s’en faut. L’intrigue doit aussi exister en dehors de ça, le fond s’installer, les personnages se développer, etc. En fait, cette connivence entre un écrivain et son lecteur se nourrira le plus souvent de ces repères inhérents à la structure classique d’une histoire, à son côté rassurant. La connivence en seront les à-côtés. Les clins d’œil, comme désignés dans mon préambule. Ç’a n’a certes pas toujours été le cas, comme dans l’une des « branches » du Nouveau Roman interrogeant la place du lecteur dans l’œuvre avec entre autres Michel Butor et son livre La modification se caractérisant par son vouvoiement distancié, que côtoie bien que par un autre biais narratif de Pirandello avec Six personnages en quête d’auteur ; cela reste plus du domaine de l’expérimental que de l’assise d’un genre à part entière, car trop hétérogène pour qu’une vue d’ensemble s’en dégage. Il ne s’agit là que d’un rappel sans lien direct avec mon propos. N’y voyez pas pour autant un hors sujet, mais un rapport textuel librement consenti.

Dans la seconde partie de cet article, nous parlerons de la meilleure façon de cligner de l’œil à notre lecteur, exemples à la clef… Vous pouvez bien sûr vous exercer devant votre miroir en attendant le week-end prochain. Enfin, ne fatiguez pas trop de la paupière quand même, sinon vous pourriez éprouver des difficultés à me lire, aussi je préfère tout de suite tirer l’alarme à l’œil !

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Presses Universitaires de Montréal